Accueil > Communiqués et textes de SLU > « Universités post-LRU : une faillite annoncée ». Audition de SLU par M. (...)

« Universités post-LRU : une faillite annoncée ». Audition de SLU par M. Thierry Mandon, député de l’Essonne (groupe SRC), membre de la Commission des finances, rapporteur de la mission « enseignement supérieur et vie étudiante » – 13 septembre 2012.

samedi 22 septembre 2012

Le texte qui suit est la trame du texte préparatoire à l’audition qui s’inscrit dans le cadre de la préparation du projet de Loi de finances 2013. Étaient présents pour SLU : Étienne Boisserie, Pascal Maillard, Christine Noille.

Nous aimerions pour commencer relire ensemble les grands intitulés d’un texte dont nous partagerons à l’évidence les analyses : « Un coût d’arrêt à la progression des moyens de l’ESR » ; « Une progression en trompe-l’œil », « La hausse des crédits de fonctionnement ne compense pas l’inflation », « Les marges de manœuvre des universités réduites à peau de chagrin » ; « L’insuffisante compensation du Glissement Vieillesse Technicité », etc.
D’où proviennent ces constats accablants ? … De l’avis sur la partie Recherche et enseignement supérieur du projet de loi de finances 2012, rendu par les sénateurs socialistes Jean-Pierre Plancade et Dominique Gillot.

À lire ce rapport comme d’autres émanant de l’Assemblée nationale ou encore de la Cour des comptes, il est clair que le diagnostic sur l’état financier des universités est à la fois connu et partagé : la très grave crise budgétaire à laquelle se heurtent de plein fouet les universités (et qui est allée s’accentuant depuis un an, depuis la date où ce rapport a été écrit), cette faillite sans précédents des budgets universitaires est analysée dans tous les rapports officiels, qui tous ont confirmé les alertes lancées depuis longtemps par les organisations syndicales et les associations. La ministre en a elle-même pris acte dans un entretien récemment paru.

Autrement dit, le choix que l’université attend de la représentation nationale n’est pas que de l’ordre du constat budgétaire, il est politique, il est une attente d’action. Il s’agit en effet de trancher cette question décisive : accepte-t-on, au nom de la rigueur, de substituer au financement récurrent de l’Etat un financement par appels à projets et un impératif d’auto-financement – au risque de creuser plus encore les déséquilibres provoqués par la politique menée depuis 10 ans –, ou s’engage-t-on à dégager des marges de manœuvre pour rééquilibrer les budgets récurrents et donner aux universités les moyens de pratiquer la politique de démocratisation de l’enseignement supérieur dont se prévaut (aujourd’hui plus encore qu’hier) le gouvernement ? Et incidemment, comment comprendre et justifier que la priorité donnée à juste titre à la formation de la jeunesse par la nouvelle majorité ne concerne pas les budgets récurrents de l’enseignement supérieur en général et des universités en particulier, qui sont par ailleurs considérées comme devant jouer un rôle clé dans ladite formation, et plus avant dans le redressement économique de notre pays ?

Dégager des marges de manœuvre et rééquilibrer les budgets : nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre présentation. Mais pour répondre au questionnaire que vous avez bien voulu nous soumettre, nous regrouperons en trois grands ensembles nos interventions liminaires, avant d’entrer dans une conversation plus informelle : nous ferons d’abord un point sur la situation financière générale de l’université, puis un point sur l’emploi, et enfin un point sur les conséquences en termes de formation et de recherche d’un certain nombre de dispositifs mis en place par les nouvelles réglementations et réformes de ces dernières années.

1/ La situation financière générale des universités et leur financement (questions 2, 3, 7)

(Question 2) Quelle appréciation portez-vous sur la situation financière des universités ? Quelles sont les universités qui font face à des difficultés particulières ? Quelle en est l’origine ?

