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Verbatim de la 9e séance du séminaire "Politiques des sciences" (3 mars 2010) - "Le rapport Maurel : mise en conformité des SHS ?"

lundi 8 mars 2010, par Elie

L’enregistrement audio de cette séance est accessible ici.

Christian Topalov. Présentation

La séance d’aujourd’hui porte sur le premier rapport d’étape du Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS) ou rapport Maurel, du nom de sa présidente. Nous aurons trois intervenants sur ce sujet. Le premier, Michel Barthélémy, s’intéressera moins à ce rapport précis qu’au genre rhétorique dans lequel il s’insère et à la vision doctrinale des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche que les rapports sur le même sujet tissent progressivement. Le deuxième exposé, celui d’Elie Haddad, se focalisera plus particulièrement sur le détail des arguments du rapport Maurel. Enfin, jacques Lautman rappellera notamment quel est l’arrière-plan historico-politique qui sous-tend l’existence de ce rapport et son contenu. Nous ouvrirons ensuite la discussion générale.

Michel Barthélémy. Logique des rapports officiels et la définition d’une situation homogène pour l’action publique

Dans le cadre de cet exposé, j’aimerais examiner la question du rôle que jouent les rapports officiels, en tant que pratiques d’enquête et genre politico-scientifique. Plus spécifiquement il s’agit de voir quelle part ces documents prennent dans l’élaboration d’un cadre doctrinal des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), en l’occurrence celles qui sont relatives au secteur dit de la « recherche et innovation ».

Je dois réduire tout de suite mes ambitions quant à mes capacités à traiter de ce sujet. En effet, j’ai engagé ce travail pour cette séance. Le manque de recul que je peux avoir sur un dossier complexe me contraint à me contenter d’un survol de ces questions.

J’ai examiné en particulier les rapports suivants : le rapport d’étape du 14 janvier 2010, émanant du Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS), intitulé : « Pour des sciences humaines et sociales au cœur des universités ». Cela m’a conduit à m’intéresser au rapport de la Stratégie Nationale de la Recherche et de l’Innovation (SNRI) de 2009. Lui-même m’a orienté vers le rapport annuel 2007 du groupe de travail FutuRIS (Futur, Recherche, Innovation, Société) créé en 2005 au sein de l’Agence Nationale de la Recherche Technologique (ANRT) [1]. Cet ouvrage collectif est coordonné par Jacques Lesourne et Denis Randet. Il est consacré à la recherche et l’innovation en France [2]. Je me suis intéressé au chapitre 4 du volume 2007 intitulé : « Essai d’interprétation de l’évolution 2006-2007 du SFRI : la réforme à la croisée des chemins ? ». Je l’ai découvert au cours d’une recherche sur internet visant à m’éclairer sur la signification de l’expression « fonctions majoritairement séparées » qui définit la nouvelle orientation prise par le système français de recherche et innovation (SFRI) qu’évoquait le rapport de la SNRI ; notion sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. Voilà pour les principaux documents. On aura compris que je vais centrer ma contribution non pas sur la question de l’enseignement supérieur mais sur celui de la recherche, et plus précisément, sur les liens entre la recherche et l’innovation tels que les rapports et les réformes en cours les prévoient et les façonnent, ainsi que sur leurs conséquences sur la transformation de du système d’enseignement supérieur et de recherche public dans son ensemble.

