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Bras de fer autour des examens à l’Université de Provence (Aix-Marseille I), par Louise Fressard, Mediapart, 9 mai 2009

samedi 9 mai 2009

A l’entrée de la Faculté de lettres (université de Provence) à Aix-en-Provence, un blocage filtrant ménage depuis mercredi un passage au milieu des chaises accumulées. Les étudiants en piquet de grève ne laissent entrer que le personnel administratif, les enseignants et certains étudiants aux problématiques particulières comme les étudiants Erasmus. C’est le seul changement concédé mardi 5 mai par les étudiants de la faculté aixoise, réunis en assemblée générale. La veille les enseignants-chercheurs du secteur lettres sciences humaines ont reconduit leur mouvement contre la réforme de l’université, entrant ainsi dans leur quatorzième semaine de grève.

Avec 24.000 étudiants, l’Université de Provence est la plus importante des quatre universités d’Aix-Marseille. C’est aussi la seule où la reprise des cours et l’éventuelle tenue d’examens deviennent critiques, en particulier pour sa faculté de lettres, à Aix-en-Provence. « La situation est très disparate selon les sites, note Julie Toubiana présidente de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) à Aix-Marseille. Beaucoup d’actions ont par exemple lieu sur le site de Saint-Jérôme (Université de Provence et Université de la Méditerranée) mais globalement les cours sont délivrés. A la fac Saint-Charles (Université de Provence) à Marseille, les cours ont lieu de 8 à 10 heures puis la fac est bloquée. Le seul endroit où ça va être compliqué pour les examens est la fac de lettres d’Aix-en-Provence. »

Si presque aucun cours n’a été assuré depuis le 2 février à la Faculté de lettres, « il y a eu des tas de transmission de savoirs alternatifs via notamment des veilles pédagogiques hebdomadaires », témoigne Mathieu Brunet, maître de conférences en lettres. Il a rendez-vous après l’AG avec ses étudiants pour voir où ils en sont dans le travail qu’il leur a confié sur un certain nombre de textes. Etudiante en première année de sociologie, Mélanie n’a pas vu certains de ses professeurs du semestre. « Quelques professeurs mettent leur cours sur Internet mais digérer 60 pages de cours d’un coup c’est difficile, raconte-t-elle. Il y a des rumeurs comme quoi on va nous donner l’année, d’autres qui disent qu’on va tous redoubler. »

2« Les notes ne sont pas le plus important »2

Deux solutions ont été évoquées lors de l’assemblée générale des étudiants du 5 mai : une validation du second semestre à partir des notes du premier (pour l’instant toujours retenues par les enseignants-chercheurs) ou une notation allant de 10 à 20 « pour que tout le monde puisse avoir son année ».

Mais pas question pour la direction de l’Université de Provence d’envisager un blanchiment ou une validation automatique du second semestre. Suite à l’irruption lundi 4 mai de quelque 300 étudiants dans les bâtiments administratifs de l’université à Marseille, le conseil d’administration, qui devait valider un aménagement des cours et la tenue d’examens pour sauver le semestre, n’a pas pu se tenir. Mais la direction y croit encore et devrait convoquer un nouveau conseil d’administration dans les jours à venir. « Pour valider un semestre, il faut sept semaines d’enseignement, indique-t-on à l’université de Provence. Si on arrive à reprendre les cours, avec des semaines plus intensives, c’est encore possible. La mobilisation pourrait alors continuer sous d’autres formes. »

« Plus on va approcher des examens, plus le gouvernement va avoir la pression et être mis face à ses responsabilités, parie Jonathan Bensaïd, 21 ans, étudiant en philosophie et membre du comité de mobilisation d’Aix-Marseille. C’est un mouvement qui voit à long terme : on a le choix entre une université publique laissant une place aux lettres et sciences humaines ou une université inféodée aux pouvoirs économiques locaux dont l’objectif sera le savoir-faire plutôt que le savoir. » Thomas Pruvot, 18 ans et à l’Unef, estime également que « le gouvernement utilise le prétexte des notes mais qu’il y a des choses plus importantes ».