L’état des finances des universités est en apparence connu et reconnu par le ministère : 23 universités ont accusé deux années successives de déficit en 2010 et 2011 et 50% d’entre elles auront en 2013 un fond de roulement inférieur à un mois de fonctionnement, si rien n’est fait. Mais ceci ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Les universités ne doivent pas seulement subir une limitation drastique de leurs marges de manœuvre financières les contraignant à geler toute politique d’investissement. En raison d’un budget récurrent de l’Etat notoirement insuffisant, de retards systématiques dans le versement du Glissement Vieillesse Technicité (G.V.T.) – ou de sa mauvaise évaluation – et d’une explosion de la masse salariale sur ressources propres, les universités s’engagent aujourd’hui dans un processus de destruction massive de leur offre de formation. Voir le cas de Limoges, Pau et Bretagne-Sud, … Le président de la CPU vient de rappeler l’urgence du problème.
Car on en est arrivé à ceci : pour tenter de présenter des budgets équilibrés, les universités sont contraintes de faire les fonds de tiroir des budgets de fonctionnement des composantes, privées de 10 à 20% de leurs moyens, de baisser les montants des budgets recherche et d’annuler des appels à projets internes émanant des CS, de supprimer des dizaines de milliers d’heures d’enseignement, de regrouper et de mutualiser des T.D. en augmentant toujours plus la basse de seuil de leurs effectifs, de fermer des parcours, des spécialités et parfois même des diplômes. Un groupe anonyme de présidents d’universités a décrit cette situation, les problèmes concrets qui se posaient fin 2011 et qui vont s’accentuer à cette rentrée. Dans le même temps, on leur demande de « gonfler » les maquettes des parcours licence subsistants pour répondre à l’injonction de 1500h. Bien plus, les gels de postes d’enseignants-chercheurs se comptent désormais par centaines et affectent tous les établissements. Ces mesures d’économie, contraintes, portent sur le cœur de métier des universités (la formation et la recherche), mais d’abord sur l’offre de formation, dans les petites universités, dites « de territoire », comme dans les plus prestigieuses (une centaine de postes gelés à Paris 7 cette année). Poussées à rechercher des sources de financement propres, les universités n’ouvrent que des diplômes dont les droits d’inscription sont sensés compenser le désengagement de l’Etat, au risque de faire une croix sur tout projet authentique de démocratisation de l’enseignement supérieur. Des arguments financiers couplés avec la politique d’austérité risquent ainsi de faire sauter le verrou de l’encadrement règlementaire des frais d’inscription.
Quelles sont les causes principales de cette situation financière calamiteuse des universités et de leur paupérisation ? Tout d’abord les charges considérables induites par le passage aux RCE, non compensées par l’Etat. Ensuite le coup des restructurations (Fusions, PRES). Enfin la course aux investissements d’avenir et aux dépenses inconsidérées liées à ces projets (consultance onéreuse et inefficace, embauches de personnels pour l’élaboration et le suivi des projets). Par ailleurs il faut dire que certaines universités ont eu une gestion financière particulièrement imprévoyante.

Question 3 : Les documents budgétaires retracent une augmentation substantielle des dotations des universités depuis leur passage aux responsabilités et compétences élargies. Comment concilier ces chiffres avec les difficultés financières croissantes dont font état plusieurs universités ?