Dans une première partie, assez brève, je ferai un certain nombre de remarques de portée générale que la lecture du récent rapport d’étape du Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS) en particulier a pu susciter. Une présentation plus complète de ce texte est en ligne sur le site du séminaire. Ces remarques portent sur le genre d’enquêtes que promeuvent les rapports de recherche officiels, la forme de raisonnement qu’ils mobilisent et le registre de signification et d’action dans lequel ils se situent. Dans un second temps, je m’intéresserai au modèle employé par ces documents pour rendre compte des transformations du paysage de la recherche français. Je reviendrai entre autres sur l’éclairage que ce modèle permet de donner de la notion d’« autonomie » telle qu’elle est utilisée pour décrire entre autres la réforme du gouvernement des universités, au regard du dispositif d’ensemble dans lequel elle s’insère. Enfin, en conclusion, je confronterai le premier type de démarche d’enquête, qui est celui mis en œuvre dans la préparation des travaux conduisant à la rédaction des rapports officiels, à une autre approche dont les caractéristiques, contraintes de réalisation et omissions du premier, justifie pleinement l’existence. Je traiterai ce point sous la question de l’éthique de la recherche en SHS et la nécessaire réappropriation de l’esprit de la recherche, de ses objets, de ses méthodes, par la démarche scientifique critique en sciences sociales dans ce type d’exercice particulier.

I) Le rôle des rapports officiels dans l’élaboration d’un cadre doctrinal des réformes de l’ESR relatives au secteur de la recherche et innovation

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Elie Haddad. Présentation et discussion du rapport du CDHSS

La présentation que je vais faire vient en grande partie d’un texte que j’ai rédigé avec Laurence Giavarini pour l’association Sauvons l’Université (dont nous sommes membres) et qui peut être consulté sur le site de SLU [3]. Plusieurs textes de ce type ont été rédigés et signés par un ou plusieurs membres de l’association avec la mention « pour SLU », les textes ayant été approuvés par son CA. Ils s’insèrent dans une réflexion collective sur les réformes en cours dans l’enseignement supérieur et la recherche nourrie par une opposition aux principes de ces réformes, que les analyses des années passées ont peu à peu précisé. Un des objectifs de cette réflexion collective est aussi de redonner toute leur dimension politique (dans tous les sens du terme) à l’Université, à l’enseignement supérieur et à la recherche, avec les choix que cela suppose, en opposition au discours gestionnaire qui masque cette dimension politique et les choix effectués. Il s’agit aussi de jouer notre rôle d’intellectuels et d’essayer d’analyser au mieux, d’éclairer aussi les réformes en cours.

Un bref rappel pour commencer. Le Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales a été mis en place le 2 septembre 2009 par Valérie Pécresse. Il est composé de membres [4] qui ont pour mission
- d’explorer « les enjeux de formation, de qualification et d’insertion des étudiants qui choisissent les filières des sciences humaines et sociales de nos universités »
- d’« engager une réflexion sur la structuration de notre potentiel de recherche dans le nouveau paysage français qui s’appuie désormais sur des universités autonomes, les Instituts du CNRS, le réseau des Maisons des Sciences de l’Homme et l’ensemble des établissements et des organismes parties prenantes dans la production scientifique de ces champs de la connaissance »
- de réfléchir aux spécificités de l’évaluation dans le domaine des sciences de l’homme et de la société
- de « dégager les grands enjeux scientifiques qui animeront les sciences humaines et sociales françaises dans les années à venir » et « d’œuvrer au renforcement de notre exceptionnel potentiel de recherche » (p. 7).

Le 14 janvier 2010, le CDHSS a remis son premier rapport d’étape intitulé Pour des sciences humaines et sociales au cœur des universités [5]. Ce rapport est divisé en quatre chapitres respectivement intitulés
- « Vers un enseignement plus généraliste dans les licences de sciences humaines et de sciences sociales »,
- « Les Sciences de l’Homme et de la Société face à la mission d’orientation et d’insertion professionnelle des universités »,
- « L’enseignant-chercheur en SHS : trouver le temps de la recherche »
- « Le dispositif institutionnel de la recherche en SHS : quelle coordination entre universités, organismes et agences ? ».

Chacun de ces chapitres se clôt sur une série de recommandations. La conclusion ouvre sur des perspectives pour inscrire les SHS dans le cadre du Grand Emprunt.

