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Verbatim de la 8° séance du séminaire Politiques des sciences : « Nouvelle production du savoir et formation des communautés scientifiques dans les rapports Nord/Sud », 10 mars 2011

vendredi 8 avril 2011, par Elie

Introduction « « Nouvelle production du savoir et formation des communautés scientifiques dans les rapports Nord/Sud », par Michel Agier

Cette séance porte sur un sujet qui m’a semblé important de proposer à mes collègues du collectif de coordinateurs de ce séminaire de Politiques des Sciences. Il doit en effet nous permettre d’intégrer deux éléments à la réflexion sur les transformations de la production du savoir. L’un sur lequel on s’est déjà assez fréquemment interrogé : qu’est-ce qu’une communauté scientifique ? Qu’est-ce qui la forme ? Vous savez qu’un des éléments qui est apparu il y a deux ans, à l’occasion du mouvement de 2009 contre la réforme de l’enseignement supérieur et la recherche, est que les chercheurs et enseignants-chercheurs sont d’autant plus faibles qu’ils ne forment pas un corps social. D’où sans doute la difficulté que l’on a pu constater à faire valoir une position sociale et des revendications pour l’ensemble de la société, mais aussi d’être capable de s’organiser durablement face à un pouvoir. Ce point précis est abordé depuis un certain temps déjà par de nombreux collègues dans les enquêtes et la pratique. C’est en particulier le cas des collègues qui travaillent sur les communautés scientifiques des « pays du Sud », selon la formule consacrée. C’est la raison pour laquelle l’autre élément que je suis content d’apporter au débat dans la séance d’aujourd’hui, c’est celui des rapports Nord-Sud, comme on dit.

Cela concerne les politiques scientifiques des pays européens en direction des pays du sud. L’autre dimension est celle de savoir comment se forment des communautés scientifiques au sein de ces pays, à savoir : l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie. Et puis s’intéresser à la manière dont des communautés scientifiques se forment pose la question théorique et politique des « diasporas scientifiques ». Je précise que, sur le plan anthropologique, mon travail sur les questions de lieux, de délocalisation et de déplacement, me rend assez réservé sur l’utilisation du terme de « diaspora », parce que cela voudrait supposer l’existence d’un territoire délocalisé ou d’une communauté délocalisée. Donc la question des diasporas scientifiques est importante. On peut l’aborder comme un concept qui nous ouvrirait un terrain d’enquête sur la question de savoir ce que deviennent les chercheurs des pays du sud quand ils se disséminent dans le monde, pour ceux qui peuvent le faire ? Est-ce qu’ils gardent leur ancrage local, national pour former des lieux de production du savoir dans leurs espaces locaux et nationaux ? Ou bien, est-ce qu’ils se globalisent individuellement ou en groupe ? Est-ce qu’ils finissent par être complètement globalisés, un peu à la manière de la globalisation selon Appadurai, et perdraient-ils finalement leurs ancrages et leurs intérêts locaux et nationaux ?

Voilà les questions que l’on peut essayer d’aborder, parmi bien d’autres, au cours de cette séance. J’ai invité trois collègues. Rigas Arvanitis est directeur de recherche à l’IRD, sociologue, rédacteur en chef de la revue d’Anthropologie des Connaissances [1]. Dominique Vinck est professeur des universités en sociologie à l’université de Grenoble. Ses recherches portent sur la sociologie des sciences et de l’innovation. Et enfin, le troisième intervenant est Patrice Yengo, qui est anthropologue à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville et chercheur associé au Centre d’Etudes Africaines à l’EHESS et un des animateurs de différents groupes, diasporas et organisations de chercheurs africains hors d’Afrique.

Je vais passer la parole dans l’ordre à Rigas Arvanitis, Dominique Vinck et Patrice Yengo [2].

« La « nouvelle production du savoir » dans les pays non-hégémoniques », par Rigas Arvanitis

Merci de cette invitation qui nous donne l’occasion de présenter un certain nombre de réflexions à partir de travaux empiriques que l’on mène en ce moment et depuis vingt ans dans une équipe qui était dédiée à l’analyse des communautés scientifiques dans les pays en voie de développement. Cette équipe a démarré en 1984 à l’ORSTOM et est en train de s’effilocher gentiment, comme l’ensemble de l’IRD d’ailleurs. [3]