Sans préjuger de nos compétences en finances publiques, les documents budgétaires, et notamment les crédits votés pour la MIRES sont répartis sur différents programmes et le programme « formations supérieures et recherche universitaire » n’en est qu’une composante (49% des dépenses nettes de la mission pour 2011).
Or, entre 2007 et 2011, calculée à périmètre courant, l’évolution de l’exécution des crédits a été de 14,9%, soit environ un tiers au-dessus de l’évolution de l’inflation – des transferts de masse salariale de certains personnels venant du programme 231 devant par ailleurs être pris en compte dans cette augmentation – sans tenir compte de ce qui a été, alors que le périmètre d’intervention des établissements n’a cessé de se développer. (Cour des comptes, Analyse de l’exécution du budget de l’État par missions et programmes, Exercice 2011, MIRES, mai 2012, p. 26.)
Autre difficulté que les indicateurs d’augmentation globale ne permettent pas d’évaluer : le plus souvent le financement recherche est sur crédits affectés et non récurrents. Pour avoir une idée précise de ce qui se joue dans les universités, le budget de chaque établissement doit être regardé en détail et peut faire apparaître deux types de phénomènes : tel secteur recherche florissant qui en côtoie d’autres en déshérence ou un secteur recherche dynamisé dans un contexte de grande difficulté à maintenir l’offre pédagogique dans des conditions acceptables. Enfin le financement de la recherche sur projets induit des coups de maintenance (et éventuellement de poursuite des projets) pour l’université qui, le plus souvent, ne sont pas pris en compte, et donc pas couverts.
Dernier point, il faut y revenir, l’insuffisance de l’encadrement (aussi bien pédagogique qu’administratif et technique) en titulaires contraint les universités à des recrutements contractuels qui pèsent lourdement sur la part du budget non affectée à la masse salariale sous plafond (cf. Grenoble 3) et qui pèse d’un poids important dans le constat de la Cour des comptes.

Question 7 : Que pensez-vous du système actuel d’allocation des moyens aux universités ? Pour ce qui concerne la part calculée de la dotation, les critères d’activité et de performance vous paraissent-ils bien choisis ? Quant à la part négociée de la dotation, vous semble-t-elle équitablement répartie ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?

D’un point de vue général, le système actuel, pour des raisons qui tiennent à des choix politiques du gouvernement sortant, n’a en rien amélioré la situation des établissements ou des champs disciplinaires sous-dotés. Le premier point est mis en valeur dans plusieurs rapports, le second a été soulevé récemment par une tribune de plusieurs présidents d’universités où ces champs disciplinaires sont importants.
Plus précisément, nous considérons que les indicateurs de performance n’ont aucune pertinence dans leur application à la recherche (à l’aune de quoi s’évalue cette « performance » ? personne n’a jamais répondu à cette question) comme de l’enseignement. De ce point de vue, les critères de taux de passage ou d’obtention de la licence en trois ans sont ineptes.
Pour la partie négociée de la dotation, qui représente une part trop faible de l’ensemble, elle est à l’image du problème budgétaire général : les dépenses courantes et/ou récurrentes y sont sous-estimées, elle ne prend pas en compte les coûts complets, elle est le plus souvent déconnectée des dynamiques réelles des contrats qui sont mal appréciées. Par ailleurs, il est désormais établi qu’elle n’a pas permis de corriger les déséquilibres antérieurs, que ceux-ci sont actés et que la politique poursuivie – par ce biais ou par d’autres – consiste à arroser là où c’est déjà mouillé. En outre, et ce n’est pas un problème accessoire, certaines filières, les LSHS, continuent d’être fortement sous-dotées, lors même qu’elles doivent accueillir la part la plus importante des étudiants (voir tribune parue dans le Monde en juin 2012 et co-signée par un certain nombre de Présidents d’université SHS). Dans un mécanisme prétendument basé sur la performance, le maintien de déséquilibres structurels aussi forts, et sur lesquels il n’est jamais réfléchi, a des effets cumulatifs.

2/ L’emploi dans les universités (questions 4, 5 et 6)

Question 4 : La Cour des comptes rend compte, dans son rapport sur l’exécution budgétaire paru en mai dernier, d’une augmentation continue des effectifs et de la masse salariale des universités depuis leur passage aux RCE. Comment analysez-vous cette tendance ?
Question 5 : La Cour des comptes pointe du doigt la croissance rapide des emplois hors plafond des universités, concomitante à une diminution des emplois sous plafond. Quelle est, selon vous, l’explication de cette explosion des emplois hors plafond ?