Le rapport offre une façade mesurée et informée. Il s’agit, pour le CDHSS, de se légitimer tant auprès de la communauté des universitaires et des chercheurs que des media et du ministère lui-même. Aussi le rapport est-il en apparence pleinement « dépolitisé », comme s’il ne s’inscrivait pas précisément dans une politique à laquelle ses auteurs, comme l’a montré Michel Barthélémy, adhèrent en acceptant ses attendus et son cadre intellectuel qui délimitent étroitement l’espace de la réflexion, ce qui n’empêche pas évidemment quelques différends sur les orientations spécifiques à suivre pour les SHS. Néanmoins, comme le rapport est signé collectivement par le CDHSS, je prendrai ici ce dernier comme auteur collectif et considèrerai que chacun de ses membres assume la posture de cet auteur collectif, ainsi que les analyses et les préconisations du rapport. Je ne reviendrai pas sur ce que Michel Barthélémy a montré des problèmes posés par les rapports officiels comme genre politico-scientifique. Je laisserai aussi de côté dans la discussion du rapport ce qui concerne le CNRS, dont Jacques Lautman parlera après moi. Je vais me contenter de présenter le contenu du rapport de manière synthétique, en essayant de lui être fidèle mais en mettant aussi en évidence les points qui font selon moi problème, et je me concentrerai ensuite, dans un second temps plus critique, sur la place des disciplines dans le rapport, sur la façon dont elle est articulée à l’« employabilité » des étudiants, et sur la conception des sciences humaines et sociales qui transparaît dans ce texte [6].

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Jacques Lautman

Ce rapport ne tombe pas du ciel effectivement. Je vais, avec des mots différents et probablement plus concrets revenir un peu au départ sur ce qu’a dit Barthélémy. Je veux essayer de montrer rapidement dans quelle séquence politique et culturelle un tel rapport peut arriver. Ensuite je me livrerai à un examen plus approfondi exclusivement des chapitres 3 et 4 et en me focalisant sur le fonctionnement de l’activité de recherche dans les universités et dans les laboratoires et sur le rôle que le Cnrs a pu jouer et sur le ou les rôles que les universités peuvent jouer ainsi que sur l’illusionnisme d’un certain nombre de points dans ce rapport.

Pour annoncer la couleur je dirai personnellement que ce rapport m’attriste plus qu’il ne me scandalise. Il m’attriste parce qu’il est cosigné de fait par un certain nombre de collègues tout à fait éminents, une brochette de professeurs au Collège de France notamment, qui ne sont pas parmi les plus étroitement érudits ou hyperspécialisés, et qui sont éminemment respectables. Ils sont des collègues éminents. Là je salue le courage de Mme Pécresse d’avoir une fois de plus mis une femme en position visible, et c’est un des mérites de Mme Pécresse, il faut bien le reconnaître, Mme Maurel est quelqu’un d’éminemment respectable. Je le dis d’autant plus volontiers que j’ai signé sa nomination comme directeur de laboratoire il y a de cela vingt-trois ans quand elle a pris la direction d’un laboratoire d’étude des sociétés rurales d’Europe de l’Est à Montpellier-III et qui dépassait très largement les pratiques de recherches habituelles des géographes. Elle est géographe mais elle va largement au-delà des confins de sa discipline.

