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SNCS Hebdo 19 n°1 : Concours de recrutement de chargés de recherche au CNRS en 2019 : une orgie de coloriages hors de propos - 7 janvier 2018

mardi 8 janvier 2019, par Laurence


Le recrutement de nouveaux chargés de recherche constitue chaque année, pour le Centre national de la recherche scientifique, un moment crucial. En effet les jeunes chercheurs embauchés à cette occasion poursuivront, en majorité, l’essentiel de leur carrière dans l’établissement. Cela est normal : la progression des connaissances est un travail de longue haleine. C’est pourquoi le plus important est de détecter et d’embaucher, parmi les candidats, les meilleurs, indépendamment de toute contrainte, de tout effet de mode et de tout préjugé sur des thèmes de recherche qui ne sont, à cette échelle de temps, qu’éphémères. Les concours, normalement, sont donc des concours « blancs », ouverts sur la totalité des thèmes de recherche de chaque section du Comité national.
En marge de cela, la direction de l’établissement garde la possibilité de « colorier » (souplement) ou de « flécher » (impérativement), par le biais de restrictions thématiques ou géographiques, une partie des postes mis au concours. Cette pratique, justifiée au nom de la « politique scientifique » de l’établissement, est supportable tant qu’elle n’empiète pas trop sur le nombre des postes blancs. Le problème est qu’elle atteint, en 2019, un taux record, qui dénature complètement les concours d’instituts entiers.


Christophe Blondel, trésorier national du SNCS-FSU

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La tendance, hélas, n’est pas nouvelle. Presque toutes les fois que le politique s’intéresse à la recherche, c’est pour réclamer qu’elle soit davantage pilotée ; corrélativement, la direction du CNRS s’applique alors à colorier en abondance, voire à flécher certains postes mis au concours. À chaque fois, le SNCS doit rappeler que le CNRS s’est construit et développé grâce aux initiatives novatrices de ses chercheurs et que même le simple coloriage des thèmes de recherche ou des affectations possibles ne peut que dégrader la qualité du recrutement et, à long terme, compromettre la vitalité de l’établissement. La formation scientifique des futurs chercheurs, leur orientation personnelle, le montage de projets sont des processus qui prennent plusieurs années. La publication d’un coloriage massif des concours, au dernier moment, tombe comme un couperet. À 100% de coloriage (il y en a !) des candidats potentiels sont, avant même d’avoir pu concourir, éliminés.

En 2011, l’annonce, par la direction du CNRS, d’un « affichage large des thématiques » qu’il faudrait, selon elle, renforcer via les recrutements, à laquelle s’était ajouté, pendant l’été, le scandale d’une affectation tellement autoritaire qu’elle avait provoqué la démission de la jeune chargée de recherche concernée, avaient provoqué des réactions si vives* que furent un temps calmées les velléités de coloriage général et d’orientation autoritaire des recrutements et des recrutés.

Le sujet resurgit en 2019, où le nombre extraordinairement bas de postes mis aux concours de recrutement de chargés de recherche est déjà un motif d’inquiétude grave, sur lequel nous avons lancé une alerte. Cet étranglement global s’accompagne d’un taux de coloriage inouï, qui est un deuxième étranglement : avec 82 postes coloriés ou fléchés sur 243 (à comparer à 84 sur 293 en 2018 et 70 sur 286 en 2017), on dépasse cette année 33%. Du coup l’espace de liberté dans lequel on peut encore se présenter au CNRS avec un projet élaboré librement et sans contrainte se réduit comme peau de chagrin : de 209 postes « blancs » en 2018 (216 postes en 2017), on tombe en 2019 à 161 : on en perd d’un coup le quart ! Peut-être plus grave encore : nombreuses sont les sections du Comité national dans lesquelles les postes « blancs » deviennent minoritaires. Les sections 6 et 7 dépassaient déjà, en 2018, 75% de coloriage ; elles dépassent maintenant 80%. La section 1 - Interactions, particules, noyaux, … - fait encore mieux (si l’on peut dire) : pour la 3e année consécutive le concours CR y est à 100% colorié !

Que sont ces disciplines dans lesquelles on semble estimer que les candidats, auxquels une vision plus large est interdite, doivent désormais entrer dans des cases (ou des laboratoires) préformatés ? Que devient, s’il ne s’agit que de distribuer des postes entre des chapelles instituées, l’unité vitale de l’établissement ? Le conseil scientifique l’a justement souligné dans sa motion du 25 septembre 2015 : « il n’existe aucune raison épistémologique ni institutionnelle pour que les pratiques de profilage de postes varient au sein du même organisme de recherche  ». Tandis que, de 2018 à 2019, le taux de coloriage s’envole en sciences humaines et sociales (INSHS) - de 29% en 2018 à 38% cette année - et explose en physique (INP) - de 18% à 50% - , les instituts des sciences biologiques (INSB), des sciences de l’univers (INSU) et écologie et environnement (INEE) – où on ne sache pas que la compétition entre sous-disciplines soit moins vive qu’ailleurs – se contentent respectivement de colorier 9%, 5% et 7% des postes mis au concours. C’est donc encore possible ! Il faut garder la même modestie partout.

À la racine de cette orgie de coloriage, il y a peut-être l’idée fausse selon laquelle la couleur serait, par rapport au blanc, une valeur ajoutée … Au moins les physiciens – soulignons-le puisque les instituts de physique figurent parmi les plus frappés – ne devraient pas croire ça ! Newton a démontré, il y a déjà longtemps, que la lumière blanche contient toutes les couleurs. La couleur est une restriction : « colour’d powders do suppress and stop in them a very considerable part of the light by which they are illuminated  »†. C’est pareil pour les candidats aux concours : plus vous les colorerez, moins vous en aurez en retour. La pression aux concours, déjà, diminue.

Face à ce coloriage débridé, un mot d’ordre s’impose : que les candidats ne s’autocensurent pas ! Que les jurys fassent preuve d’ouverture et ne survalorisent pas le « prioritairement » des intitulés de poste ainsi coloriés. Que ce « pilotage » irréfléchi soit traité sur le terrain tel qu’il est : excessif, donc insignifiant.