Nous traitons ensemble les questions 4 et 5 qui sont liées. Il nous semble manifeste que la baisse de presque 5000 ETP dans l’exécution des plafonds d’emploi entre 2008 et 2011 et surtout le différentiel de 8500 ETP entre le plafond exécuté et celui prévu par la loi de finance 2011 ont pour causes principales la montée en puissance des charges liées au passage aux RCE et la situation financière des établissements qui en a découlé. L’explosion des emplois sur ressource propre (MS hors plafond) peut s’expliquer par six facteurs :

- les créations d’emplois administratifs liées au transfert de la gestion de la masse salariale et à la montée en puissance des services dédiés aux finances, au contrôle ou au pilotage ;

- l’embauche de cadres intermédiaires et supérieurs pour renforcer les services centraux dans les cas de fusion ou pour les nouvelles structures juridiques (fondations, etc.) ;

- la mise en place de la politique d’excellence qui a conduit à des créations d’emplois en CDD dédiés au pilotage, à l’expertise, à l’élaboration et au suivi des projets ;

- la création de postes d’EC et de C en CDD et sur ressources propres ;

- le développement important des services communication et de la politique numérique des établissements qui a conduit à de nombreuses embauches ;

- le recours massif à des CEV ou à des contractuels d’enseignement pour pallier au déficit d’EC ou en raison de leur coût salarial inférieur.

Enfin, dans un certain nombre de cas, ce décalage provient de la nécessité de geler des emplois sous plafond – en ne procédant pas au recrutement nécessaire sur poste vacant – pour être sûr de pouvoir couvrir la masse salariale elle-même insuffisamment couverte par la dotation État. Cette solution – recrutement hors plafond – est la seule alternative possible dès lors que l’établissement refuse de réduire son offre de formation, la dynamique de sa recherche ou d’abandonner ses projets de développement. Aucun établissement n’échappe à cette difficulté.
Cette évolution, accélérée en 2010 dès lors que les établissements ont été autorisés à faire figurer dans les « hors plafonds » des CDI intégralement financés sur ressources propres est la résultante de deux phénomènes : d’une part, une dotation initiale insuffisante à couvrir l’ensemble de la masse salariale et des charges induites dans ce domaine par le passage aux RCE, d’autre part la nécessité d’un recours croissant à du personnel qualifié pour faire face aux charges nouvelles d’administration, de gestion de pilotage de toutes sortes que requièrent les processus de contrôle, appels d’offre, non budgétés. Enfin, ce processus (que traduit très bien la courbe montrant l’explosion du travail précaire à l’université publié dans la Note d’information de l’ESR du 12.08 de juillet 2012) relève d’un recours de plus en plus fréquent à du travail précaire, y compris dans les charges d’enseignement et de recherche.

Question 6 : Que pensez-vous des 5000 créations de postes annoncées par le Gouvernement dans l’enseignement supérieur ? Elles doivent permettre d’améliorer la réussite des étudiants en difficulté, en renforçant leur accompagnement et en renouvelant les pratiques pédagogiques : cette orientation vous paraît-elle bonne ?

En l’absence d’indication sur la répartition et le fléchage, on ne peut que se prononcer sur le nombre et le rythme annuel. Le nombre est notoirement insuffisant au regard de la sous-administration criante des établissements et du manque d’enseignants-chercheurs. A défaut d’être plus élevé il conviendrait de pouvoir disposer d’une montée en charge plus forte dès la première année (2000) ou sur les deux premières année (2X1500). 1/3 au moins des créations devraient consister en emplois administratifs et techniques. SLU émet les plus grandes réserves sur la création éventuelle de nouveaux postes de PRAG et de PRCE. Enfin ces 5000 emplois nouveaux ne constitueront qu’un levier très faible pour augmenter l’encadrement des étudiants si les établissements sont contraints durablement à geler des postes en raison de leur déficit endémique.

3/ Les bilans des dispositifs (questions 9 à 12)

Quel bilan du plan pour la réussite en licence ? (Question 9) Comment s’est traduit concrètement le plan Licence dans les universités ? Quel bilan en tirez-vous ? Quelles sont vos propositions pour améliorer la réussite des étudiants, notamment en premier cycle ?

