Accueil > Université (problèmes et débats) > La loi LRU > Point de vue sur la loi LRU par deux anciens vice-présidents de l’université (...)

Point de vue sur la loi LRU par deux anciens vice-présidents de l’université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle

mardi 29 janvier 2008, par Mathieu

[| Bernard DHUICQ (Etudes anglophones) et Adelin FIORATO (Etudes italiennes), Anciens vice-Présidents de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3 et responsables-enseignants du Centre de Censier.|]

[|REFLEXION SUR LA LOI DES « LIBERTES ET RESPONSABILITES DES UNIVERSITES »|]

Anciens responsables de l’Université de la Sorbonne Nouvelle, nous avons suivi de près l’évolution des mouvements des personnels et des étudiants, au cours des derniers mois, contre la loi dite des « Libertés et Responsabilités des Universités », élaborée par Valérie Pécresse et soutenue par la majorité de la Conférence des Présidents d’universités.
Bien que nous formulions des réserves sur le recours à certains moyens d’action dans plusieurs universités, nous approuvons et soutenons fermement les objectifs de cette lutte, (qui a engagé, à des degrés divers, 75 établissements sur 83) : à savoir la sauvegarde de l’université démocratique en tant que service public.

La présente réflexion veut être une prise de position critique, afin de contribuer à l’information et aux débats concernant les implications fondamentales de la loi « L. R. U. ».

Nous portons en effet une appréciation radicalement négative sur cette loi, débattue et votée à la sauvette l’été dernier (le 10 août 2007), durant l’absence des intéressés, certains représentants universitaires et étudiants ayant été associés, non pas réellement à la négociation, mais à la consultation.
Les conditions douteuses de l’élaboration et promulgation de la loi, son titre même (« Libertés », de quoi faire ?), définissent un de ses caractères les plus pernicieux : la mystification.

Beaucoup de choses ont été dites et écrites pour condamner les nouvelles dispositions qui démantèlent littéralement le statut, les moyens et les finalités de l’institution universitaire. Nous nous contenterons de souligner ici trois points.

[|I|]

Sur un plan général, nous insisterons d’abord sur le leurre — hélas, pas encore évident pour nombre d’enseignants, d’étudiants et d’administratifs —, que représente la notion d’autonomie.
Autonomie, certes, sur le plan financier et matériel (le budget, les carrières, les locaux) : des fardeaux, en somme, dont le Ministère se décharge sur les universités.
Mais cette autonomie s’accompagne de rigoureuses contraintes autoritaires, prévues par le train, déjà annoncé, de mesures complémentaires en 5 points, dont la « cafouilleuse » réorganisation de la Licence (demandée et négociée par qui ?) nous fournit déjà un bel exemple. Concrètement, aux termes de la loi, il ne restera que fort peu de liberté aux universités dans l’organisation des cycles, des contenus, des finalités des études supérieures. Quant au statut des enseignants-chercheurs — qui fait l’objet actuellement d’études de la part de la commisssion R. Schwartz, après les rapports Espéret, Belloc, Goulard — nul ne peut prévoir le sort qui lui sera réservé, ni même s’il subsistera, compte tenu du projet de « secondarisation » du 1er cycle.
Quelle habile procédure que le dévoilement progressif des divers chantiers ministériels : dans le flou et l’incertitude sur l’avenir, les partisans de la loi « L. R. U. » peuvent ainsi avancer des arguments optatifs ou incantatoires, pour justifier leur coopération à la mise en place de la réforme (« Vous verrez, tout ira bien ! »).

[|II|]

Nous ne nous étendrons pas — tant la ficelle est grosse — sur le faux-semblant, répandu partout, selon lequel les universités contribueraient à aggraver le chômage des jeunes étudiants : situation déplorable à laquelle la nouvelle loi serait destinée à remédier. Comme si le problème n’était pas d’abord celui, économique, de l’insuffisance de l’emploi ! Il suffit de rappeler que le chômage touche actuellement 20 % des jeunes et, dans ce nombre, nos étudiants diplômés ne sont pas, quoi qu’on en dise, les plus mal lotis.
Un effet majeur de la pratique de l’application échelonnée de la nouvelle réforme, est qu’il est difficile de mesurer, dès à présent, l’ampleur des bouleversements qui se profileront dans plusieurs années, quand l’université sera « autonome » par rapport à l’Etat. Cela peut expliquer la neutralité de beaucoup d’enseignants-chercheurs et de la majorité des étudiants, ces derniers étant naturellement attentifs surtout aux questions des droits d’inscription, de la sélection, de l’investissement financier de la part du Ministère.
Sur ces divers points, certains représentants étudiants ont cru, hélas, avoir obtenu satisfaction — soit durant l’été, soit au cours de leur ample mouvement de protestation.
Or, s’il est vrai que ni l’augmentation des droits, ni la sélection n’ont été mises en pratique en 2007, et ne le seront sans doute pas en 2008 (et surtout pas par le ministère), que se passera-t-il quand l’université (entendons le Président et « les hommes du président » [1] ) ayant la maîtrise globale du budget, ne pourra fonctionner que grâce à ses ressources propres ?

