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L’état républicain ne peut se dégager de sa mission, par Marie-Albane de Suremain, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Paris-XII-IUFM de Créteil et membre de la coordination nationale sur la formation des enseignants (CNFDE). L’Humanité, 25 avril 2009

lundi 27 avril 2009

Proposer une solution toute faite pour réformer la formation et le recrutement des enseignants, avant que soit organisée une concertation approfondie avec « tous » les acteurs et instances concernés, ressemblerait par trop aux méthodes expéditives du ministère. Cependant, quelques points peuvent être dégagés. Enseigner n’est pas une activité réflexe, mais un métier, qui s’apprend. Ce ne sont pas une centaine d’heures d’observation ou même de « pratique accompagnée » qui permettront aux étudiants de passer d’une situation de formation universitaire à la gestion d’une classe en responsabilité. D’ailleurs, ces « stages » trop courts seront aussi insuffisants en nombre. Tous les étudiants des masters « métiers de l’enseignement et de la formation » ne pourront y accéder. Des diplômés dépourvus de toute expérience pratique pourront se trouver devant des classes en « plein exercice ». Imagine-t-on des conducteurs, n’ayant encore jamais pris le volant, auxquels des rectorats confieraient en toute légalité un service de cars scolaires ?

La maîtrise des démarches professionnelles pour transmettre des savoirs à des élèves et leur apprendre à construire une réflexion rigoureuse ne se décrète pas. Elle s’acquiert par une formation adéquate, reposant sur l’alternance entre enseignement en responsabilité, didactique et analyse de pratiques professionnelles. C’est pourquoi l’année de fonctionnaire stagiaire et de formation alternée des lauréats des concours est bien le coeur du dispositif de professionnalisation. Elle ne peut être supprimée dtrait de plume sans dommages irrémédiables.

Formation disciplinaire et formation professionnelle ne s’opposent pas : une part essentielle du métier d’enseignant consiste à transmettre et à apprendre aux élèves à construire des savoirs disciplinaires, en tenant compte de leur âge et de leurs pré-acquis. Une solide formation disciplinaire est une des dimensions d’une professionnalisation de haut niveau, pensée pour la durée : les connaissances évoluant rapidement, seule une formation disciplinaire approfondie peut donner suffisamment de maîtrise intellectuelle pour comprendre et s’approprier ces mutations. Négliger cette dimension réduirait le travail d’enseignement à celui d’un perroquet au discours très vite périmé.

Nuisible est la concurrence générée entre les masters « recherche » et ces nouveaux masters, notamment en lettres, langues ou sciences humaines. Quid des complémentarités entre formation à l’enseignement et recherche, dis- ciplinaire ou didactique ? Les situations sont spécifiques selon les disciplines et les niveaux d’enseignement : premier ou second degré, lycée général ou professionnel. Seule une réelle concertation permettra de prendre en compte la diversité des besoins et de construire les formations les plus adaptées, en préservant l’unité statutaire du métier d’enseignant.

Former des enseignants, c’est aussi préparer l’avenir de toute la société. Pour que l’offre scolaire reste continue sur tout le territoire, il est nécessaire que la formation soit cadrée nationalement, les IUFM jouant le rôle d’écoles professionnelles académiques. Enfin, pour que l’éducation soit encore nationale, elle ne peut fonctionner comme une agence d’intérim locale. Les nouveaux masters préparent des viviers de précaires, « diplômés collés aux concours », qui pourront être embauchés ou licenciés à moindres frais par les rectorats ou les établissements scolaires. Seul un recrutement par concours de la fonction publique d’État, avec un nombre de places à la hauteur des besoins réels, assurera aux candidats la plus grande égalité, ainsi qu’un statut digne des enjeux de ce métier. L’État républicain ne peut se désengager de l’une de ses missions fondamentales de service public, sans mettre en péril l’avenir des jeunes générations et celui de toute notre société.


Voir en ligne : L’Humanité