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Pourquoi ce mur en face - Pierre Crépel, mathématicien et historien des sciences, L’Humanité, 28 mai 2009

vendredi 29 mai 2009

Il est trop court d’invoquer chez le gouvernement l’entêtement « idéologique », voire la simple volonté de destruction pour faire des économies. La mise au pas de l’université, travestie du joli nom d’« autonomie » fut l’une des premières mesures du quinquennat dès juin 2007. Et Ségolène Royal approuva instantanément de « moderniser sans tabou ». C’est d’ailleurs ce à quoi procèdent, sous des formes voisines, tous les gouvernements européens (et même d’ailleurs), qu’ils soient labellisés de droite, du centre ou sociaux-démocrates. La logique n’est pas bien difficile à comprendre. Les gisements de profits se sont déplacés : il y a un demi-siècle, la richesse d’un pays se mesurait par le charbon et l’acier ; aujourd’hui, c’est par les logiciels, les brevets, les services, la formation, les bureaux d’études. Le monde des affaires veut privatiser ce qui rapporte et socialiser les frais ; mais il veut aussi prendre toutes les décisions et ne plus les laisser à des instances élues par les universitaires. Les études doivent devenir un investissement payant que le client devra financer en s’endettant, puis rembourser sur les dividendes espérés. Le reste peut crever. Tout cela est écrit noir sur blanc dans tous les documents internationaux officiels, par exemple de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ou dans le rapport Lévy-Jouyet, sur l’économie de l’immatériel. Les gouvernements comprennent que ce carcan privatisant imposé, analogue des « ajustements structurels » dans le tiers-monde, sera impopulaire. Un document très cru et trop peu connu de l’OCDE (1) explicite alors la méthode de « faisabilité politique » : « Les mesures d’ajustement structurel peuvent être étalées sur de nombreuses années et chaque mesure fait en même temps des gagnants et des perdants, de telle sorte que le gouvernement peut s’appuyer facilement sur une coalition des bénéficiaires pour défendre sa politique. » (p. 5). « Les réactions politiques ont lieu au moment de l’application des mesures plutôt qu’à leur annonce. Cela peut s’expliquer par le caractère technique de l’ajustement : lorsque le gouvernement annonce un programme et en trace les grandes lignes, la plupart des personnes concernées ne sont pas capables d’avoir une idée claire des conséquences de ce programme pour elles, ou pensent qu’il touche plutôt les autres. » (p. 10-11) Concluons. Le « Pacte pour la recherche », la LRU, constituent des ajustements structurels auxquels le gouvernement tient beaucoup. Ce sont des bombes à sous-munitions, dont lesdites sous-munitions éclatent dans les décrets d’applications ultérieurs comme aujourd’hui : c’est alors que les acteurs prennent petit à petit conscience de la cohérence du système.

(*) Coéditeur des oeuvres complètes de d’Alembert. (1) Christian Morrisson, la Faisabilité politique de l’ajustement, Cahier de politique économique n° 13, 1996. Consultable sur www.oecd.org/dataoecd/24/23/1919068.pdf


Voir en ligne : http://www.humanite.fr/2009-05-28_T...