Voyons quelles sont ces ressources possibles ?

1. La participation de l’Etat, bien sûr.

Mais tout le monde est bien conscient — car c’est une des dispositions qu’on nous assène constamment en haut lieu et que diffusent inlassablement les « médias », — qu’on va assister à un désengagement systématique de l’Etat, en particulier dans les services publics, destinés plus ou moins à la privatisation.

Certes, le Ministère accordera des contributions aux universités, mais elles s’effectueront sur contrats et seront ciblées. Cela signifie qu’elles iront prioritairement aux établissements qui réduiront la finalité de leurs enseignements à la primo-insertion dans la vie professionnelle [2], qui joueront le jeu de l’autonomie financière, et qui organiseront des filières allant dans le sens de la privatisation et de la “marchandisation” des formations. Par ailleurs, quel crédit peut-on accorder aux promesses financières du gouvernement quand, — outre la pratique bien connue des effets d’annonce —, on sait qu’ « il n’y a pas d’argent dans les caisses » (F. Fillon, N. Sarkozy) ? Les crédits, étiques pour 2008, sont de toute manière votés année par année par le Parlement, en fonction des nécessités politiques et économiques. Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’horizon de notre économie n’est pas particulièrement radieux !

2. Des participations des collectivités régionales.
Les régions notamment seront sollicitées, et pourront accepter, quand elles le voudront et en auront les moyens, de pallier le nouveau désengagement de l’Etat, au détriment de l’égalité entre les citoyens ; avec le résultat que seront lésés davantage encore les territoires défavorisés. Mais, en mettant les choses au mieux, les interventions des régions, onéreuses, seront loin d’être suffisantes, car leurs ressources ne leur permettront pas d’atteindre le niveau du financement public actuel, déjà médiocre.

3. Les financements venant des entreprises.
Sans doute ! Mais les entreprises ne sont pas des organismes philanthropiques ; leurs financements se feront donnant donnant. C’est dire que, là encore, seront privilégiées les universités qui fourniront à celles-ci des cadres moyens ou supérieurs, propres à optimiser leur gestion et leur production. En outre, ces participations se feront par le moyen de contrats à court terme, en fonction des besoins des entreprises, et ne cadreront pas forcément avec les finalités de nos enseignements, qui se trouveront infléchis de la sorte vers des formations immédiatement rentables. Quant aux fondations, aux donations privées, au mécénat, dont on nous promet des merveilles, (en admettant que ces pratiques s’acclimatent en France), elles pourraient bien aboutir à l’aliénation des universités nécessiteuses, prêtes à accepter un financement direct pour subventionner certains de leurs projets, voire des chaires ou des laboratoires.

Certes, nous savons bien qu’il y a beaucoup à faire pour réformer nos enseignements, pour mieux les adapter aux nécessités de « la société tout entière », et nous ne sommes pas hostiles, loin de là, à des réformes qui ouvriraient nos formations à des débouchés professionnels. À condition que nous soyons associés à ces mutations et qu’elles ne nous soient pas brutalement catapultées d’en haut, en fonction de critères unilatéraux et utilitaires. Mais, en attendant que s’instaure une véritable collaboration paritaire entre universités et entreprises, dans l’état actuel des choses en quoi la plupart des patrons seraient-ils intéressés par l’élaboration et la transmission des savoirs, par l’éducation à la réflexion et à l’analyse critique, par notre recherche fondamentale, et pas seulement appliquée, bref, par la plupart des disciplines enseignées, surtout en Lettres et sciences humaines ? [3]

Par ailleurs, ceux d’entre nous qui pensent qu’on trouvera des pactoles dans les caisses des entreprises ont intérêt à lire le récent article de Pierre Gervais, « Oubliez Harvard ! » (« Le Monde », décembre 2007), portant sur la comparaison entre les universités française et américaine : ils comprendront que, même aux Etats-Unis, les universités sont loin de recevoir du secteur privé la manne qu’on imagine.

