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Valérie Pécresse relocalise l’évaluation... au ministère - S. Huet, Sciences2, Libéblog, 20 avril 2009

lundi 20 avril 2009

Valérie Pécresse a fait savoir aujourd’hui que les quelques maquettes de masters pour la formation des enseignants remontés des universités seront « analysée temporairement au ministère" ! Cette décision étrange est prise comme une provocation par Sauvons l’Université.

L’une des armes utilisées par les universitaires pour protester contre la réforme de la formation et du recrutement des enseignants - baptisée "mastérisation" - a consisté à refuser de répondre à la demande du ministère de fabriquer les "maquettes" de ces formations. En jargon universitaire, une maquette est la description du cursus suivi par l’étudiant - intitulé, contenu et nombre d’heures des cours à suivre. Lorsque le mouvement de contestation a pris de l’ampleur sur ce sujet, un véritable sursaut de "désobéissance" s’est produit.

Alors même que la plupart des présidences d’université avaient entamé le travail de fabrication de ces maquettes, le mot d’ordre "refusons de faire remonter (au ministère) les maquettes" est devenu un enjeu majeur non seulement pour résister à la mise en place de cette réforme, mais aussi pour jauger de l’ampleur de son refus comme de la solidarité entre universités. Assez vite, en effet, il est apparu un risque énorme pour celles qui se seraient trouvées en concurrence directe avec une voisine qui, elle, aurait déposé des maquettes. Il fallait donc que ce refus soit massif et concerne la presque totalité des universités... ce qui fut le cas, au grand dam du ministère.

Devant ce refus massif, Xavier Darcos et Valérie Pécresse ont manoeuvré en recul, petit à petit, pour arriver à ce qui apparait comme le report d’un an de cette réforme.

Mais que faire des quelques maquettes, il semble que l’on en compte 17... dont près de la moitié provenant de l’enseignement catholique, parvenues au ministère ? Ou plus exactement à l’Agence d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche - l’AERES. Agence présentée par Valérie Pécresse comme l’un des moyens d’une évaluation « indépendante » (sous-entendu autant du pouvoir politique que des syndicats) et donc gage de qualité et de sincérité. Or, la direction de cette Agence, dans un sursaut de dignité et de sens du ridicule aussi, a décidé de ne pas les évaluer.

Voici son communiqué du 10 avril à ce sujet :

« Le Conseil de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur réuni le 9 avril 2009 constate que :

► les dossiers déposés par les établissements ont été constitués en fonction du « cahier des charges » présenté dans la circulaire du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche du 17 octobre 2008 et n’ont pu prendre en compte l’incidence sur ce « cahier des charges » des décisions prises par les ministres dans le cadre des négociations récentes avec la CPU et la CD IUFM, d’une part, et avec les syndicats, d’autre part ;

► seuls 9 universités, 2 Ecoles Normales Supérieures et 8 établissements privés ont déposé des dossiers ;

► sur 35 académies, seules 3 (Reims, Polynésie et Nouvelle Calédonie) ont une proposition complète ;

► la faible proportion de dossiers remontés (moins de 10 % de l’offre potentielle) ne permet à l’Agence, ni une analyse par académie, ni une analyse nationale comparative par discipline.

En conséquence, l’AERES décide de ne pas évaluer les masters « métiers de l’enseignement » de la campagne actuelle. »

Devant cette décision, il eut été sage de renoncer complètement et de trapper, pour cette année au moins, les rares maquettes déposées. Mais le ministère a fait un autre choix, pour le moins étrange et en totale contradiction avec son discours officiel sur l’AERES. Ces maquettes seront donc "évaluées" (ce qui permettrait, si l’évaluation est favorable, de créer les premiers masters enseignements voulus par Darcos et Pécresse dès septembre 2009)... par la DGES, Direction générale de l’enseignement supérieur, autrement dit un service ministériel. C’est du moins ce qu’affirme Sauvons l’Université sur la base de ce qu’aurait annoncé monsieur Patrick Hetzel, directeur général de l’enseignement supérieur, aujourd’hui au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche).

Contacté par mes soins, le ministère réagit de manière plutôt embarrassée. Son porte-parole parle d’abord "d’évaluation". Puis, seulement "d’analyse temporaire" de maquettes dont une part serait seulement des aménagements de cursus existants. Et souligne que de toute façon "le ministère ne sait ce qu’il y a dans ces maquettes" et qu’elles seront "soumise au CNESER pour leur habilitation". Rétropédalage ? Interprétation un peu forcée de SLU ? Difficile de le savoir pour le moment. La suite éclaircira cet épisode.