Le cadre historico-politique du rapport Maurel

- La hargne anti-Cnrs : ses manifestations

En fait, ces collègues se sont, comme le disait Barthélémy, inscrits dans un cadre politique assez précisément défini. Alors je voudrais quand même revenir sur les origines de ce cadre politique. Le point un, c’est la hargne que suscite le Cnrs dans la classe politique française et dans la haute administration depuis près de trente ans. La première manifestation que j’en connaisse, autant que je me souvienne, c’est le conflit entre Mme Saunier-Séïté, ministre de la recherche, et Robert Chabal, directeur général du Cnrs, 1978-79. Je n’y reviendrai pas. La deuxième manifestation que j’en connais, c’est l’espoir annoncé à cor et à cri par le syndicat autonome des Lettres en 1986, lors de l’alternance, exactement au moment où j’ai été nommé directeur du département SHS. Un haut responsable du syndicat autonome des Lettres est venu la semaine suivante me dire dans mon bureau : « Bien entendu, vous êtes là pour être le fossoyeur et pour fermer ». Je lui ai dit que je n’entendais pas les choses comme ça, et les choses ne se sont pas passées comme ça. Ceci est le cas, parce que Alain Devaquet, à l’époque ministre, qui était un proche de Chirac, a été et est resté pendant vingt ans, y compris pendant les deux mandats de Chirac en tant que président, un défenseur actif, autant qu’il a pu l’être, du Cnrs. J’ai plaisir à le dire, parce que je le sais, il n’a pas toujours gagné, mais il a fait ce qu’il a considéré être juste. Alors, à propos de cette hargne anti-Cnrs, j’ai eu un jour une surprise fantastique ; ayant été invité ès fonctions à Matignon, quand Rocard était premier ministre, des gens me sont tombés dessus pour me dire : « ah, vous représentez le Cnrs, cette institution que le monde entier nous envie, mais que personne ne copie ! » et puis, plus précisément : « le Cnrs est une copie conforme de l’Académie des Sciences de feue l’URSS ». Ce sont « des laboratoires en haute mer, coupés des universités ». A quoi j’ai répondu que sur un plan historique, cette allégation est fausse. Les créateurs du Cnrs n’ont absolument pas copié l’Académie des Sciences de l’URSS. En revanche, il est vrai que les laboratoires propres du Cnrs ont été plus ou moins, et parfois plutôt plus que moins, fort séparés des universités jusqu’en 1964-65, lorsque le directeur général du Cnrs nommé en 1963, M. Jacquinot, qui, historiquement, a été l’un ou le plus grand directeur général du Cnrs, a pris la décision de créer des structures d’association entre le Cnrs et l’université. C’est ainsi que sont nés à ce moment là les laboratoires associés et les équipes associées, dont la différence de dénomination découlait de la taille respective de leurs effectifs. A partir de 1964, l’affirmation d’une coupure marquée entre les laboratoires du Cnrs et l’Université est devenue fausse. Au jour d’aujourd’hui, dans le secteur SHS, le rapport Maurel and Co. écrit qu’il n’y a plus que six unités propres du Cnrs et l’essentiel des forces humaines et du financement Cnrs en SHS est dans les unités mixtes de recherche, comme vous le savez.

Deuxième argument critique contre le Cnrs est : « le Cnrs en fait est dirigé par les syndicats. Les sections du Comité national sont aux mains des syndicats ». C’est aussi tout à fait exagéré. J’ai écrit un petit texte à ce sujet à l’occasion du cinquantenaire du Cnrs, il y a vingt ans, parce que d’expérience et de concertation avec mes collègues directeurs des autres départements scientifiques du Cnrs, il m’est apparu que dans les disciplines dans lesquelles il existe un consensus scientifique ou intellectuel fort, il n’y a jamais de problème de contestation de promotion ou de recrutement pour « raisons » syndicale, corporatiste, copinage ou compassionnelle. En revanche, et c’est vrai, dans les disciplines dans lesquelles le consensus intellectuel fait défaut, alors le compassionnel et le copinage apparaissent ou peuvent apparaître.

Troisième critique à l’encontre du Cnrs qui court les rues et les oreilles des parlementaires, y compris certains de gauche, je puis l’affirmer, c’est : « les chercheurs ont la liberté de faire tout et n’importe quoi, y compris rien ». Il y a à peu près deux ans, M. Belloc, ancien président de Toulouse-I, université de droit, d’économie et de sciences sociales, actuellement conseiller du président de la République, et au demeurant chercheur en économie qui, d’après d’excellents collègues à moi, a paraît-il fait une bonne thèse dans un laboratoire de l’université associé au Cnrs, M. Belloc donc s’est permis de dire, et cela a été repris dans la presse, qu’un tiers des chercheurs SHS n’a jamais rien publié. Ce qui est radicalement, manifestement, ouvertement et grossièrement faux, bien évidemment. Mais il l’a dit et c’est repris et ça fait la vulgate commune.

