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"Fragiles mutations de l’université française". G. Courtois, le Monde, 19 mars 2013.

mardi 19 mars 2013

Il peut être trompeur de remettre les pieds sur des terres autrefois arpentées en tous sens. L’on a si bien mémorisé le paysage que l’on est frappé par ses permanences, au risque de ne pas apercevoir le glissement de ses plaques tectoniques. Il en est ainsi de l’université française. Au premier abord, tout y semble presque immuable depuis deux décennies. Les mêmes critiques ou frustrations reviennent en boucle : aujourd’hui comme hier, le système serait illisible, ingouvernable, inefficace sur le plan pédagogique et incapable d’affronter la compétition scientifique mondiale à armes égales avec la recherche anglo-saxonne et, bientôt, asiatique.
De fait, l’enseignement supérieur continue à présenter un dédale si complexe que les familles peinent à s’y orienter et les étrangers à s’y repérer. A côté des quelque 80 universités qui accueillent (instituts universitaires de technologie, IUT, compris) 1,4 million d’étudiants, toutes les autres formations en rassemblent 1 million : grandes écoles et leurs classes préparatoires, sections de techniciens supérieurs (STS), formations d’ingénieurs, écoles paramédicales, etc. Sans oublier le CNRS et autres organismes qui structurent la recherche.
Difficile de concevoir empilement plus confus, sédimenté par d’innombrables frontières de territoires, de disciplines et de statuts. Difficile, également, d’imaginer institutions plus ingouvernables, supposées " autonomes " depuis 1968, mais en réalité pilotées par l’Etat, ses normes, ses diplômes, ses financements et ses lourdeurs.
Quant à l’inefficacité, elle est attestée par trois indicateurs : un taux d’échec en premier cycle universitaire qui touche, peu ou prou, la moitié des étudiants, notamment ceux issus des familles les moins favorisées ; un niveau global de formation insuffisant puisque 30 % des jeunes atteignent le niveau de la licence quand l’objectif européen est de 50 % ; un effort de recherche dispersé et sanctionné par le trop fameux (et rustique) " classement de Shanghai " où ne figurent que trois établissements français parmi les cent premières universités mondiales.
Comme hier, enfin, beaucoup déplorent le manque de moyens des universités, puisque la France consacre, en moyenne, quelque 10 000 euros par an et par étudiant, contre 15 000 euros pour les élèves de grandes écoles et jusqu’à 20 000 euros dans les universités américaines.
Voilà pour la face sombre des choses et, à bien des égards, déprimante, quand chacun, à gauche comme à droite, souligne à l’envi que la formation, les savoirs et la recherche de haut niveau sont des armes décisives dans la compétition mondiale. Et quand chacun s’inquiète de voir les cerveaux les plus brillants ou inventifs émigrer vers des cieux plus accueillants.
Pour autant, le système universitaire n’est pas resté inerte. Par tâtonnements successifs, il a commencé à s’adapter à la nouvelle donne internationale. Le premier acte est intervenu à partir de 1990, avec la création des écoles doctorales, pérennisées au début des années 2000 : adossée à la délivrance des doctorats, l’université est devenue, peu à peu, un acteur central de la recherche, incitant les grands organismes à des partenariats moins formels et inégaux.
Le deuxième acte, en 1998, a été la réorganisation des études selon la norme internationale " LMD " (licence-mastère-doctorat), en 3, 5 et 8 ans. Troisième acte, en 2006, avec la loi sur la recherche qui a incité universités, grandes écoles et organismes de recherche à coopérer au sein de " pôles de recherche et d’enseignement supérieur " pour renforcer leurs synergies et leur " visibilité ".
Le quatrième acte s’est déroulé durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, avec deux initiatives qui ne méritent ni l’excès d’honneur, ni celui d’indignité qui leur ont été accordés. D’une part, la loi Libertés et responsabilités des universités (LRU), adoptée dès 2007, a confié à des présidents d’université renforcés et adossés à des conseils d’administration resserrés une réelle responsabilité sur leur masse salariale, leurs recrutements et leur organisation. Cela ne s’est pas fait sans mal et a mis en lumière la sous-administration des universités, mais elles ont toutes réalisé cette mue entre 2009 et 2012.
D’autre part, les universités ont été mises en concurrence pour répondre à des appels de niveau international, bénéficiant de financements spécifiques non négligeables : il en est émergé une huitaine de pôles d’excellence (Idex), fédérant plus étroitement universités, écoles et centres de recherche, ainsi que 180 " laboratoires d’excellence " (Labex) sur tout le territoire.
Le cinquième acte est à venir, avec la loi présentée, le 20 mars, au conseil des ministres par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso. Elle n’entend pas, comme le réclame la gauche de la gauche universitaire, abroger la loi LRU, mais en corriger les " dysfonctionnements " : gouvernance plus collégiale, poursuite de la démarche de regroupement autour d’une trentaine de " communautés scientifiques " de type fédéral ou confédéral, accent mis sur le transfert technologique, simplification drastique de l’offre de diplômes qui ont proliféré jusqu’à l’absurde, priorité donnée aux bacheliers professionnels dans les STS et technologiques dans les IUT pour éviter qu’ils se fourvoient à l’université.
Menées par la gauche comme par la droite, avec le soutien des présidents d’université et, dans l’ensemble, l’assentiment des étudiants, ces réformes ont esquissé un système d’enseignement supérieur moins cloisonné, plus dynamique, mieux enraciné dans ses territoires ou son tissu économique et, à terme, plus compétitif sur la scène internationale.
Cette mutation est cependant très fragile. Surtout au moment où la contrainte budgétaire est plus forte que jamais. Si les investissements promis en son temps par Nicolas Sarkozy sont loin d’avoir été réalisés, le budget de l’enseignement supérieur a progressé de 20 % entre 2007 et 2012 et a été " protégé " en 2013 (+2,2 %). Mais l’équilibre reste tendu entre la progression des emplois (libre) et l’évolution de la masse salariale (contrainte) : si celle-ci était gelée ou plus encore réduite, ce sont toutes les évolutions en cours qui pourraient bien apparaître comme un marché de dupes. Chacun le sait et le redoute.
par Gérard Courtois