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"Manque d’enseignants : la solution du « travailler plus »", Jean-Françis... Pecresse, Editorial, Les Echos, 19 septembre 2011

mardi 20 septembre 2011

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François Hollande se trompe. De bonne foi sans doute, lui qui semble sincèrement vouloir redonner une « espérance » à la jeunesse. Après réflexion sûrement, lui qui se dit sérieusement attaché à réduire les déficits publics. Mais il se trompe lorsqu’il propose, comme solution aux pénuries de professeurs et aux fermetures de classes, de recruter 12.000 enseignants par an sur la durée du prochain quinquennat. Jeudi soir, lors du premier débat télévisé entre candidats aux primaires socialistes, il s’est certes engagé à la financer « quoi qu’il arrive », par des économies ailleurs. Mais le problème n’est pas tant son coût que son inutilité. Le problème, réel, des sous-effectifs dans le système éducatif peut et doit se résoudre - à moins de vouloir jeter de l’argent par les fenêtres -autrement que par des embauches massives : par l’aménagement du temps de travail des enseignants. Leur demander d’assurer quelques heures de cours en plus et, en même temps, définir leurs obligations de service non plus sur la semaine mais sur l’ensemble de l’année scolaire permettrait de dégager l’équivalent de plusieurs dizaines de milliers de nouveaux postes.

Si l’on s’en tient aux heures de cours stricto sensu (sans comptabiliser le temps passé à préparer les cours et à corriger les copies, ni la présence dans l’établissement), les enseignants français du secondaire (c’est l’inverse dans le primaire) travaillent moins que la moyenne de l’OCDE. Celle-ci vient d’être évaluée par l’organisation internationale, dans son rapport 2011 sur l’éducation, à 701 heures par an dans le premier cycle et à 656 heures dans le second cycle. Les Français sont respectivement à 642 et 628 heures par an. Les professeurs du secondaire espagnols, britanniques ou allemands assurent, eux, plus de 700 heures de cours dans l’année. Dans un Livre vert sur l’évolution du métier d’enseignant, remis en 2008 à Xavier Darcos, alors ministre de l’Education nationale, le conseiller d’Etat Marcel Pochard relevait que « la France est l’un des pays d’Europe à demander le moins d’heures d’enseignement hebdomadaire et annuel aux enseignants du second degré ». Les deux tiers des Etats européens demandent à leurs enseignants un nombre d’heures hebdomadaire d’enseignement supérieur à celui effectif en France.

Cercle de réflexion d’inspiration plutôt libérale, la fondation Ifrap vient d’estimer le gain que représenterait une augmentation du volume horaire des enseignants, à raison de deux heures supplémentaires par semaine, réparties sur une année scolaire plus longue qu’aujourd’hui. Quelque 33 millions d’heures d’enseignement pourraient ainsi être gagnées, sans avoir besoin de recruter des professeurs supplémentaires. Pour Agnès Verdier-Molinié, auteur de l’étude, cette mesure « permettrait de faire l’économie de 44.000 postes en équivalent temps plein » - un peu moins, en réalité, si l’on retire des effectifs les enseignants déchargés de cours. Ce gain brut doit par ailleurs être diminué d’une inévitable compensation salariale. Car si les professeurs français travaillent plutôt moins que les autres, ils sont aussi moins bien payés, hormis en fin de carrière, même en prenant en compte leurs indemnités et heures supplémentaires.

L’idée d’augmenter le temps de travail des enseignants n’est pas nouvelle, mais elle a toujours été abordée de biais, sous l’angle du temps de présence plus que du temps d’enseignement. Le rapport Legrand de 1982 préconisait par exemple 6 heures hebdomadaires de plus dans l’établissement, mais consacrées au tutorat et à la concertation.

Un ancien tabou empêche toute évolution dans l’organisation et, a fortiori, dans la durée du travail des enseignants : leur statut réglementaire de 1950 qui, jamais modifié sur ce point, fixe encore aujourd’hui les obligations de service dans le secondaire général à 15 heures de cours hebdomadaires pour les agrégés, à 18 heures pour les certifiés. Arc-boutés sur cet acquis, les syndicats enseignants refusent, depuis quarante ans que l’idée est apparue, toute annualisation de leur temps de travail, que celui-ci soit appréhendé globalement (en incluant le temps extrascolaire mais aussi celui passé à soutenir des élèves ou à écouter des parents) ou strictement, c’est-à-dire limité à l’activité d’enseignement. Le découpage des horaires d’enseignement en 36 semaines quasi identiques est pourtant à l’origine d’un gâchis considérable, puisque le temps consacré aux examens en est retranché. Ces heures de cours ainsi perdues (mais payées) chaque année, du fait de la fermeture des établissements, représentent l’équivalent du travail de 20.000 à 30.000 postes d’enseignants.

La seule annualisation du temps de travail des enseignants, à horaire global constant mais effectif, serait déjà un bon moyen d’alléger les tensions dans l’éducation sans avoir à y créer des postes supplémentaires. La nécessité absolue d’alléger la journée de l’élève français, qui est devenue l’une des plus lourdes au monde, pousse également à répartir le temps d’enseignement sur une année plus longue. Dans un rapport sur les rythmes scolaires remis en juillet dernier à Luc Chatel, ministre de l’Education nationale, le recteur Christian Forestier préconise 38 semaines de classe par an - ce qui rapprocherait la France des standards européens -, et « une nouvelle définition du temps pédagogique en termes annuels ». Se libérer de la contrainte hebdomadaire présenterait en outre l’avantage considérable de pouvoir organiser l’année scolaire en cycles, d’alterner les périodes consacrées à la théorie et celles dévolues à la pratique, etc. Demander aux enseignants du secondaire de travailler plus, et plus longtemps dans l’année, est certes une voie moins facile que celle consistant à créer des postes pour solde de toute réforme. Mais elle est porteuse d’améliorations sensibles de nos performances éducatives.