A ces critiques à l’encontre du Cnrs, s’est ajoutée historiquement la jalousie et la jalousie compréhensible, il faut bien le dire, de beaucoup d’universitaires devant les chercheurs et ingénieurs Cnrs. Cette jalousie n’est pas sans fondement et il n’est pas facile de la récuser. En revanche, il me paraît plus facile de récuser la façon dont les présidents d’universités ont utilisé cette jalousie pour monter un lobbying puissant anti-Cnrs et pour dire : « A nous la bonne soupe ! Nous voulons l’argent et les postes du Cnrs et nous voulons mettre ça dans les universités ». A ce propos, j’ai quelques éléments qui me donnent à penser que c’est après le retournement de 1993, sous le gouvernement Balladur, que ce mouvement prend coalescence et que les présidents d’universités deviennent audibles et sont pris en compte par les ministres sur ce point. A l’époque, le ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, c’est François Fillon. J’ai un souvenir précis là-dessus.

- L’ANR et le CNRS

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Débat

Christian Topalov : Le débat est ouvert. Toutes les questions sont possibles, bien entendu, sur ce rapport. Je vous en prie monsieur.

Salle (enseignant Paris-8) : Je m’adresse à Elie en particulier, à propos de la critique du CDHSS. Vous avez dit qu’il y avait des postulats qui étaient tronqués, notamment l’idée que les étudiants attendent de trouver un emploi alors qu’il n’existe pas de statistiques sur ce point. Je vous invite à venir dans les universités, parce qu’il n’y a peut-être pas de statistiques, mais il y a des étudiants. Et, moi-même, pour avoir débrayé des cours, et constaté les réactions des étudiants quand on interrompait leurs cours, parce qu’ils allaient rentrer sur le marché du travail trois mois après, cela montrait bien que ces étudiants étaient là pour trouver du travail. Quand on venait leur parler, leur discours était de nous dire : « nous, on part en entreprises dans trois mois, laissez-nous tranquilles, on veut être performants sur le marché du travail ». Vous pouvez venir aussi discuter avec les étudiants ; il y en a pas mal qui sont très inquiets justement de la possibilité de trouver du travail et qui ont un rapport à l’université spécifique par rapport à leur inquiétude de trouver du travail. Je vous assure qu’à l’université, je suis à Paris-8, ils attendent de trouver un emploi.

Et je trouve aussi que faire une critique de ce rapport en se basant là-dessus, ce n’est pas une bonne chose. Enfin, je pense que la critique devrait plutôt se faire au nom de l’indépendance de l’université vis-à-vis des pouvoirs en place : une critique de l’idéologie gestionnaire. A mon avis, on ne doit pas avoir de comptes à rendre à ce genre d’idéologie. C’est plutôt là-dessus qu’il faudrait se baser, à mon sens, et remettre en question sans doute l’AGCS (l’Accord Général sur le Commerce et les Services) et ce genre de choses, ce qui ne se fait malheureusement pas. Si on veut aller un peu plus loin que ce qui s’est passé ces mois précédents à propos de la LRU, il faut prendre cette direction là.

Christian Topalov : Merci. On pourrait peut-être regrouper quelques questions qui portent sur les problèmes de formation, de débouchés, c’est à dire sur la première partie du rapport. D’autres questions sur ces points ?

Gilles Verpraet : Quand il y avait les DESS (Diplômes d’Etudes Supérieures Spécialisées) et les doctorats, le clivage était clair entre ceux qui voulaient professionnaliser leur culture générale ou disciplinaire au sens large vers des secteurs professionnels et ceux qui se dirigeaient vers la thèse avec des conséquences en termes de carrières. Il y avait une prise de risque sur un an, deux ans, trois ans. L’idée de Master a dissous les DESS, les a incorporés et maintenant on dissout le doctorat. Donc, le flou vient un peu de la réforme des masters.

