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"Les facs mobilisées voient leur image se dégrader", par Christian Bonrepaux, Benoît Floc’h et Catherine Rollot, "Le Monde", 1er avril 2009

mardi 31 mars 2009

MONTPELLIER, RENNES, TOULOUSE ENVOYÉS SPÉCIAUX

Toutes trois sont des universités éruptives. A Toulouse-II-Le Mirail (UTM), Rennes-II ou Paul-Valéry-Montpellier-III, toutes spécialisées en lettres et sciences sociales, les étudiants et les enseignants sont prompts à sortir des amphis pour devenir des "anti".

Cette année, elles sont à la pointe de la contestation contre les réformes de l’enseignement supérieur. Comme en 2008, et l’année d’avant. A Rennes-II, le président Marc Gontard fait ses comptes : "En 2006, lors de la contestation du CPE (contrat première embauche), j’ai eu huit semaines de blocage. En 2007, pendant le mouvement contre la loi sur l’autonomie des universités, je n’ai eu que dix jours ! La mobilisation actuelle se solde déjà par sept semaines d’arrêt des cours."

Cette agitation chronique ne va pas sans victime. "Les plus touchés, regrette Anne Fraïsse, présidente de Montpellier-III et parmi les plus engagées contre les actuelles réformes, sont les étudiants de licence, ceux qui viennent d’arriver et qui sont les plus faibles. Après quelques semaines d’interruption des cours, certains lâchent prise. Dans notre pyramide des âges, les mouvements provoquent des trous, comme les guerres dans celle de la population française."

Beaucoup d’étudiants travaillent pour payer leurs études. Ce sont les premiers touchés. "A la reprise des cours, ils ne pourront pas étudier à plein temps pour rattraper le temps perdu, constate Patrick Mpondo-Dicka, vice-président du conseil des études et de la vie universitaire de Toulouse-II. En plus, ils profitent de l’absence de cours pour travailler davantage et glissent vers la vie active sans diplôme."

"FAC SOUS-FINANCÉE"

Dans un contexte de baisse démographique du nombre de bacheliers et de désaffection générale pour les filières lettres et sciences humaines, les grèves ont tendance à aggraver l’hémorragie d’étudiants.

Rennes a perdu 5 500 étudiants en quatre ans, ses effectifs passant de 22 000 en 2005 à 16 500 en 2009. Montpellier-III accueille chaque année 7 % d’étudiants en moins, en moyenne depuis trois ans, même si "c’est compensé par des arrivées en master", précise la présidente. En six ans, l’UTM a perdu 5 000 étudiants.

Bien entendu, rappelle Julien Roumette, enseignant-chercheur en lettres modernes et très engagé dans le mouvement de l’UTM, "pour une inscription en licence, les étudiants ne regardent pas la carte des universités françaises pour choisir celle qui possède la meilleure image. Ils prennent celle qui n’est pas trop loin de chez eux et qui leur permet d’étudier à moindre coût". Cet enseignant fait en outre remarquer : "Si on parle d’atteinte à l’image, que dire du coup porté aux études littéraires par Nicolas Sarkozy au prétexte qu’elles se détournent de la professionnalisation et conduisent à des lectures inutiles de romans telle La Princesse de Clèves ?"

Au fil des mobilisations, l’image de l’université se dégrade bien pourtant. L’article consacré à Montpellier-III sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia comprend une rubrique "les grèves". "J’ai deux fils en terminale, déclare Isabelle Cayzac, présidente de la fédération de parents PEEP pour l’Hérault. S’ils avaient voulu faire des études de lettres, je me serais opposée à ce qu’ils aillent à Montpellier-III. Cette université donne une image de chaos, de bazar, de glandeurs."

Selon le président de Rennes-II, cette mauvaise image affecte aussi les relations avec les entreprises. "J’ai besoin de 4 000 stages par an, dit-il, mais je crains que ce ne soit de plus en plus dur de vendre Rennes-II à des patrons qui voient notre université comme un repaire de gauchistes." Pourtant, insistent les présidents, leur université ne peut être réduite à cette image frondeuse. "Dans certains champs de recherche, l’excellence du Mirail est reconnue à l’international, assure Daniel Filâtre qui dirige Toulouse-II-Le Mirail. Mais cette image est brouillée par une autre : passer pour un lieu permanent de contestation."

Les étudiants le constatent eux-mêmes. Quand il fait visiter le campus, Damien Jouve, vice-président de l’UNEF à Montpellier, souligne combien étudier dans un espace bucolique, couvert de pins, aéré et qui possède son propre musée de moulages antiques est une chance. "C’est une fac où l’on devrait avoir envie d’aller, reconnaît-il. Mais il y a des gens qui ne s’inscrivent pas parce que Montpellier-III a une image de fac poubelle sous-financée qui n’offre pas de débouchés. Donc, si l’université a mauvaise réputation, c’est plus à cause de la politique menée que des mouvements."

Vue avec des yeux d’étudiantes américaines, l’agitation qui règne à Montpellier-III est "bizarre et énervante", mais au moins leurs cours sont assurés. Même sidération chez les étudiants Erasmus. En lettres modernes au Mirail, la Berlinoise Stefanie Becker avoue sa surprise : "En Allemagne, il n’y a pas de tradition de grève." Pendant le blocage du campus, la jeune femme passe rarement à la fac : "Les tas de chaises qui bloquent les grilles, cela ne fait pas vraiment envie. Je les prends en photo avec les banderoles pour montrer à mes amis de Berlin ce que je suis en train de vivre."

A Toulouse-II, un suivi pédagogique est cependant maintenu : Stefanie Becker a rendez-vous une fois par semaine au café Le Concorde avec une dizaine d’étudiants et son enseignante de français pour un cours informel sur tables de bistrot. Mais d’autres sont moins bien lotis : "Au deuxième semestre, il y a eu des cours pendant trois semaines, puis ça s’est arrêté, s’étonne Stefanie Pickel, étudiante allemande en LEA à Montpellier-III. Les étudiants Erasmus n’ont rien pour réviser ou apprendre. Heureusement que je suis également des cours à Montpellier-I, qui, eux, continuent, car sinon j’aurais perdu mon temps."

Daniel Weissberg, vice-président délégué aux relations européennes et internationales au Mirail, regrette qu’à la suite des précédents conflits des établissements étrangers aient dénoncé les conventions qui les liaient avec l’université. "Si les flux d’étudiants étrangers sont stabilisés, la manière dont on est perçu chez nos partenaires se dégrade", avance-t-il.


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...