4. Les droits d’inscription des étudiants.
On en vient à la provenance principale des ressources de nos futures universités « autonomes » : le financement par les étudiants.
Inutile d’insister sur ce point, tant les choses sont évidentes. Les Présidents — qu’ils le veuillent ou non, que cela suscite des remous ou non — seront bien obligés de multiplier les montants des droits d’inscription. À quoi bon avancer des pourcentages : ils seraient stupéfiants !
Il serait utile à ce sujet d’entreprendre une enquête sur le régime des droits d’inscription dans les pays qui nous sont proposés pour modèles. Elle montrerait à l’évidence ce qu’autonomie veut dire !

Quels corollaires résulteraient de cette future conjoncture financière ?

— Les études devenant, pour l’essentiel, payantes, il ne sera guère besoin d’opérer de sélection et nous aurons des universités à plusieurs vitesses : celles qui accueilleront des jeunes fortunés ; et les autres... L’écart ne fera donc que se creuser davantage. Ah oui ! Les bourses ? (Voir plus haut le paragraphe financier). Les prêts bancaires aux études ? Très bon pour les banques (autour de 8% aux Etats-Unis), moins pour les étudiants, qui consacreront de longues années de leur carrière à se désendetter.

— Que deviendront les petites universités, qui ne comptent que quelques milliers d’étudiants, ou qui ne pourront résister à l’âpre compétition entre les établissements ? Faute de ressources, elle dépériront, perdront un bon nombre de leurs enseignements, ou disparaîtront tout simplement.

— On n’a pas suffisamment insisté jusqu’ici sur l’émergence de la carte universitaire raréfiée, qu’entraînerait le séisme de l’autonomie et de la privatisation de l’enseignement supérieur. Il n’est que de voir ce qui se passe dans d’autres secteurs : par exemple, pour beaucoup de tribunaux, bientôt pour les écoles primaires, les services médicaux et hospitaliers, voire les installations militaires. Ces allègements des charges de l’Etat ne feront qu’accroître la désertification des régions et l’émigration des étudiants vers des « pôles d’excellence ».
— Enfin, il y aurait lieu d’évaluer également — mais cela n’entre pas dans le cadre de cet exposé — les répercussions préjudiciables de la réforme sur les organismes de recherche (voir le démantellement du C. N. R.S.) et, bénéfiques, pour les « Grandes » Ecoles. Ces dernières seraient en effet fortement avantagées, dans la mesure, entre autres, où elles forment des cadres qui, par leur sélection et leurs qualifications, s’inscrivent dans l’esprit de la nouvelle loi..

[|III.|]

Le troisième point que nous voudrions considérer est la gestion et le statut des personnels, qu’impose la loi des “libertés et responsabilités”.

On sait qu’en vertu de cette réforme, pour leur statut, leur promotion, leur nomination, les personnels seront gérés par le Président PDG de la future université autonome.

On a beaucoup débattu sur la suppression ou la minoration annoncées des diverses instances représentatives actuelles : par exemple, les commissions de spécialistes qui seront remplacées par des « Comités de sélection » ad hoc. Il en résultera le grave inconvénient que la carrière des enseignants-chercheurs ne dépendra plus des collèges de leurs pairs spécialistes, mais de quelques personnes, pour une bonne part, « choisies ».

On a beaucoup commenté aussi la composition du Conseil d’administration, dont la formation sera désormais restreinte (20 à 30 membres), de telle sorte que la voix des étudiants (5 élus à Paris III), et celle des personnels administratifs (3 élus), et même de certaines catégories d’enseignants du fait d’un système électoral préférentiel [4], ne pourront guère se faire entendre, et surtout pas prévaloir (Liquidons “Mai 68” !).