J’ai une question pour M. Lautman. Dans l’inversion du rapport de force universités/Cnrs, vous avez cité Balladur, 1993. Or il y a d’autres paramètres à prendre en compte : la montée de la CPU, c’est aussi la régionalisation, qui donne plus de poids, l’Europe, il y a des structures de présidence d’universités européennes, et pour revenir à ma discipline, il y a une inversion du rapport de force dans les effectifs. Début des années quatre-vingt, c’était 300 chercheurs Cnrs, tout confondu, et 300 universitaires. Avec le plan de recrutement Jospin, à différentes périodes, il y en a eu deux, c’est 600 universitaires et 280 sociologues Cnrs. Donc, on peut ramer, mais le rapport de force est là. Donc, la question organisationnelle qui se pose, c’est une double structuration dont on peut juger qu’elle est forte ou faible du côté universitaire, arrogante ou vide, côté Cnrs, mais il y a deux structurations. Ce problème, il faut y répondre. Mais est-ce qu’il faut y répondre en termes macro-gestionnaires, selon le discours managérial, ou en termes de formule type de coopération ?

Christian Topalov : Encore une ou deux questions avant de repasser la parole à la table.

Etienne Boisserie : Je suis le président de Sauvons l’université, donc je ne vais pas rebondir sur ce qu’a pu dire Elie. Je voulais juste signaler quelques éléments qui n’ont pas été abordés et qui me semblent importants, qui peuvent rebondir d’ailleurs sur des choses qui ont été dites, en particulier par M. Lautman. Sur la tonalité générale du rapport, moi ce qui m’a beaucoup frappé, je suis enseignant-chercheur, c’est la totale méconnaissance apparente et la totale absence de prise en compte de la réalité du métier d’enseignant-chercheur. C’est à dire que l’on a un peu le sentiment d’un rapport « hors-sol » et vous avez mentionné ce passage qui est effectivement édifiant concernant cette multiplication des tâches de l’enseignant qui n’est jamais mise en perspective avec la réalité de ce que sont les nouvelles procédures d’évaluation qui, en réalité, ne permettent pas, au fur et à mesure de l’évolution de la carrière, la prise en compte de certains travaux plus que d’autres, mais ont pour effet de sanctionner les manquements dans l’une de ces différentes tâches. C’est à dire que le rapport fait comme si ça n’existait pas, mais la réalité est que l’enseignant chercheur est désormais évalué avec des sanctions possibles sur l’ensemble des charges statutaires qui résultent du statut d’avril 2009. Je suis tout à fait frappé de voir qu’à aucun moment il n’est fait état de la réalité de cela. De même que, à aucun moment, on ne parle de la réalité de la situation budgétaire ou de la situation du taux d’encadrement, qui n’est jamais évoquée pour ce qu’elle est. Et puis, dernier point, un peu hors-rapport, pour rebondir sur ce que vous avez dit au sujet de l’interdiction de recrutement local. Pour que cette interdiction puisse exister, il faudrait que l’on sorte d’une logique immensément perverse du processus actuel qui n’est pas seulement le processus de la LRU, c’est le processus qui consiste à dire que l’entreprise est une entreprise comme une autre et qu’à ce titre le président d’université est libre de choisir ses collaborateurs. Or, comme on est dans cette logique là, il est tout à fait évident que le localisme ne peut pas être dissous. Cela introduit un élément de concurrence faussée, en quelque sorte. La logique assumée de la LRU est que l’université est une entreprise comme les autres, comme l’homme est une marchandise comme les autres finalement, et à ce titre là on peut très bien recruter en local, avec les effets pervers que vous soulignez, qui sont très justes. Et ce dont on s’aperçoit en cumulant les différents éléments que vous avez évoqués, c’est que non seulement ce rapport – je ne reviens pas sur ce qui a été dit par Barthélémy et par Haddad -, manifestement, en dépit de l’éminence de ses signataires, ne tient aucun compte de la réalité des universitaires dans les universités et il ne tient pas plus compte de la réalité, disons, de la structuration intellectuelle de ceux qui produisent les textes. On est sur quelque chose qui est totalement « planant » en réalité par rapport à ce qui se passe, qui est simplement situé dans une politique d’accompagnement et de validation de choix préexistants. Et c’est bien dommage qu’un certain nombre de collègues éminents commettent ainsi ce que d’autres, c’est Waters je crois qui parle d’ « infanticide ». Il y a eu le parricide, et puis il y a l’infanticide. On a donc un ensemble de collègues qui ont fait de belles carrières et qui, sur la fin de leurs carrières, ont décidé de fracasser le système qui les ont fait vivre et c’est un peu gênant. Peut-être que la conclusion est exagérée, mais voilà ce que j’en dis.

