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La recherche en psychologie clinique menacée par une idéologie inquiétante, par Arthur Mary, étudiant-chercheur, Le Monde, 22 avril 2009

vendredi 24 avril 2009

Il n’y a pas de doute que la loi dite LRU, relative aux libertés et responsabilités des universités, s’inscrit clairement dans une idéologie. Cette même idéologie qui s’étend à tous les champs de notre société n’a aucune considération pour les humains qu’elle gère comme on « manage » un troupeau d’animaux sans nom.

L’autonomie – car tel est le mot d’ordre de nos politiques – se veut être l’alternative incontestablement supérieure à l’hétéronomie d’antan. Façon aussi de faire de nos présidents d’universités les avatars d’un Président de l’Entreprise Républicaine Française et de les responsabiliser. Nous ne voyons que trop l’idéal inhumain et absurde qui est visé : une performance à tout prix, une perfection présumément atteignable, une libre concurrence perfide généralisée, la rentabilité, l’efficacité. Loi de « responsabilité » : que les participants en jouissent ! – là est la véritable perversion du système qui veut que nous soyons les acteurs responsables de notre aliénation.

Il est certain qu’une telle loi aura des effets majeurs sur l’Université, lieu d’élaboration, de production, de transmission du savoir. Un savoir qui toucherait à l’universalité. La LRU introduit au sein même de ce Temple l’idéologie néolibérale, transformant ses missions en profondeur à tel point que la recherche se soumet progressivement entièrement à la logique de marché. En dernière analyse, c’est l’Université elle-même qui est à ce point subvertie qu’elle ne peut plus exister comme telle, sauf à s’y corrompre en un laboratoire technoscientifique au service du « dispositif » (Foucault) d’une gouvernance des masses.

Au sein de cette Université mourante, des étudiants-chercheurs en psychologie clinique qui mènent leur activité de recherche au plus près de l’humain. Les mêmes processus à l’œuvre dans la société et qui font violence au sujet et au lien social, ces étudiants s’inquiètent de les voir pénétrer dans l’Université. Nos bibliothèques se souviennent encore de l’Histoire et nous savons que la soumission des psychiatres à certaines idéologies a conduit aux psychopathologies d’Etat de régimes totalitaires.

Nous ne voulons pas être des techniciens de l’âme humaine au service d’une bureaucratie gestionnaire. Nous ne voulons pas participer à une œuvre de normalisation des populations, ni « coacher » nos contemporains pour les rendre compétitifs au prix de leur déshumanisation. Nous refusons que nous soit dicté l’objet de nos recherches et que les savoirs que nous produisons soient validés en fonction d’une logique utilitariste et pragmatique. Nous ne participerons pas à la mise en place de ce à quoi l’idéologie au pouvoir conduit : une société où le suicide s’impose progressivement comme la première cause de mortalité alors même que nous jouissons d’un bien-être toujours plus parfait.

Aussi, j’invite mes collègues étudiants, les chercheurs et les professeurs à s’interroger sur ce processus dont la LRU n’est qu’une manifestation, et à prendre position. Car il est à craindre que seule une opposition massive sur le fond plus que sur la forme de la politique actuelle pourra nous garantir de ne pas collaborer à l’extinction d’une recherche scientifique florissante et de l’Université et plus largement de ne pas soutenir une entreprise qui « consomme de l’humain autant qu’elle le consume ».


Voir en ligne : Le Monde