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Pourquoi il faut oser le crowdfunding pour financer la recherche - Raphael Suire, Les échos, 29 août 2014

lundi 1er septembre 2014, par Hélène

Vous pensiez que vos impôts servaient, entre autre, à financer la découverte de nouvelles connaissances au travers des financements de la recherche publique ?

Mais non, grâce au nouveau "management", au principe d’évaluation permanente et aux financements sur projets les ressources publiques bénéficient essentiellement aux laboratoires les plus riches et les moins créatifs !

L’auteur suggère ici de financer la recherche par des financements populaires distincts des impôts.

On n’arrête pas le progrès !

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Nouveau gouvernement, nouvelle ambition pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Non, sans doute pas, et malheureusement les perspectives restent sombres pour les acteurs de la recherche publique. Les discours et les annonces n’y changeront rien, les budgets affectés aux équipes universitaires et aux grands organismes de recherche baissent tendanciellement. Le gouvernement aura beau jeu d’évoquer l’effort global et en particulier, pointera le crédit impôt recherche dont bénéficie largement les entreprises.

Mais le plus souvent, les activités concernées ne sont pas nécessairement celles relevant de la recherche fondamentale et les acteurs impliqués sont rarement des docteurs. Mais ce n’est peut-être pas là le plus important. Comme le rappelait un billet du 26 aout dans libération , cette année, 90 % des projets soumis au premier tour d’évaluation de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) ne seront pas financés et 28 % de ceux qui ont franchi cette première étape se partageront les 300 millions d’euros.

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-107970-pourquoi-il-faut-oser-le-crowdfunding-pour-financer-la-recherche-publique-1037238.php?0Z7q0ToKiclAWvJZ.99

Évacuons rapidement le temps que chaque chercheur consacre à la coordination et la rédaction de tels projets et le coût social de cette activité pour dénoncer un mode de financement centralisé et bureaucratique à bout de souffle. Pire, il repose sur une dynamique qui, fondamentalement, converge vers un état d’assèchement de la pluralité et de la variété des projets qui peuvent être financés. En ce sens, il fragilise les ressorts de la compétitivité future.

Le mode de financement sur projets, mais à financement centralisé et sous contrainte budgétaire excessive, s’accompagne d’une observation toute simple, mais aux implications essentielles. Les riches s’enrichissent ou à tout le moins maintiennent leur budget réel et simultanément, les pauvres ou les moins favorisés s’appauvrissent.

Aussi, le financement passé ou la réputation acquise jouent comme un signal aux yeux de l’évaluateur qui considère souvent que ceci peut suffire pour justifier d’un nouveau tour de financement.

Et dans ce mécanisme autorenforçant, la nouveauté, les idées émergentes ou en rupture sont malvenues. Les équipes ou les chercheurs qui portent ces idées ou qui sont à faible réputation directe (ou indirecte lorsqu’ils n’appartiennent pas à un gros laboratoire) se retrouvent peu ou pas du tout financés. On assiste alors alors à un mouvement de concentration à trois niveaux : concentration géographique des équipes, conformisme intellectuel et polarisation de financements vont souvent de pair. Est-ce un problème ?

Oui, car il est acquis aujourd’hui que c’est bien dans la diversité et dans la transversalité que l’on trouve les résultats les plus originaux, les plus prometteurs et par conséquent où se nichent également les plus fortes valorisations en terme d’innovations sociales, technologiques et plus simplement marchandes. Existe-t-il une alternative ? Oui et elle est offerte par le numérique. Elle est déjà empruntée par les artistes et les porteurs de projets innovants que les financeurs traditionnels ne remarquent pas. Par ignorance ou par frilosité.

Cette piste, c’est celle du financement participatif ou crowdfunding et face à une défaillance critique du système public, il faut que les chercheurs osent emprunter cette voie. Évidemment, comme pour d’autres activités créatives qui mobilisent ce dispositif, cela appelle à une nouvelle forme de valorisation et implique probablement d’évoluer vers un modèle de science plus ouverte.

Le modèle de production de connaissances, que la plupart d’entre nous suivent aujourd’hui, repose sur un enchainement qui dans le fond est très proche de ce que l’on trouve dans d’autres secteurs où la composante cognitive est importante, je pense ici aux activités artistiques ou encore aux innovations de services numériques.

