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Où vont les Archives nationales ? - par Gilles Morin pour l’Association des usagers du service public des Archives nationales (Auspan), Libération, 28 février 2011

lundi 28 février 2011

Le limogeage de la directrice des Archives nationales n’est en rien
une péripétie administrative. La décision d’installer la Maison de
l’histoire de France dans le quadrilatère parisien a entraîné une
grève du musée des Archives de quatre mois et a révélé un mal-être de
l’institution que cette décision ne peut qu’aggraver. D’autant que la
question de l’emplacement de la Maison de l’histoire n’est toujours
pas réglée.

Les Archives concernent tous les citoyens. Elles permettent
l’établissement des droits de chacun et sont aussi indispensables aux
généalogistes et, bien sûr, outil des chercheurs, elles permettent de
faire progresser une passion nationale, notre histoire.

En l’an 2000 les Archives nationales étaient au bord de l’asphyxie :
sans projet scientifique, elles ne pouvaient pratiquement plus
collecter, les dépôts étant saturés, la communication aux lecteurs
devenait déplorable, aggravée par des mouvements sociaux à
répétition. Un déménagement provisoire, le temps des travaux, et la
fuite massive des usagers ont révélé la crise. En 2001 furent mises
sur pied deux associations, l’une pour la création d’une Cité des
Archives, l’autre à l’intention des usagers (Association des usagers
du service public des Archives nationales, l’Auspan). La première a
formé un groupe de pression composé d’archivistes, d’historiens et de
généalogistes, qui a obtenu, grâce au soutien de Jacques Chirac, la
création d’un nouveau centre à Pierrefitte-sur-Seine, mais surtout le
lancement d’un ambitieux projet de modernisation. La seconde
s’efforce de défendre les usagers et d’anticiper les difficultés de
la longue période de transition. Un dialogue, parfois difficile,
avait été noué entre ces associations et les deux responsables de
l’institution : Martine de Boisdeffre, directrice des Archives de
France, auteur de la loi de modernisation en 2008, et Isabelle
Neuschwander, directrice des Archives nationales. La première a été
remerciée par le ministre de la Culture en 2010, la seconde vient de
l’être il y a quelques jours.

Quels enjeux devront affronter la nouvelle directrice des Archives
nationales, Agnès Magnien, nommée le 23 février ? Le premier sera de
cohabiter avec le projet présidentiel de Maison de l’histoire de
France. Par-delà un conflit d’intérêt évident - l’initiateur du
projet de la Maison de l’histoire, Hervé Lemoine, est également, au
ministère, en charge des Archives - se posent deux problèmes. Le
premier est la cohabitation sur un même site de deux institutions,
voire de trois : les Archives nationales, la Maison (à venir) de
l’histoire de France et le musée des Archives (qui, après tout,
existe) : est-ce bien raisonnable ? Le limogeage de la directrice des
Archives ne signifie-t-il pas une revanche, ou un retour en force, de
la Maison de l’histoire de France sur le site du Marais, décision
annoncée par le président Sarkozy en septembre 2010 ?

Le deuxième problème est une question de genre et un conflit de
réseaux. Les réunions des conseils scientifiques auxquels nous avons
participé montraient d’un côté une équipe qui s’est forgée au
ministère de la Défense et des Anciens Combattants, essentiellement
masculine, liée par un projet idéologique fort, de l’autre des
archivistes, pour l’essentiel des femmes, dont la principale
cohérence était d’avoir été formés à l’Ecole des Chartes. Par-delà
les conflits de personnes, ces deux cultures peuvent-elles cohabiter,
une relation de confiance peut-elle s’instaurer ?

Le deuxième enjeu est de déminer la situation sociale. Isabelle
Neuschwander n’avait pu éviter l’occupation du musée des Archives,
mais, durant son mandat, avec un projet mobilisateur et un dialogue
renoué (on ne soulignera jamais assez le rôle positif joué par
l’intersyndicale), les conflits sociaux s’étaient considérablement
réduits. La confiance, est à nouveau endommagée.

Le troisième enjeu est la poursuite et l’amélioration du projet
Pierrefitte. Isabelle Neuschwander a porté depuis ses débuts ce
chantier indispensable pour assurer l’avenir du service public des
Archives nationales. Son limogeage, à vingt mois de la fin du projet,
fragilise une équipe et met, de façon paradoxale, en danger l’avenir
du seul grand chantier du quinquennat. Si le projet perdure, peut-il
demeurer en l’état ? La permanence du site de Fontainebleau, comme
troisième centre de consultation, est contestable. Surtout, il faut
régler des questions qui ont été soigneusement évitées jusqu’alors :
peut-ondémarrer un centre de dimension internationale nouveau avec
des horaires d’ouverture plus restreints que ceux d’un bureau de
poste ? Enfin, il faut poursuivre la transformation des Archives et
amplifier leur ouverture. Un dialogue concret doit être mis en place
avec tous les usagers, mais aussi les historiens et les généalogistes
pour discuter des choix, comme ceux des numérisations, de la césure
des fonds, qui conditionneront la recherche et les usages à venir.
Face à ces enjeux fondamentaux, quel avenir pour les Archives
nationales ?


Voir en ligne : http://www.liberation.fr/culture/01...