2Des étudiants déconcertés2

Pris entre des contraintes très matérielles (frais engagés par les parents alors que les cours n’ont pas lieu, job d’été qui ne permettra pas un rattrapage après juin, loyer à payer, etc.) et leur soutien aux revendications du mouvement, certains étudiants sont déconcertés. A cause d’une inactivité qui se prolonge, Kevin, 19 ans, étudiant en première année d’histoire, aurait presque « honte d’être étudiant ». Ce matin, il a pris son sac à dos « pour donner l’air, dans le bus, que j’allais travailler mais ça ne sert à rien ».

« Mes copains en BTS finissent leurs cours le 16 mai, moi je n’ai même pas commencé !, s’exclame-t-il. Je trouve leur lutte contre la hausse des frais d’inscription et la masterisation légitime mais, moi, je suis à la fac parce que je n’ai ni le niveau ni les moyens d’aller ailleurs. Mon père est ouvrier, il travaille de nuit et il gueule parce qu’il croit que je ne fais rien de sérieux. »

« Quitte à avoir tenu 13 semaines, ça ne vaut pas le coup de lâcher maintenant, estime, quant à elle, Julie Kmieckowiak, 20 ans, étudiante en licence d’histoire-géographie. Mais les inquiétudes personnelles ressortent et ça se ressent dans les bastons en assemblée générale. » Un groupe d’une dizaine d’étudiants a ainsi profité de l’assemblée générale du 5 mai pour débloquer les portes, provoquant un beau remue-ménage et une évacuation du hall. L’altercation a tourné au débat sur le parvis de la fac. « Il y a d’autres moyens pour casser les pieds au gouvernement que de gâcher une année aux étudiants, s’énerve Nathalie Pavoni, étudiante en licence de lettres modernes. Le blocage d’une fac déjà bien abîmée, ce n’est pas malin et le gouvernement n’en a rien à faire. »

2« Le gouvernement se fout de tout sauf des examens »2

Si les étudiants s’inquiètent pour leur année, les enseignants-chercheurs comptent eux prendre le gouvernement à son propre jeu et le faire plier grâce à la question des examens que Valérie Pécresse a elle-même mise en avant. « Ça fait fait bientôt trois mois que nous sommes en grève et, contrairement à l’hôpital, ça ne dérange personne, lance Nanouk Broche, enseignante en théâtre. Qu’on donne des cours ou pas le gouvernement s’en fout. La seule chose qui lui importe, c’est que nous délivrions des examens ! »

Amer, Boris Burle, chercheur en neurosciences dans un laboratoire mixte Université de Provence-CNRS, regrette cette focalisation du gouvernement sur les examens. « On leur donne plus d’importance qu’à la transmission de savoirs alors que le diplôme n’est qu’un moyen de validation des connaissances, estime-t-il. Faire le forcing sur les diplômes, c’est vraiment dire que la fac n’est pas là pour transmettre des connaissances. » Le gouvernement « oublie que, pour qu’il y ait des examens, il faut déjà qu’il y ait eu des cours », ironise Mathieu Brunet. « Or quelle que soit la fatigue, les personnes présentes en assemblée générale ne plient pas ; notre détermination reste identique. »

Un bras de fer qui rend Xavier Lafon, vice-président du secteur lettres et sciences humaines de l’Université de Provence, très inquiet. « Le CNRS est en train d’être démantelé du côté des équipes de lettres et de sciences humaines ; sur le plan international, nous allons nous faire doubler par les Suisses et les Belges : il y a de quoi être désespéré pour l’avenir du secteur des sciences humaines, dit-il. La responsabilité des politiques est énorme, pas seulement du côté du gouvernement mais aussi du fait du silence assourdissant de l’opposition. »

L’état des bâtiments de la Faculté de lettres symbolise bien celui du secteur : des fils électriques courent à l’air libre, et à l’extérieur la façade tombe par plaques. « On dirait que c’est à l’abandon », soupire Mélanie, étudiante en sociologie.


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