Ainsi, il faut une idée ou des idées que l’on a seule ou en interaction avec d’autres chercheurs. Un bon environnement intellectuel, social, urbain ou technologique peut favoriser cette émergence.

Il faut ensuite produire un résultat à travers un papier de recherche que le ou les chercheurs vont rédiger. Et pour cela, il faut respecter les canons méthodologiques de sa discipline. Il faudra poursuivre par une activité de publicité des résultats. D’abord, le plus souvent en séminaire restreint puis dans des congrès plus ou moins importants. J’entends ici, locaux, nationaux ou internationaux.

Après maintes commentaires et remarques, le papier sera accepté, après rapports par le comité éditorial d’une revue savante, ici encore plus ou moins prestigieuse. Pour lire ces recherches, il faudra souvent s’acquitter d’un abonnement ou d’un prix parfois très élevé, car, par ailleurs peu d’éditeurs dominent ce marché. Dans le pire des cas, le papier restera à l’état d’un document de travail et servira à nourrir la réflexion du chercheur et des quelques lecteurs qui le consulteront.

Produire des connaissances nouvelles est donc un processus long et couteux. Long, car les différentes étapes ne s’enchainent pas de façon linéaire. Les allers-retours sont nombreux. Il est également couteux, car il faut, avec des contraintes variables selon les disciplines, s’équiper, se déplacer, observer, enquêter, fabriquer, former, etc. Et plus l’on finance l’inconnu moins le rendement est simple à évaluer ex ante. Alors sous contrainte budgétaire importante, la tentation peut être grande de financer le connu ou l’inconnu connu.

D’une certaine manière, les résultats de l’ANR de cette année laissent à penser que les évaluateurs ont fonctionné comme cela en moyenne. Soit par manque de temps pour circonscrire la pertinence de ce qui est proposé, soit parce que l’impératif de recherche appliquée domine ou encore qu’une injonction politique existe. Mais les projets exploratoires et plus marginaux sont pour beaucoup restés orphelins.

Le crowdfunding est un mode de financement décentralisé où le cahier des charges n’est pas rédigé a priori. Cela signifie que tous les types de projets sont éligibles. C’est ensuite une somme de contributeurs qui finance les projets qui peuvent faire sens pour eux ou plus largement pour un collectif qui peut être la société. Cependant, les projets de recherche sont désormais en compétition avec bien d’autres initiatives émanant d’horizons variés. Cela signifie que pour attirer l’attention sur une plateforme participative, il faut proposer, presque mettre en scène, autrement.

Si sur la partie méthodologique et protocole, le chercheur doit conserver la main, en revanche l’on peut imaginer différemment la partie amont, celle d’idéation et la partie aval, celle de la valorisation et des publications. Comme le font les artistes dans ce cas, la phase de conception peut s’imaginer avec les contributeurs et la phase de valorisation peut se faire également dans des cercles nouveaux pour le scientifique.

Ainsi, à côté de la capacité à publier dans des revues savantes, mais parfois à très faible audience, il faut insister sur une capacité à vulgariser et diffuser plus largement ces connaissances cofinancées dans des écosystèmes qui peuvent y être sensibles. Le chercheur devrait alors envisager des supports plus ouverts et des audiences moins expertes.

Ainsi, c’est la science et ses résultats qui peuvent rejoindre des préoccupations citoyennes immédiates. Et les sujets sont nombreux. Autour de la seule entrée numérique, les entrées sont pléthoriques et les enjeux sont à l’évidence au croisement sociétal, technologique et business : Big data, internet des objets, privacy, robotique, fablab... pour n’en citer que quelques-uns. Ces sujets sont peu ou mal financés par l’ANR, car par nature ils sont exploratoires et transdisciplinaires. La "foule" des plateformes de crowdfunding peut-elle le faire ?

C’est un vrai changement, mais dans un contexte où la ressource financière se raréfie dangereusement, où les projets les plus orignaux sont laissés de coté, où l’amertume gagne nombre de collègues, la piste du crowdfunding et de la science ouverte méritent, si ce n’est d’être empruntée largement ce qui signalerait une vraie défaite du financement de la recherche publique, d’être en tout cas explorée.

Raphaël Suire

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