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Universités : budget de rigueur, déficits entretenus - Mediapart, Lucie Delaporte, 26 septembre 2013

samedi 28 septembre 2013, par Elisabeth Báthory

La présentation du budget 2014 pour l’enseignement supérieur et la recherche, globalement stable, laisse augurer que la situation financière – critique – des universités n’est pas près de s’améliorer. À moins de changer de modèle.

Lors de sa conférence de presse de rentrée, la ministre n’avait tout simplement pas prévu d’aborder le sujet. Comme s’il était réglé, terminé, et pour tout dire légèrement has been… En cette rentrée, la situation financière des universités, désormais autonomes, n’a pourtant jamais été si difficile. Quinze universités seront en déficit. Autant que l’an dernier. Cinq le sont pour la deuxième année consécutive et devraient normalement passer sous la tutelle de l’État. Trente-huit universités ont un fond de roulement de moins de 30 jours – le seuil prudentiel à normalement ne pas dépasser pour un établissement public. Huit sont en deçà des quinze jours, Bercy ayant exceptionnellement autorisé ce nouveau seuil.

En présentant son budget 2014 pour l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso a pourtant tenu en effet à afficher une certaine satisfaction. Au regard des neuf milliards d’économie sur le budget de l’État, « on peut dire que c’est un budget priorisé », a-t-elle rappelé, soulignant une hausse de 0,5 % par rapport à l’an dernier. L’essentiel de l’effort budgétaire est dirigé vers les étudiants (+ 6 %), par augmentation de l’enveloppe des bourses, « l’une des plus belles progressions ». Pour les universités, le budget est quasiment stable de 12,75 milliards à 12,81 pour 2014. Autant dire que ce nouveau budget n’améliorera en rien à l’asphyxie financière des universités.

Car au-delà de la quinzaine d’universités en déficit, celles qui ont réussi à rester à l’équilibre l’ont fait au prix d’économies drastiques : réduction massive d’heure de cours (43 000 heures à Strasbourg), gel des recrutements, coupes dans les budgets de maintenance et d’entretien. À Montpellier 3, la présidente Anne Fraïsse a annoncé que dans certaines sections, il faudrait tirer les étudiants au sort, et surtout, qu’elle serait obligée de fermer l’antenne de Béziers, où sont accueillis 800 étudiants, son université accusant pour la deuxième année de suite un déficit de 3,5 millions d’euros. Une annonce qui fait désordre en cette rentrée et qui a provoqué, par presse interposée, un échange cinglant avec la ministre. Fioraso a d’abord répliqué qu’à ses yeux rien ne justifiait une telle fermeture, la ministre assurant « ne pas comprendre » comment l’université pouvait afficher un tel déficit.

Anne Fraïsse a depuis décidé de publier l’intégralité des échanges avec le ministère, qu’elle alertait depuis des années sur la situation de son université puisque, elle, en tout cas, semble avoir une idée assez précise des raisons pour lesquelles sa fac est à nouveau dans le rouge. « Nous avons un déficit structurel depuis le passage aux RCE (responsabilité compétences élargies – c’est-à-dire l’autonomie de gestion –ndlr) de 3,5 millions d’euros par an », assure-t-elle avant de lister la somme des charges transférées aux universités et non compensées : « Le GVT (glissement vieillesse technicité, c’est-à-dire l’augmentation mécanique de la masse salariale du fait du vieillissement – ndlr) : 1,5 million d’euros, l’action sociale – la somme allouée ne couvre que la moitié des dépenses obligatoires. À cela il faut ajouter le prélèvement obligatoire de redressement des finances publiques de 400 000 euros. » Pas question pour elle d’utiliser les treize nouveau postes officiellement octroyés à l’université – dans le cadre des mille postes par an inscrits au budget. Comme dans beaucoup d’autres établissements, ils serviront simplement à combler un peu le déficit…

Si la présidente de Montpellier 3 a choisi de monter au front, beaucoup de ses collègues admettent plus discrètement être dans la même situation. Même une université modèle, comme celle de Lorraine, reconnaît, selon un document interne que Mediapart a pu consulter, la sombre perspective pour l’an prochain. Il faudra, explique la présidence dans ce langage de consultant en restructuration qui a désormais envahit l’université, mener pour 2014 le : « pilotage de l’équilibre financier dans un contexte économique dépressif : hausse des charges et fragilité, si ce n’est baisse, des ressources. » À croire que l’optimisme du ministère n’est pas communicatif.

« Il serait facile de combler le déficit des universités »

Un prof et directeur de labo de Paris 13, une des facs les plus en difficulté aujourd’hui, détaille le système d’allocation de moyens, baptisé SYMPA. Celui-ci évalue en fonction de centaines de paramètres (nombre d’étudiants inscrits, effectivement présents, filières, etc.), les besoins financiers de l’université. « À chaque fois on reçoit moins que ce qui est calculé », montre-t-il, tableau à l’appui. Renseignement pris, trois quarts des universités ont en effet des dotations inférieures à ce que préconise ce système. « C’est un mode de calcul qui fonctionne mal et qui doit être remis à plat », reconnaît un conseiller du ministère.

Pour cet universitaire, il n’en reste pas moins que le déficit des universités est largement construit et entretenu. « Quand on regarde le budget du crédit impôt recherche de plus de cinq milliards d’euros qui profite surtout aux grandes entreprises, on mesure comme il serait facile de combler le déficit des universités », peste-t-il. Face aux universitaires qui crient au feu et craignent de ne plus pouvoir assurer leurs missions élémentaires, les responsables du ministère restent stoïques : « J’ai entendu ça des milliers de fois. Honnêtement, ça ne m’inquiète pas tellement. Ils se débrouillent toujours. L’argent est là », affirme un membre du cabinet de Geneviève Fioraso, qui détaille toutes les économies que les universités peuvent encore réaliser. On comprend alors que certes, les universités vont devoir se serrer la ceinture, mais qu’il n’y a rien d’insurmontable, voire que c’est pour leur bien.

Au vu de ce nouveau budget, elles devront développer leur propre financement, via la formation continue de salariés, les levées de fonds auprès des entreprises par le biais de leurs fondations… « Aujourd’hui les ressources propres représentent 14 % du budget des universités, un chiffre en constante augmentation », souligne Marc Neveu, co-secrétaire national du Snesup, syndicat majoritaire dans l’enseignement supérieur « et on peut craindre que les injonctions à augmenter ces ressources soient de plus en plus fortes », ce qui esquisserait un réel changement de modèle (lire aussi notre article sur le sujet).

Ainsi, le choix assumé du gouvernement d’investir aujourd’hui dans les bourses étudiantes, plutôt que dans les universités, fait une fois de plus ressurgir le spectre d’une future augmentation – significative – des frais d’inscriptions. Il pourrait augurer d’un transfert vers les individus « consommateurs d’université » des charges qui incombent aujourd’hui à l’État. Étranglées financièrement, combien de temps les universités, et le ministère, résisteront à faire sauter ce verrou ? Si les plus modestes sont mieux accompagnés, pourquoi ne pas demander à l’ensemble des étudiants de participer au financement du système ? D’autant que les études peuvent se financer par des prêts, une « solution » largement et de longue date défendue par le lobby bancaire. À Bercy, toutes les simulations sont prêtes et l’on n’attend évidemment qu’un feu vert politique.

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