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« Maison de l’histoire de France » : vraies questions et faux débat - Vincent Duclert, blog Mediapart, 19 septembre 2011

mardi 20 septembre 2011

La totalité ou presque des historiens français ainsi que la plupart des professionnels des musées et du patrimoine ont reçu un courrier du président du Comité d’orientation scientifique de la « Maison de l’histoire de France » appelant à participer à des « Rencontres régionales » pour débattre de l’avant-projet d’établissement avant que le texte définitif ne soit rendu au ministre de la Culture et de la Communication « à la fin de l’année 2011 ». Cet avant-projet a lui-même été largement diffusé, par envoi papier ou diffusion électronique. La lettre de Jean-Pierre Rioux souligne l’occasion qui est donnée ici « de dialoguer ». Pourtant, les conditions d’un véritable dialogue ne sont pas réunies. Celui-ci ne porte que sur la discussion de l’Avant-projet (pour lequel il n’y a pas eu à notre connaissance de discussion à l’exception de celles qui ont eu lieu à l’intérieur du Comité d’orientation scientifique). La question de la « Maison de l’histoire de France » ne fait pas question. Or c’est bien là le problème. La mise au point * qui suit, ainsi qu’une analyse critique ** de l’Avant-projet, explicitent les raisons pour lesquelles, de notre point de vue, il n’est pas nécessaire de participer à ce faux débat. Le dialogue n’est pas un mot d’ordre ou une pratique qui se décrète en dehors des conditions minimales permettant une liberté d’échange et de critique.

Isabelle Backouche, historienne, maîtresse de conférences à l’EHESS

Vincent Duclert, historien, professeur agrégé à l’EHESS

co-directeurs (avec Jean-Pierre Babelon et Ariane James-Sarazin) de Quel musée d’histoire pour la France ? (mars 2011, Armand Colin).

Pourquoi nous ne débattrons pas de l’avant-projet de la « Maison de l’histoire de France » ?

Le débat appelé de ses vœux par le Comité d’orientation scientifique concerne non pas le projet de « Maison d’histoire de France » mais seulement l’Avant-projet du Comité d’orientation scientifique, lequel ne discute pas du bien-fondé d’un tel projet depuis longtemps acté -et sans concertation. Il se plie même aux décisions les plus brutales, à commencer par l’installation de cette « maison » aux Archives nationales - qu’une grande partie du personnel rejette toujours. Sur le fond, le texte souffre d’un double défaut. L’alignement de grands concepts souvent vides de sens est tel qu’on se demande comment tirer des lignes directrices d’un pareil discours et comment ensuite imaginer un musée, que ce dernier s’appelle ou non « maison ». L’exposition de préfiguration, « La France, quelle histoire ! », décrite succinctement sur deux pages, ne lève pas les inquiétudes et illustre au contraire la seconde faiblesse du rapport. Car le souci de faire populaire, d’attirer le grand public et les jeunes particulièrement, conduit à adopter les seules postures de la communication. Quant à la scientificité proclamée, elle souffre de multiples entorses. Aucun état des lieux de l’acquis des musées d’histoire, aucune synthèse sur l’état de la recherche en matière d’histoire au musée, aucune bibliographie analytique, des citations issues d’où l’on ne sait, des fiches didactiques en lieu et place de véritables problématisations, etc. Il ne suffit pas d’invoquer la « rigueur scientifique », la « connaissance authentifiée du passé » ou la « valorisation de la recherche » pour s’y tenir effectivement. Comment donc un débat approfondi pourrait-il s’enclencher sur de telles bases de départ ?

Les conditions de la consultation ne peuvent qu’inquiéter aussi. Le programme type d’une rencontre concentre des interventions de responsables de l’Association de préfiguration de la « Maison de l’histoire de France » et du Comité d’orientation scientifique. Les « interventions de personnalités de la culture et de l’histoire » et le « débat avec la salle » sont renvoyés en fin de séance. On aurait pu imaginer qu’au contraire, les membres du comité d’orientation affronteraient un véritable débat critique. Si l’on souhaite contribuer par l’envoi de textes, il faut savoir que ceux-ci ne feront pas l’objet de réponse individuelle. Là encore les échanges sont verrouillés. Le Comité indique que « les propositions et les commentaires exprimés seront pris en compte lors de la rédaction du projet définitif ». Pour mémoire l’Avant-projet sur lequel porte la consultation n’a intégré aucun avis extérieur au Comité ni examen des critiques pourtant fondées qui se sont développés depuis l’annonce présidentielle de la création de cet établissement (12 septembre 2010). L’Avant-projet aurait pu rassurer quant à la méthode de débat, en restituant les avis divergents et motivés, et en y répondant. Aucune de ces bonnes pratiques intellectuelles n’a été assumée. La question qu’il faut désormais se poser, c’est de savoir qui, dans les faits, refuse le débat ?

Pourquoi enfin débattre du projet alors que sa préfiguration scientifique se révèle être le paravent de choix politiques et l’alibi d’une programmation technique largement engagée, notamment pour remodeler le site des Archives nationales. Depuis la décision du 12 septembre, la construction de l’entité « MHF » avance en effet à marche forcée. Les Archives nationales sont placées devant le fait accompli de leur spoliation d’espaces indispensables à leur modernisation et à leur rayonnement ; l’établissement public de la « Maison de l’histoire de France » sera créé le 1er janvier 2012 entrainant avec lui la fédération de neuf musées nationaux et la perte de leur autonomie singulière. Que l’on envisage un nouveau musée d’histoire en France est une idée ancienne et pertinente. Que l’on en fasse l’instrument d’une politique d’étouffement du réseau muséographique et de nivellement du savoir scientifique n’est pas acceptable, pas plus que ne l’est le comportement d’un ministère prêt à tout pour arriver à ses fins et complaire à l’autorité présidentielle, excluant du programme tous les grands professionnels du secteur, dépossédant les directions centrales de leurs prérogatives régulières au profit de cellules de cabinet, refusant le débat puisqu’avec les premiers rapports pro domo se serait donc achevé le « temps de la réflexion et de la concertation avec la communauté des historiens ». Les historiens que nous sommes n’ont rien à voir avec ces pratiques. Reste qu’une habile communication présente la « Maison de l’histoire de France » comme un projet évident dont il faut en être. Surplombant ces illusions de pouvoir, demeure le devoir de questionner les évidences qu’on promeut comme l’incarnation de la modernité. Nous ne tenons pas, avec bien d’autres, à renoncer à cette habitude professionnelle, à cette responsabilité intellectuelle.

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