Communauté scientifique et système de la recherche mondialisé

Contrairement à mon habitude, je ne vais pas commencer par définir ce qu’est une communauté scientifique mais je vais essayer de donner quelques éléments au sujet de ce que l’on est en train d’observer aujourd’hui. Par rapport aux années 80, on constate un grand changement qui tient à la conscience que tout le monde a d’appartenir à un grand système mondial de la recherche. C’est une conscience assez nouvelle. Ce n’est pas qu’elle n’existait pas auparavant, mais les modes de communication et de publication actuels font que les gens qui travaillent dans la recherche se sentent plus directement concernés par la communication avec leurs collègues partout dans le monde. Cette géographie de la recherche est très inégalitaire, très hiérarchisée, avec des centres très forts qui forment beaucoup de gens et qui aussi imposent un certain nombre de thématiques de recherche. Cette hiérarchie passe non seulement entre les pays mais également entre les disciplines. C’est un système que nous avons qualifié, Philippe Losego et moi-même, de « système hégémonique ». [4] On a essayé de s’intéresser à un certain nombre de pays dont on ne dira pas qu’ils sont en voie de développement, parce qu’ils ne le sont pas toujours. On parlera plutôt de pays qui sont « non-hégémoniques » dans le sens où, d’une part, ils ont peu d’influence sur « l’agenda scientifique » au niveau mondial –dans la mesure où les thématiques sur lesquelles travaillent les chercheurs de ces pays sont définies ailleurs– et, d’autre part, ce sont des pays non-hégémoniques dans le sens où ils n’ont pas d’instruments financiers forts qui agissent au niveau mondial. Ils ont des instruments financiers généralement localisés, promus habituellement par les conseils nationaux de la recherche, qui se limitent à une consolidation des équipes nationales, mais qui ne peuvent pas lancer de nouvelles thématiques au niveau mondial ou assez rarement.

Le mythe d’une recherche conduite par des individus

Ce système mondial de la recherche attribue des rôles et ces rôles sont toujours individuels. On ne parle jamais d’équipe, de collectif, ni de laboratoire. On parle de gens, d’individus, d’auteurs. Or, p.e. si je me réfère aux travaux de David Pontille, l’auteur est ou représente toujours un collectif. Dans les analyses de la revue Scientometrics, ou les analyses –basées sur la bibliométrie– de ce système mondial, ce sont toujours des auteurs individuels dont on parle. Ce qui se traduit par un effacement de l’organisation collective locale de la communauté scientifique. Il s’agit malgré tout d’une double question parce que, pour les chercheurs sur place, il est vital d’avoir un milieu dans lequel échanger et, d’autre part, il est également vital d’avoir des conditions satisfaisantes pour réaliser de la recherche.

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« Formation de communautés scientifiques : le cas de la Colombie », par Dominique Vinck

e vais pour l’essentiel ne faire qu’illustrer les thèses défendues par Rigas Arvanitis. Il n’y a que sur quelques points que des nuances peuvent se faire jour. P.e., je suis étonné qu’il n’ait pas précisé, lorsqu’il a parlé du système de salaire au Mexique, qu’un problème se pose à son sujet. C’est le fait que maintenant que les professeurs arrivent à l’âge de la retraite, ils découvrent que les sursalaires parfois gigantesques qu’ils ont eus grâce à leurs publications, n’entrent pas dans le calcul de leur retraite. Celle-ci est calculée sur la base du salaire qui, lui, est devenu extrêmement faible. Et cela se transforme en une vraie crise, qui est très nette au Mexique et qui commence à faire des vagues dans d’autres pays d’Amérique latine qui ont instauré le même système.

En Colombie, on retrouve le même système avec des professeurs à l’université qui ont des salaires qui nous feraient rêver, nous, en France, et qui représentent en termes de pouvoir d’achat d’ici, cinq à six fois nos salaires. Mais cela représente des disparités énormes entre les salaires des enseignants selon leur université, leurs publications, etc.

Je vais juste donner quelques éléments d’information par rapport à la Colombie pour rendre quelque peu tangible cette réalité [5].

Par exemple, si on regarde la population des chercheurs en Colombie [planche 2], et des universités, qui regroupent l’essentiel des effectifs de chercheurs, on a seulement 3% des enseignants universitaires qui sont titulaires d’une thèse de doctorat. Ça fait un contraste radical par rapport à ce qui se passe chez nous où, en principe, le passage comme maître de conférences ou professeur est conditionné au fait d’avoir une thèse de doctorat. Or, là, le titulaire d’un doctorat est un cas un peu marginal. Pas dans toutes les universités. En effet, quelques universités concentrent la majorité des docteurs. Ce qui veut dire que bien des universités n’ont presque aucun enseignant ayant une thèse et même où fort peu d’enseignants ont un master.