Voici la réaction de Sauvons l’Université :

Toute honte bue : Valérie Pécresse et l’évaluation autoritaire

Depuis deux ans Madame Valérie Pécresse ne cesse de louer le lien nécessaire entre l’« autonomie » des universités, l’évaluation « indépendante » des diplômes, des équipes ou des établissements par l’agence nationale d’évaluation AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et la « débureaucratisation » du système français d’enseignement supérieur. Il y a trois jours, dans sa réponse aux présidents d’université, elle soulignait de même les prétendues avancées sur tous les dossiers controversés qui sont aujourd’hui au cœur du plus long mouvement social qu’ait jamais connu l’université française. Elle insistait alors pour « rassurer » la communauté universitaire, notammentManifestation_paris_19_fevrier_refo quant à sa propre capacité d’écoute et de négociation. Il n’aura pas fallu très longtemps pour que tout le monde puisse comprendre quelle crédibilité accorder aux propos tantôt lénifiants et tantôt mensongers de la Ministre.
Aujourd’hui, lundi 20 avril, au CNESER (une de ces – de plus en plus rares – instances consultatives collégiales et paritaires, mêlant membres nommés et membres élus, au grand dam de la Ministre), Madame Pécresse a fait annoncer, toute honte bue, que les rares maquettes de master « métiers de l’enseignement » remontées au ministère (au nombre de dix-sept – dont au moins huit relevant, semble-t-il, de l’enseignement catholique – sur un total de près d’une centaine possibles) seraient directement évaluées par la DGES (Direction générale de l’enseignement supérieur), c’est-à-dire par un service dépendant directement de la Ministre, un des hauts lieux de cette bureaucratie gouvernementale décrite souvent, à grands renforts d’effets de manche, comme opaque et irresponsable, une de ces instances que les agences nationales comme l’AERES devaient justement priver de leurs prérogatives abusives...
Alors que l’AERES a, elle, pris acte du refus massif de la communauté universitaire de mettre en place les nouveaux masters d’enseignement et de l’impossibilité, dans de telles conditions, d’envisager une carte nationale des formations dotée d’un minimum de cohérence, elle est désavouée. Quand l’agence nationale « indépendante » refuse (communiqué de l’AERES du 10 avril http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2394), au prix d’un tardif mais louable accès de rationalité scientifique et pédagogique, d’évaluer les nouveaux masters d’enseignement, on la dépossède donc de ses prérogatives pour les transférer à une autre instance plus compréhensive à l’égard des objectifs et des calendriers ministériels.

Et peu importe dès lors que tout le monde soit d’accord (enseignants-chercheurs, formateurs d’IUFM, présidents d’université, directeurs d’IUFM, pédagogues, sociétés savantes, syndicats, jurys de concours) pour dire que la seule solution raisonnable serait de ne rien mettre en place de nouveau à la prochaine rentrée universitaire dans ce domaine et d’entamer enfin des négociations sérieuses avec tous les acteurs de la formation des enseignants pour élaborer une « mastérisation » qui ne détruise pas la qualité de la formation et ne soit pas fondée sur des économies budgétaires. Tout se passe comme si les ministres concernés et le gouvernement avaient des priorités et des calendriers, personnels et collectifs, n’ayant désormais pas grand chose à voir avec le traitement des dossiers dont ils ont la charge ni avec l’intérêt des élèves de l’enseignement primaire et secondaire ou avec la qualité de la formation des jeunes collègues du premier et du second degré. L’épisode en dit long sur la sincérité du discours gouvernemental concernant l’autonomie universitaire et l’indépendance des évaluations. Il en dit aussi long hélas sur le choix d’attiser un conflit déjà brûlant en multipliant les provocations. Pourquoi ? La question vaudrait d’être posée à la Ministre...

Une fois encore, une fois de trop, le gouvernement veut, de façon irresponsable, et pour des motifs purement politiciens, passer en force sur cette question. Nous saurons collectivement, de la maternelle à l’université, lui apporter la réponse qui convient. Nous ne laisserons pas détruire sans rien faire la formation des enseignants ni aujourd’hui, ni demain, ni l’an prochain : il faudra bien qu’il finisse par le comprendre !


Voir en ligne : Sciences2