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Statut des universitaires : nouvelle analyse d’Olivier Beaud - Sylvestre Huet, Sciences2, Libéblogs, 6 avril 2009

lundi 6 avril 2009

La dernière version du statut des universitaires est-elle de nature à les « rassurer » ? C’est ce qu’affirme Valérie Pécresse, la ministre en charge de l’enseignement supérieur.

Une nouvelle analyse, serrée, menée par un groupe de juristes auquel participe Olivier Beaud, professeur à Paris-2 Assas, réduit à néant cette affirmation. En voici le résumé par ses auteurs, publié ci-dessous. On peut aussi la trouver en intégralité ici.

Elle prouve que le gouvernement, malgré son recul sur l’attribution des promotions pour moitié au Conseil national des universités - un recul que Valérie Pécresse regrette (voir son débat avec Jean Fabbri) - poursuit toujours son objectif initial. Un objectif lié à la loi LRU - libertés et responsabilités des universités - qui à modifié la gouvernance des universités dans le cadre d’un remodelage d’envergure du système universitaire.

Cet objectif est fondé sur une analyse et une conviction du gouvernement de Nicolas Sarkozy et de l’UMP : de nombreux universitaires peuvent effectuer plus d’enseignement puisqu’ils ne font que peu ou pas de recherches. Aux Etats-Généraux de la recherche et de l’enseignement supérieur tenus à Grenoble en 2004, le constat partagé était que l’augmentation des services d’enseignement des maîtres de conférence - depuis 1992 - avait rendu très difficile la situation des plus jeunes et qu’il fallait absolument les décharger d’heures de cours pour leur permettre de conduire les recherches qui avaient servi de base à leur recrutement.

Cette note a été écrite par Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas Paris 2, Cécile Chainais, Professeur de droit privé à l’Université de Picardie Jules Verne, Jean Matringe, Professeur de droit public à l’Université de Versailles Saint-Quentin, Laurence Sinopoli, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense (membres du Bureau du Collectif) et Anne-Sophie Bruno, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris 13 (membre du Collectif).

La mission du Collectif pour la Défense de l’Université n’est pas terminée. Le ministère n’a pas cédé sur l’essentiel.

Certes, devant la mobilisation, il a dû faire certaines concessions sur le contenu de son projet de décret relatif au statut des universitaires, à l’issue de la réunion du CTPU du mardi 24 mars. La plus importante d’entre elles porte sur les promotions au choix, pour lesquelles l’équilibre (50/50) entre les instances locales et nationales figure désormais dans le projet de décret. Cependant, contrairement aux apparences, l’attaque frontale contre le c¦ur du métier d’universitaire, son indépendance et sa liberté, n’a pas été désamorcée. On nous annonçait une « réécriture ». Nous constatons que le projet invite en réalité à une relecture... avec une singulière impression de déjà-vu, qui nous contraint à poursuivre la mobilisation. Pourquoi ?

1. D’abord, la modulation du service demeure... Surtout, elle est maintenue « à la hausse », ce qui permet d’augmenter les charges d’enseignement et cela, à rémunération constante, voire décroissante pour les nombreux universitaires en sur-service. Cela n’est pas acceptable. En effet, le constat s’impose. - Le projet ne prévoit pas le paiement des heures d’enseignement assurées au-delà des 128 heures CM - 192 heures TD en cas de service modulé. - La prétendue garantie de « l’accord écrit » de l’universitaire, prévue par le texte, est un leurre car les moyens de pression sur l’attribution des services s’intensifient, en période de pénurie budgétaire et de suppression des postes. Quant à la demande de réexamen de la décision sur la modulation, elle n’est prévue que pour le cas où la modulation a été demandée par l’universitaire et refusée par l’université. Aucun recours n’est prévu en cas de modulation à l’initiative de l’université.
► Le texte prévoit que la modulation ne doit pas altérer « l’offre de formation » dispensée par chaque université : dès lors, la modulation à la baisse pour les uns sera forcément compensée par une modulation à la hausse pour les autres. Les universitaires qui désireraient résister à cette dégradation de leur métier n’auront d’autre choix que de se résoudre à diminuer l’offre de formation afin de diminuer leurs charges d’enseignement.
► Ainsi, loin de constituer un outil de souplesse favorable aux activités des universitaires comme se plaît à le répéter le Ministère, la modulation n’est rien d’autre, en réalité, qu’un outil de gestion budgétaire confié aux « administrateurs » des universités qui leur permet de demander aux universitaires de « travailler plus pour... ne pas gagner plus ». Maintenir une telle modulation, c’est donc persister à remettre en cause la substance même de notre métier qui lie enseignement et recherche. C’est placer l’universitaire devant une alternative inacceptable : sacrifier le temps consacré à la recherche ou sacrifier l’offre de formation. Voilà une perspective pour le moins déconcertante...

2. Ensuite, le texte du projet consacre et officialise les dérives inhérentes à une conception administrative de la fonction d’universitaire en renforçant la tendance à inclure les fonctions administratives dans les missions de l’universitaire sur la base d’un véritable bénévolat. Or, depuis plusieurs années déjà, les tâches administratives, pudiquement qualifiées « d’intérêt général », s’accroissent considérablement aux dépens du temps de recherche et d’enseignement, les réformes incessantes imposées par les ministères devant être mises en oeuvre dans un contexte de sous-effectif chronique du personnel administratif. Théoriquement, de telles fonctions pourraient donner lieu à des décharges de service, mais pratiquement, la situation de pénurie qui caractérise l’Université risque de les rendre impraticables. La multiplication des « tâches d’intérêt général » doit pouvoir être refusée par les universitaires à qui l’on veut faire changer de métier sans le leur dire... En outre, ce texte reporte à plus tard l’élaboration d’une grille nationale d’équivalence horaire entre ces tâches et celles d’enseignement, tout en prévoyant que les universités seront libres de recourir ou non à ce tableau d’équivalence.

3. Enfin, l’évaluation dessinée, même revisitée, est la fausse caution scientifique d’un système commandé en réalité par des exigences de restriction budgétaire et des considérations bureaucratiques. En particulier, ses modalités de mise en oeuvre ne garantissent pas une approche qualitative, seule approche concevable, et font de l’évaluation un système impraticable au regard des conditions de travail des évaluateurs. Comme pour le report de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, la tactique du Ministère consiste à faire croire à un recul. Nos gouvernants semblent faire le pari de l’enlisement (par épuisement et découragement des universitaires) et de la radicalisation du conflit. Nous ne céderons pas à cette logique, car nous savons que notre combat est légitime. Nous aimerions retourner devant nos étudiants et à nos recherches. Le ministère ne nous laisse pas ce choix. Et si nous nous obstinons, plus encore que le ministre, c’est parce qu’il en va de notre liberté et de l’essence même de notre mission, celle d’assurer un enseignement supérieur de qualité, fondé sur une recherche indépendante.

C’est pourquoi nous appelons à maintenir la contestation : nos revendications portent leurs fruits, trop lentement certes, mais la défense de l’Université reste vitale pour la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche.


Voir en ligne : http://sciences.blogs.liberation.fr...