Nous avons déjà analysé le P. R. L. lors d’une précédente audition avec Martine Faure. Nous n’ajoutons ni ne retirons rien à cette analyse corroborée d’ailleurs depuis par différents rapports. En substance, l’ambiguïté du PRL était d’être destiné à tous les étudiants et qu’il posait des problèmes de nature générale : groupes de niveau impossibles ; dispositif parfois vécu par les étudiants comme une punition, caractère non obligatoire qui peut empêcher d’atteindre les étudiants qui en ont le plus besoin ; nombreux dispositifs gadgets et impraticables (comme le projet professionnel en S1L1). Enfin, pour certains étudiants, les difficultés ou lacunes à la sortie du lycée sont de telle nature que la remédiation est impossible dans un cadre universitaire. Une partie du public théoriquement visé a donc échappé ou s’est exclue du PRL. Toutefois, ponctuellement ou localement, le PRL a pu sembler avoir de bons résultats, mais cela dépend de son contenu, pas de son existence. Mal ciblé, utilisé de façon très inégale selon les composantes (à l’UdS le coût par étudiant du PRL va de 80 centimes d’euros à 80 euros selon les composantes), sans moyens suffisants, il n’a pas été à la hauteur de ses promesses. En toute hypothèse, ce qui était visé dans la mise en œuvre du PRL n’a rien à voir avec une formation universitaire/disciplinaire. Et les dispositifs intervenant dans la licence depuis lors n’ont fait qu’accentuer et accélérer cette tendance.
Où l’on en vient donc à la question de « l’amélioration de la réussite des étudiants en licence ».
Elle suppose pour SLU une mesure préalable et simple : l’abrogation de l’arrêté licence du 1er août 2011 (qui doit entrer en pleine application au 1er septembre 2014) et l’ouverture d’une large concertation avec les parties intéressées, au premier rang desquelles les organisations représentatives des différentes catégories de personnels qui doivent le mettre en œuvre au quotidien.
Aucune réflexion ne peut être menée dans ce cadre qui ne conduise à une impasse parce que cet arrêté est l’incarnation réglementaire de la négation de l’enseignement et de la formation universitaires ; imposé sans avoir fait l’objet de la moindre concertation, il révèle tout à la fois une grande méconnaissance de ce qu’est l’enseignement universitaire et un profond mépris à son égard.

Cf. la contribution de SLU aux Assises de l’ESR, où nous dénonçons les conséquences en termes de dévaluation des enseignements, de dispositifs tels que le référentiel de compétences ou l’introduction de stages de pseudo-professionnalisation). Ce sont des points que nous avons développés dans plusieurs textes et sur lesquels nous ne reviendrons pas ici.

Deuxième point général ; il est inenvisageable pour l’université française de travailler sur le sujet à moyens constants, lors même que l’OCDE rappelle tous les ans que nous avons l’avant-dernier ratio d’enseignant par étudiant et un ratio personnel Iatos-enseignant trois fois inférieur à la moyenne OCDE. Sans prise en compte sérieuse de ce sous-encadrement massif et structurel, aucune solution proposée ne pourra dépasser l’effet d’annonce. Ce double sous-encadrement a des effets quotidiens sur le travail des personnels administratifs et enseignants.

(Question 10) Que pensez-vous du programme d’investissements d’avenir ? Comment la communauté universitaire s’est-elle mobilisée pour répondre aux appels à projets ? Les résultats des appels d’offre vous paraissent-ils justes ? Qu’attendez-vous du Gouvernement sur ce sujet ?

Nous avons très tôt fait connaître notre opposition à ce dispositif pour des raisons qui tenaient autant à ses objectifs qu’à ses conditions prévisibles, puis avérées, de mise en œuvre. Sur ce sujet comme sur d’autres, les effets délétères produits sont conformes à ce que nous en attendions.
Il est inexact de dire que la communauté universitaire s’est « mobilisée » sur le volet le plus dangereux – et pour tout dire, le « cœur » du projet – que constituent les Idex. Ceux-ci ont en effet été élaborés dans le secret le plus absolu, sans informations, y compris des instances qui auraient eu statutairement à connaître. Le processus Idex a été conduit, sciemment et sans vergogne, en dépit des dispositions législatives et réglementaires : sans accord des conseils d’administration, en dépit des dispositions législatives qui leur accordent compétence exclusive en matière budgétaire, de définition des politiques pédagogiques et de recherche. Dans plusieurs cas, des élus des CA ont protesté, des recours ont été déposés (voir ici pour la vague 1 et ici par exemple pour la vague 2).