Si on regarde les chercheurs inscrits dans le système national de la recherche, accessible via une base de données dans laquelle sont entrés les cv, les publications, etc., qualifiés en fonction d’une critériologie qui leur assure une reconnaissance officielle par le système national, on a seulement 9% des chercheurs reconnus en tant que tels dans le système qui ont une thèse de doctorat, 28% qui ont un master. L’immense majorité de ceux qui ont des thèses les ont faites à l’étranger.

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Débat

Michel Agier : Merci à nos trois intervenants. On voit que la problématique se précise, sans conduire pour autant à une réponse homogène puisqu’on est dans des perspectives soit de circulation des enseignants-chercheurs soit de renforcement des institutions nationales. Ce que disait Rigas Arvanitis au début – « tout ce qu’on peut faire, c’est se brancher sur un grand réseau mondial » -, c’est un peu, en résumé, ce qu’illustre finalement Patrice Yengo. Mais en même temps il y a un possible effet à retardement des politiques de « capacity building » qui étaient d’autres politiques qui sont maintenant en train de produire des effets qui se trouvent en décalage aussi avec ces grandes apologies de la dématérialisation et la désinstitutionalisation et dans le « hors-sol », d’un certain point de vue. Est-ce que c’est un décalage de politiques entrainant des effets à retardement ? Ou est-ce que ce sont des politiques différentes, avec des particularismes inévitables, que rappelait Dominique Vinck ? Il y a certes des grandes tendances que l’on retrouve globalement ou mondialement, mais il y a toujours des configurations nationales particulières qui font que les mêmes discours et les mêmes politiques ne produisent pas un effet d’homogénéisation à l’échelle mondiale.

Caesar Gordon : La première chose qui m’intéresse, c’est de regarder le développement de la recherche dans les « pays du Sud » – un terme qui pose problème – dans ses tentatives de prendre ou de reprendre prise sur la recherche et un droit pour ces pays de s’exprimer en leur nom. La deuxième question porte plutôt sur l’origine de ces débats post-colonialistes. Vous avez mentionné ces compétences particulières que certains chercheurs peuvent avoir quand ils rentrent dans leur pays d’origine pour étudier ce qui s’y passe. Cela pose la question de la légitimité. Par exemple, j’ai des origines jamaïquaines, je fais un travail de terrain en Jamaïque, mais est-ce que ça veut dire que j’ai une place plus légitime que d’autres ? Je ne le pense pas.

Emmanuel Saint-James : Je suis arrivé en retard à cette séance car je donnais un cours juste avant. Je suis donc un peu gêné pour prendre la parole et en particulier parce que je suis arrivé au milieu d’une phrase qui m’a un peu surpris qui est que toute cette politique que l’on perçoit quand même comme étant la même un petit peu partout dans le monde ne produirait pas les mêmes effets. Je ne suis pas convaincu de ça. Je pense que les différences sont marginales et qu’elles peuvent s’expliquer par des facteurs locaux. En particulier, dans ce que j’ai compris de la Colombie où il y aurait des universités qui seraient très axées sur la recherche et d’autres sur l’enseignement, cela répond à quelque chose qui en France se présente très différemment ; c’est à dire que nous avons des organismes de recherche et nous avons des universités de taille parfois microscopique et donc cela correspond à une réalité sociale, pas nécessairement à un besoin. Mais je n’ai pas l’impression que l’on ne puisse pas dire qu’il y a tout de même une ressemblance sur l’essentiel dans toutes les politiques qui sont menées au niveau international en ce moment.

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La version audio de la 8° séance du séminaire politiques des sciences est consultable ici :

http://tinyurl.com/4fdmq4o


[1Revue en ligne accessible à l’adresse suivante : http://www.ird.fr/socanco/

[2Cette contribution n’a pas pu (encore) être mise en ligne. Elle est accessible en version audio.

[3Notre équipe a été intégrée cette année dans l’UMR 201 IRD-Paris 1. http://recherche-iedes.univ-paris1.fr/ Cela marque la fin de la seule équipe spécialisée en Europe sur la science dans les pays en développement…

[4Losego, Philippe & Rigas Arvanitis (2008) ‘La science dans les pays non-hégémoniques’, Revue d’Anthropologie des Connaissances 2(3):334-42.

[5Téléchargez Le fichier Powerpoint de l’intervention de Dominique Vinck à cette adresse :

http://tinyurl.com/4r8246p (cliquer sur la page à gauche HTTP:All Files, puis DominiqueVinck.pwt). Dans le texte les mentions [planche (numéro)] indiquent le numéro de la planche du powerpoint que le propos commente.