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Les sub-primes du CNRS - Marc Flandreau, blog Alternatives économiques, 29 novembre 2009

samedi 5 décembre 2009

Vous n’avez pas pu manquer cela. On donne maintenant, au Cnrs, des primes d’excellence. Pas des primes de compétence, ou des primes tout court, non des primes d’excellence. Je suis ces affaires d’assez loin, mais en gros voici comment cela marche. Si vous avez le prix Nobel ou la médaille d’or du Cnrs ou la médaille Fields vous gagnez 25,000 euros. Si vous avez la médaille d’argent de ce même Cnrs, vous gagnez 15,000 euros. Pour la médaille de bronze, c’est 6,000. Et si vous n’avez pas de médaille du tout, hé bien, vous allez en prison vous ne passez pas par la case départ, et vous n’achèterez jamais le boulevard des capucines.

Je n’ai pas tout saisi sur comment fonctionnaient ces primes parce qu’un ami me les a racontées d’une façon si drôle que nous hoquetions de rire et ma compréhension des choses en a été un peu embrumée. Par exemple, quelqu’un pourra sans doute me dire si ces primes sont comme je le pense des primes « à vie » (une fois médaille d’or, toujours médaille d’or ?). Sinon cela ne vaudrait même pas la peine d’en parler — autant parler de médailles en chocolat.

Comme il se trouve que j’ai eu la chance et l’honneur immense de recevoir, en 2001 je crois, une de ces médaille (bronze, en économie) je me suis tout de suite demandé s’il y avait un bureau où je pouvais faire valoir mon lot. J’ai donc pris ma voiture et me suis rendu à Annemasse de l’autre côté de la frontière, dans un bureau de tabac où j’ai présenté ma médaille de bronze contre un chèque de 6,000 euros mais apparemment cela ne marche pas comme çà.

Pourtant… Pourtant je me souviens très bien ce que m’avait raconté une amie de la « Section 37 », celle qui décide des médailles d’économie, à propos de ce membre de ladite section qui s’était opposé à l’époque à l’octroi de ce hochet en arguant de ce que : « Flandreau a déjà tout, qu’est ce que cela peut lui apporter de plus ? ». Je n’ai aucune idée de ce qui lui fut répondu (l’argument devait avoir du poids puisque je reçus la médaille in fine), mais en tout cas, je me dis qu’aujourd’hui, une telle objection ne serait plus tenable car la réponse pourrait cingler immédiatement « Ah, mais 6,000 euros ! ». C’est appréciable. En fait, mes amis, c’est un soufflet que ces 6,000 euros. Je vous donne un exemple. Un article m’a été commissionné récemment, par un banque centrale nord américaine, et le tarif est de 10,000 USD. Et c’est des clopinettes par rapport au bonus du vendeur de sub-prime. Alors qu’on arrête les blagues, de grâce, je vais étouffer de rire.

Tout cela pour vous dire que l’africanisation de la recherche française vient d’avancer encore à nouveau d’un petit-grand pas guilleret en avant. Car on aurait pu imaginer que les primes fussent fondées sur les publications, sur les ouvrages réalisés, sur le talent en général. Mais c’eût été beaucoup trop risqué ! On aurait pu découvrir tout d’un coup qu’un certain nombre de gens font bien leur travail, dans leur coin, loin des bureaux de la rue Michel-Ange, qu’il publient, qu’ils avancent, qu’ils ne sont pas dans la perpétuelle auto-promotion à cent sous. Il aurait alors fallu présenter la facture de ce talent à nos contribuables lesquels seraient apparemment prêt à régler la note de l’incompétence des banquiers mais ne semblent pas disposer à affronter l’idée qu’il y aurait une recherche libre et incitée à être libre au pays de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal.

La citation du larron de la Section 37 produite plus haut vous aura mis sur la voie. Les primes sont versées non pas à ceux qui le méritent mais à ceux qui obéissent. Ce ne sont pas des prix de marché qui renforcent la position de négociation du chercheur talentueux face aux bureaux. Plutôt, ce sont en somme des sortes de primes à la mode soviétique, façon médaille du parti, pour récompenser l’obéissance à ces mêmes bureaux.
Orwell a très bien expliqué cela. Le pouvoir bureaucratique central vend le faux comme vrai, la lâcheté comme courage, la médiocrité comme excellence, et ainsi de suite.
C’est pourquoi je prétends que les fameuses primes du Cnrs sont en réalité des sub-primes. Ce qu’il y a de bien c’est qu’elle ne coûteront pas trop cher.


Voir en ligne : http://alternatives-economiques.fr/...