Les résultats des appels d’offre ne sont pas « justes ». Cela n’était pas leur objet. L’ensemble du processus avait vocation à discriminer, par territoire – « déserts d’excellence » sur une moitié du territoire et en Rhône-Alpes par exemple –, par établissement et par grand champ disciplinaire – les SHS ont été systématiquement sacrifiés, réduites à la part congrue. Strasbourg en est un exemple significatif ; sur 54 millions de dotation aux Labex 1ère vague de l’UdS 2 iront aux SHS et 52 à la santé et la chimie. Les critères de sélection étaient de nature exclusivement institutionnelle et n’avaient rien à voir avec un objectif de nature scientifique – que le jury international était, en tout état de cause, incapable d’évaluer –, comme en attestent les « recommandations » des jurys qu’il nous a été donné de lire.
Nous attendons du gouvernement sur ce sujet, et nous l’attendons depuis le lendemain des élections du printemps, qu’il ne signe plus aucune convention tripartite attributive d’aide (dite « convention tripartite ») et que, pour celles qui ont d’ores et déjà été signées, il annonce un moratoire immédiat – préalable à une analyse contradictoire avec les représentants des personnels concernés. Les sommes non attribuées doivent être réattribuées de manière équilibrée. À cet égard, et concernant les Idex, l’argument du « travail des universitaires » pour monter le projet est inopérant : ces projets ont été élaborés en dehors des structures universitaires, par des équipes restreintes, et sans mandat de leurs conseils, cornaquées par des cabinets d’audit et de conseil.

Incidemment, il existe une incohérence à prétendre réfléchir au poids relatif de l’ANR dans les prochaines années comme l’a fait à plusieurs reprises la ministre depuis sa nomination et comme le réclament l’ensemble des acteurs universitaires et du monde de la recherche sans mettre fin, par mesure de simple sauvegarde et par souci élémentaire de cohérence, à la maîtrise complète de ladite agence sur les Idex. L’analyse des conventions Idex montre par ailleurs que les Idex transforment profondément la fonction de l’ANR et une extension de sa mission de contrôle (voir ici). Sur ce sujet comme sur les autres, seuls les actes comptent.

Sur l’immobilier universitaire (Question 11) et l’appréciation portée sur la formule des PPP (question 12) que nous pouvons joindre.

A défaut de disposer d’une évaluation nationale des CPER 2007-2013 et en attendant les résultats de l’audit en cours sur le plan Campus, la portée de notre analyse se limite aux exemples strasbourgeois et grenoblois. Comme pour toutes les autres universités, on peut considérer que le Plan Campus est aujourd’hui gelé, faute de crédits. Les intérêts chichement versés aux établissements ne permettent, dans bien des cas, que de couvrir l’étude des projets.
Le précédent gouvernement a exercé un véritable chantage aux PPP, cédant aux pressions de certains grandes entreprises du BTP.

Concernant le CPER, à partir de l’exemple alsacien on pourrait résumer la problématique générale en deux points.

- des contrats trop ambitieux (ou trop politiques) non réalisés. Globalement un bilan ferait apparaitre des taux de réalisation autour de 70 %, sur des durées de 6 ans. Les projets non réalisés sont soit "perdus", soit reportés de sorte que des investissements essentiels se trouvent durablement bloqués. La non réalisation ou l’arrêt des projets provient, le plus souvent, de l’absence de déblocage des contributions financières de l’Etat ;

- La nature des CPER et le souhait des collectivités d’avoir des projets emblématiques induisent une inflation des m2 pour l’université sans que les crédits de fonctionnement y soient associés, lors même que la dotation par m2 est déjà sous-évaluée comme le rappelait l’avis sénatorial sur le projet de loi de finances 2012.
Deux pistes d’améliorations :

- Avoir des projets moins ambitieux, mais qui s’inscrivent dans une programmation financière pluriannuelle et solide de la part de l’Etat ;

- S’inscrire dans un cycle vertueux de limitation des surfaces en priorisant des projets "rénovations énergétiques" (ce peut impliquer des opérations de démolition-reconstruction).