Christian Topalov : Une intervention encore et puis je repasse la parole aux orateurs.

Fanny Cosandey : J’ai juste une question : qui sont les auteurs de ce rapport ? Combien sont-ils et quel est leur profil ?

Christian Topalov : Je vais solliciter une intervention de notre jeune collègue des sciences politiques, puisque dans le texte qu’ils ont élaboré il y a un point spécifiquement consacré à ta question, Fanny. Je veux aussi dire que Sophie Pochic a commencé de faire un travail prosopographique sur l’ensemble de ce Conseil. Elle n’a pas eu tout à fait le temps de le terminer, et je ne voudrais pas déflorer ses premières conclusions en les simplifiant trop. On va essayer de répondre à ta question, Fanny, mais je pense que dans le séminaire on va revenir, dans une séance complète, je pense au mois de mai, sur les identités sociales et professionnelles de nos réformateurs, de nos modernisateurs, parce qu’il y a des récurrences absolument troublantes, extrêmement intéressantes, avec un mystère qui est : comment se fait-il que des collègues qui n’épousent pas nécessairement la totalité des points de vue du gouvernement finissent par se retrouver dans la situation dans laquelle ils se sont mis, parce qu’ils l’ont bien voulu, mais ils s’étonnent ensuite qu’on les critique. Pourquoi, comment des choses pareilles sont-elles possibles ? comment se fait-il qu’ils soient si nombreux à faire tant de sottises alors que ce ne sont pas nécessairement des « méchants » ?

Voulez-vous intervenir sur l’identité des membres du Conseil, et puis sur d’autres sujets ?

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[2L’ouvrage est publié chez Odile Jacob. La page de présentation indique ceci : « Deuxième opus d’une série annuelle, le FutuRIS 2007 propose un panorama du système français de recherche et d’innovation, profondément remodelé depuis 2005 par une série de réformes importantes.

Cet ouvrage est le fruit des travaux menés au sein de la plate-forme FutuRIS qui rassemble acteurs et experts issus de la recherche publique comme de l’entreprise.

Le lecteur y trouvera un bilan actualisé de la situation française, ainsi que des analyses et des propositions sur un certain nombre de questions majeures : les besoins en innovation de la société de demain, les controverses socio-scientifiques, la coopération européenne en recherche, la mondialisation de la recherche et les logiques territoriales, les nouveaux outils (agences, pôles…), les synergies entre la recherche publique et l’entreprise, le rôle des PME en matière d’innovation…

Synthétique et documenté, cet ouvrage a le mérite de présenter un état des lieux rigoureux d’un système en cours de transformation, ainsi qu’une réflexion sur ses devenirs possibles. »

[3« Un coup de poignard dans le dos ». http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3419.

[6Notons que le Conseil a renoncé dans son nom même à la notion de SHS, en séparant « Humanités » et « Sciences sociales ». Il y a sans doute là un accord trouvé pour satisfaire les différentes conceptions des membres du Conseil, mais ce n’est pas sans enjeux intellectuels.