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À quoi pensez-vous... Laurent Bove ? - extrait d’un entretien dans la RILI, nov-décembre 2009

vendredi 1er janvier 2010

Quelle est de votre point de vue l’idée ou l’analyse la plus originale ou féconde que vous ayez rencontrée dans vos lectures ou conversations récentes ?

La thèse développée par deux jeunes chercheurs, Guillaume Sibertin-Blanc et Stéphane Legrand dans leur ouvrage Esquisse d’une contribution à la critique de l’économie des savoirs. Sur la base d’un libre commentaire d’un entretien de Michel Foucault, « Pour en finir avec le mensonge », les auteurs soulignent d’abord les deux faces d’une même pièce que sont les deux conceptions du savoir comme valeur d’échange et comme valeur en soi qui seraient irréductibles, par nature, à la logique de la marchandise. Et ce, afin de soutenir l’idée d’une nature matérielle du procès de la production du savoir. Sur cette base – la pensée, comme le savoir, la culture et la théorie, sont des matérialités qui sont produites, qui circulent et qui sont consommées dans des conditions sociales déterminées –, les auteurs étayent une théorie de la récognition permettant de démarquer une problématique du jugement, en dernière analyse judiciaire, d’une pratique critique de la recherche et de la production des savoirs. Démarcation qui permet, au sein de l’Université, de pointer les exercices puérils qui sont totalement étrangers à ce que devrait être une véritable recherche qui loin de reconnaître ses objets (ou ses auteurs), doit inventer de nouvelles voies. Et d’en appeler, dans un programme très stimulant, à rompre avec le partage entre recherche des enseignants et formation des étudiants en faisant de la recherche le contenu même et la méthode du processus pédagogique ; à reconsidérer par là même aussi l’évaluation à partir de travaux de longue durée avec engagement dans des traductions ou des éditions critiques et, ce, dès les premières années ! Cela en coopération non seulement avec les enseignants, mais avec les étudiants des différents niveaux, dans le cadre d’un travail collectif (ce qui implique la création des appareils d’éditions et de diffusions au sein des universités)… De nouvelles pratiques donc, étayées sur une théorie des appareils théoriques de groupes (ATG). Il y a aussi, dans ce livre, une idée antinaturaliste qui me paraît nécessaire et décisive : faire apparaître dans toute leur dimension de contingence les processus historiques qui ont engendré l’état et les fonctionnements actuels afin de libérer la pensée des tautologies de la soumission qui reposent, en dernière analyse, sur une tautologie temporelle, une identité à soi du temps que nous reconnaissons comme nous reconnaissons des objets et des valeurs établies. Or, absolument parlant, comme le rappellent salutairement les auteurs, la pensée n’a pas (d’abord) d’objet mais une tâche : celle des exigences du devenir (« transition à l’issue indéterminée, précisément ce sur quoi porte le travail théorique des ATG »). Or, cet état d’indécision qui caractérise la fissure toujours ouverte du réel, que les pouvoirs travaillent sans cesse à couvrir, est aussi celui d’un affect : l’intolérable qui indique intensivement l’émergence d’un nouveau lieu de politisation et de résistance.


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