Concernant plus spécifiquement les PPP, la position de SLU est claire, depuis longtemps : Ces dispositifs sont des bombes à retardement pour les finances publiques, et les budgets des universités concernées. Les problèmes que posent ces PPP sont tout à fait identifiés (voir par exemple ici) et il est incompréhensible qu’il n’en soit tiré aucune conclusion.
La Cour des comptes a rappelé, d’une part, que « la formule juridique et financière retenue pour en assurer la réalisation, à savoir une autorisation d’occupation temporaire du domaine public assortie d’une convention de location, ne manquera pas d’avoir à termes de lourdes conséquences sur les comptes de l’Etat » et que, d’autre part, « cette formule apparaît inopportune s’agissant d’un service public non marchand puisqu’en l’absence de recettes elle fait entièrement reposer sur les finances de l’Etat une charge disproportionnée au regard de l’allègement de la charge budgétaire immédiate qu’elle permet sur le montant du déficit comme sur celui de la dette publique. » On ne saurait mieux dire que ces PPP constituent à la fois une formidable aubaine pour des opérateurs privés avisés et une bombe à retardement pour les budgets universitaires, le tout sous le patronage bienveillant de la puissance publique.
Les PPP doivent être abandonnés immédiatement, et des solutions juridiques ad hoc trouvées pour délier les universités et établissements d’ores et déjà liés par ce dispositif dont de nombreuses dispositions sont proprement léonines.

Les priorités (question 8) : en manière de conclusion

En tout premier lieu le gouvernement mais aussi notre représentation nationale ne sauraient faire l’économie d’un bilan critique et lucide de la politique antérieure qui a conduit au désastre que nous connaissons. Ce bilan requiert tout d’abord une évaluation du coût du passage aux RCE et en particulier des surcoûts engendrés par les dépenses liées au transfert de la gestion de la masse salariale et parfois à la dévolution du patrimoine. Il exige ensuite qu’un descriptif précis et qu’une analyse soit produite, dans chaque établissement, chaque PRES et chaque pôle, de l’impact de la politique d’excellence, que ce soit en terme de soutenabilité financière ou d’équilibre disciplinaire et territorial.

Ensuite un bilan objectif ne peut contourner l’impératif de reconsidérer l’intérêt et la viabilité des multiples structures juridiques qui ont dilapidé le potentiel du service public de recherche et ses finances mêmes, en les soumettant à la logique marchande du secteur privé : les SATT, les fondations en tous genres et les PPP n’ont pas à ce jour fait la preuve qu’ils constitueraient un atout pour le développement et la valorisation de nos universités. Au contraire, ces nouvelles structures profitent d’abord à des intérêts privés quand elles ne favorisent pas des situations de conflits d’intérêts au sein d’établissements publics dont les instances de pilotage ont souvent pour membres des personnes issues du monde de l’entreprise et de la finance.

Enfin – et c’est certainement le plus important – sur la base de ces bilans que les Assises devraient avoir pour priorité de construire, et en tenant compte d’un contexte budgétaire tendu, il convient de dégager en urgence les moyens financiers nécessaires aux universités pour retrouver leur équilibre financier, financer leur masse salariale, préserver et développer leur offre de formation, soutenir leur recherche en tenant compte de leur richesse et de leur diversité disciplinaire, et en particulier les SHS. À cette fin SLU demande que les crédits de l’ANR soient en grande partie réaffectés à la MIRES, qu’une part du CIR soit redéployé vers les universités et les organismes de recherche et qu’un véritable plan pluriannuel de création de postes soit mis en place. Les ressources ne manquent pas et sont même immédiatement disponibles si le gouvernement et notre représentation nationale ont la volonté politique de prendre l’argent là où il se trouve.