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"Bordeaux 3 « prise entre deux irresponsabilités »", par Laure Espieu, LibéBordeaux, 7 mai 2009

jeudi 7 mai 2009

Il y a au moins un mot qui semble faire l’unanimité : « le mépris ». Pro et anti blocage, étudiants et enseignants, mitigés, fatalistes ou militants tous s’accordent sur ce sentiment. Celui d’un gouvernement qui ne leur renverrait que dédain et ignorance. « Ce sont nos ministres qui se sont lancés là-dedans. C’est eux qui répètent qu’on ne sert à rien », pointe cet enseignant chercheur en Histoire de l’art, de passage sur le campus de Bordeaux 3 pour corriger les dossiers laissés par quelques étudiants sur le bureau virtuel. Là-dessus, tout le monde est d’accord. Mais au-delà du constat, restent les conclusions que chacun en tire. C’est bien là que l’affaire se complique. Plus le mouvement contre la réforme de l’université avance et plus les avis divergent et se multiplient. Jusqu’à ceux qui n’ont d’ailleurs plus d’avis du tout, qui se sentent juste « épuisés », et ne savent plus de quel côté pourrait émerger une solution.

Sur le parvis de l’université, le soleil tape fort. Epaules nues, en robes légères, les rares étudiantes laisseraient presque croire à une fin d’année paisible. Selon le calendrier initial, les examens devraient être en train de s’achever. En face, de l’autre côté de la ligne de tramway, la fac de droit boucle justement sa session. Sauf que de ce côté-ci, le semestre est en suspens depuis le 2 février. Pas de cours, pas de notes, et aucune perspective pour sortir de la crise. La tension est montée d’un cran, lundi, lorsque l’assemblée générale a rejeté pour 70 voix d’écart la reprise des cours annoncée par la présidence. Présenté comme le scénario de « la dernière chance », le plan prévoyait le rattrapage des enseignements en cinq semaines, puis la tenue des examens à partir du 8 juin. Depuis, la situation s’enlise. Patrice Brun, le président de l’université brandit la menace d’une fermeture administrative. Les réunions de négociation se succèdent, et une nouvelle AG, ainsi qu’un conseil d’administration, sont prévus aujourd’hui.

Devant le Simply Market, des mains anonymes ont scotché deux affichettes angoissées : « dernière chance de débloquer la fac !! », alertent-elles, « Ne nous sacrifions pas !! Venez nombreux pour voter ». Car, jusqu’à présent, les anti-blocage se sont montrés particulièrement discrets. « Au début, on a eu le sentiment d’un mouvement fort et uni, qui partait vers quelque chose de concret. Mais au bout de trois mois, c’est allé beaucoup trop loin », estime Justine, en troisième année d’Espagnol. Deux réalités s’opposent désormais. Celle des pragmatiques qui considèrent que le combat est d’ores et déjà perdu, et qu’il faut sauver ce qui peut l’être en pénalisant le moins possible les étudiants. Et celle des radicaux, qui n’envisagent pas de renoncer à une lutte qui, sur le fond, a l’approbation de la majorité. Ils réclament maintenant la banalisation du second semestre, c’est-à-dire la validation de l’année sur la base des examens précédents. Dialogue de sourds.

-« Le rectorat ne validera jamais une année sur la base d’un semestre », insiste le prof d’Histoire de l’art qui vient de croiser une de ses élèves.
-« Oui mais il ne fera pas non plus redoubler 15.000 étudiants », rétorque la jeune fille.
-« On ne peut pas jouer à ce jeu-là, c’est complètement dévaloriser l’université », s’indigne le prof.
-« De toute façon, avec trois semaines de cours, vous pensez qu’il vaudra quelque chose, notre diplôme ? », interroge-t-elle.
-« Cette situation fait le jeu du gouvernement… ».
-« Oui, mais reprendre les cours aussi ».

Désabusé, Patrice Brun, le président, se sent « pris dans un étau entre deux irresponsabilités ». « Il n’y a aucun espoir du côté de la ministre. Et que du désespoir du côté des étudiants », regrette-t-il. Vivien, du comité de mobilisation, suit clairement cette logique, qu’il conçoit comme « une guerre totale ». « Cette année, on a la possibilité d’aller jusqu’au bout. On est face à un vrai choix de société. On fait notre boulot de citoyens, on essaye de prendre en main notre destin, et on remettra ça en septembre s’il le faut ».

Ce sera probablement sans Justine. « Je n’ai pas envie de retourner à la fac de Bordeaux en sachant que l’année prochaine ce sera la même chose ». Pour elle, le constat est déjà fait : « J’ai perdu mon année. Je ne vois pas de solution, on n’aura pas le temps de rattraper les cours. Mon alternative, c’est de partir à l’étranger ». D’autres envisagent de changer de ville à la rentrée. Beaucoup ont commencé à rendre leurs appartements, lassés de payer pour rien, ou préférant assurer les petits boulots sur lesquels ils s’étaient engagés dès le mois de mai. Même en imaginant une reprise des cours, seule une minorité risque d’être concernée. Dans le cas contraire, la présidence s’est donné jusqu’au 11 mai. Ensuite, elle fermera l’université.


Voir en ligne : http://www.libebordeaux.fr/libe/200...