Mais, il importe à nouveau de souligner fortement que, pour les personnels, le pouvoir discrétionnaire du Président est lourd de conséquences. Pas pour les collègues proches de la retraite, bien sûr (qui sont peu concernés, ou parfois même avantagés), ni pour ceux qui exercent diverses responsabilités à un haut niveau (encore qu’il doivent s’attendre à un certain nombre de suppressions ou de regroupements). D’ailleurs, on constate peu d’opposition à la loi dans ces catégories, et surtout pas chez les « omniprésidents », les grands bénéficiaires de la nouvelle réforme .
En revanche, les menaces touchant les traitements, les horaires de travail, les primes, les promotions, l’évaluation, et même les nominations ou licenciements (pour les non titulaires et les futurs contractuels qu’on nous promet), atteindront de plein fouet la plupart des enseignants-chercheurs et les personnels administratifs. Puisque, désormais, ce ne seront plus les collèges de leur pairs élus, qui décideront de leur sort, le parcours des carrières se fera dans la précarité et l’incertitude. Et l’on voit se profiler ici le renforcement, ou plutôt l’institutionnalisation du clientélisme, avec pour conséquences l’exaspération des rivalités, individuelles et quotidiennes, la compétition, la course au mérite et au favoritisme.

[|*|]

Oui, sans hésitation, nous demandons un rejet systématique de cette loi pernicieuse : une intensification de la résistance, et d’abord le refus d’entrer dans l’engrenage où veulent nous entraîner les bénéficiaires de la réforme.

Nous approuvons, en revanche : à partir d’assemblées générales, la multiplication des groupes d’étude et de réflexion, d’enquêtes auprès de nos “modèles” étrangers, le lancement d’interventions journalistiques, la multiplication de sites internet qui puissent rendre compte de ce que taisent les « médias », des démarches auprès des élus et des candidats aux toutes proches élections municipales, enfin, des contre-propositions constructives [5]. Il s’agit en effet d’aboutir à une réforme élaborée par et avec tous les personnels et étudiants concernés : ceci dans l’intérêt moral, culturel et économique de « l’ensemble de la communauté des citoyens ».

La tâche sera longue et difficile, d’autant plus que certains Conseils d’Administration sont déjà prêts à appliquer la loi (croyant en être récompensés ?), et que leur adhésion, en ordre dispersé, à la politique gouvernementale de privatisation et de réduction des études universitaires aux seules exigences d’une pseudo-professionnalisation la plus courte possible, risque de provoquer une fragmentation de la lutte. Cependant, nous savons que, contrairement à ce qu’ignorent les grands « médias », la résistance à la loi et la réflexion critique et positive se poursuivent activement dans le cadre, entre autres, de nombreux comités locaux de mobilisation, et de nombreux sites internet.

Heureusement, car si nous perdons cette bataille, nous ne parviendrons plus jamais à mettre sur pied l’université de demain, telle que nous la voulons : ouverte, moderne, dotée des moyens indispensables à son fonctionnement, et fondée sur des valeurs démocratiques.


[1Nous désignons par là le groupe restreint des membres du Conseil d’Administration, qui éliront le Président et soutiendront sa politique. Rappelons qu’actuellement le Président est élu par le collège des trois Conseils (d’Administration, Scientifique, des Etudes), soit environ, pour Paris III, 140 membres élus.

[2Ce qui donne la priorité aux demandes immédiates du marché du travail, d’un groupe, voire d’une seule entreprise, au détriment d’une formation préparant les étudiants à assumer, de façon libre et autonome, l’ensemble de leur vie professionnelle.

[3Le règlement électoral qui nous est imposé prévoit un bonus pour la liste majoritaire, ce qui, ajouté au fait qu’un quart des membres du C. A. seront des personnalités extérieures, choisies par le Président, donne la mesure du déni de représentation démocratique des diverses catégories de personnel et des étudiants.

[4Il est intéressant de constater la similitude entre la structure du pouvoir politique présidentiel et celle du futur pouvoir universitaire ; dans les deux cas, on trouve un « omniprésident » ayant une autorité absolue, et traitant directement avec ses administrés, sans guère passer par les corps intermédiaires, affaiblis ou ignorés.

[5Ce n’est pas le lieu ici d’esquisser, ne fût-ce que les grandes lignes d’une réforme respectant et rénovant la vocation de l’université, l’accès du plus grand nombre au savoir, l’égalité des chances, les finalités d’un enseignement lié à la recherche, etc. De nombreuses études ont été effectuées sur ces points, en particulier, par les syndicats (Voir les actes de la « Journée consacrée à la loi « L. R. U » par le Sensup de Paris III — 24 septembre 2007), les organisations « Sauvons la Recherche » et « Sauvons l’Université », ATTAC-France. Tout dernièrement, pour une mise en perspective européenne de ces problèmes, voir Christophe Charles et Charles Souliè, Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe, éd. Syllepse, janvier 2008.