Accueil > Revue de presse > "Universités : l’autonomie peau de chagrin ?", par Philippe Dulbecco, Le (...)

"Universités : l’autonomie peau de chagrin ?", par Philippe Dulbecco, Le Monde du 11 mars 2009

mardi 10 mars 2009

Projet consensuel que la grande majorité des acteurs de l’enseignement supérieur appellent de leurs voeux depuis de nombreuses années, l’autonomie des universités consacre les notions d’élaboration et de mise en oeuvre d’un projet collectif d’établissement au niveau décentralisé. L’exercice de l’autonomie impliquant aussi une modernisation des outils et des pratiques de gestion, ce sont les étudiants comme les personnels de l’université qui sont appelés à en être les principaux bénéficiaires, en raison de l’amélioration de l’efficience et de la performance de leur établissement.

L’autonomie fera passer l’université française d’un système administré à un système consacrant la liberté des choix et des actions, et débouchant sur des politiques diverses tenant compte des spécificités de chaque établissement, de l’audace du projet de développement, de la capacité à mobiliser les partenaires de l’université...

Responsable de ses choix, disposant d’une plus grande maîtrise de ses moyens humains et financiers, l’université française sera en mesure de relever les défis qui se posent à elle : l’excellence de la recherche et le développement du savoir, la professionnalisation, la création de technologies, le développement à l’international... La mise en oeuvre de politiques de gestion des ressources humaines incitatives doit également permettre à chacun, enseignants-chercheurs, personnels administratifs, de trouver toute sa place au sein de ce projet de développement des universités mis au service de la société dans son ensemble.

Ce sont ces "fondamentaux de l’autonomie", qui transcendent les clivages idéologiques et politiques, qu’il s’agit de préserver face à l’expression de toutes les forces contraires dont la conjugaison est susceptible d’hypothéquer sans doute de manière durable, voire irréversible, l’ensemble du projet. Et ces forces sont nombreuses au sein d’une improbable alliance de fait qui témoigne, si besoin était, des difficultés réelles à réformer vraiment l’enseignement supérieur français.

Force administrative d’abord avec la publication, dès le mois de juillet 2008, du décret financier encadrant le passage à l’autonomie. Contrôle accru du recteur ex ante dès l’élaboration du budget, limites imposées par de nouvelles règles financières, comptables et budgétaires, instauration d’un contrôle ex post par un commissaire aux comptes... Premier coup de semonce contre l’autonomie, au nom du contrôle de la légalité, venu de Bercy, administration partenaire. Les universités autonomes ne pourront pas mettre en place leur propre système administratif de paiement des salaires ; leur politique de recrutement sera soumise au contrôle du recteur. L’autonomie oui, mais à condition de restreindre les marges de liberté des universités autonomes. Une première marque de confiance dans les universités autonomes.

Le deuxième coup de semonce est venu d’une partie des acteurs eux-mêmes, à savoir les IUT qui ont compris que l’autonomie des universités est contradictoire avec la leur. L’évidence même, comment pourrait-il en être autrement ? Et là encore l’expression de comportements de défiance, avec l’alibi de la défense de la technologie. Les IUT, dont la réussite ne saurait être contestée, ont exigé et obtenu du ministère l’élaboration d’une charte nationale censée organiser leurs relations avec leur université d’appartenance. Une charte nationale, faisant fi des spécificités de chaque établissement, des modes de coordination locaux mis en oeuvre de manière concertée, de la contribution des IUT au projet de développement de leur université... Les IUT hier, les autres facultés et écoles universitaires demain ? Le démembrement de l’université autonome. Une deuxième marque de confiance dans les universités autonomes.

Le troisième coup de semonce a pour origine les moyens attribués aux universités. Ce qui est ici en cause n’est pas tant la question du niveau global des moyens, dont l’augmentation significative ne saurait être mise en doute, que celle de la répartition de ces moyens. La polarisation des crédits du Plan campus, sur un nombre restreint de grandes métropoles, est venue confirmer les objectifs d’une politique orientée vers la constitution de grands ensembles universitaires.

En combinant ce plan à la mise en place, le 1er janvier, d’un nouveau système de répartition des moyens entre les universités axé sur la performance, mais sans véritable rattrapage préalable des disparités criantes et injustifiées des dotations financières et humaines entre établissements, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a fait le choix de conduire une politique de soutien discriminante : les universités les mieux dotées pourront avoir accès à un cercle vertueux, hausse de la performance, des moyens, a contrario de celles, moins bien pourvues, qui seront enfermées dans un cercle vicieux. Une marque de confiance oui, mais sélective.

La suite est mieux connue et résulte d’une succession de maladresses. Maladresse consistant à mettre en place l’indispensable révision du statut des enseignants-chercheurs en supprimant dans le même temps plusieurs centaines d’emplois dans les universités françaises. Maladresse réparée depuis. Maladresse d’un discours présidentiel dont le seul objectif aurait dû être de restaurer la confiance avec l’ensemble des acteurs de l’université.

Enfin les errements autour de la réécriture du projet de révision du décret de 1984 régissant les statuts des enseignants-chercheurs. Et le scénario du renoncement en perspective : les promotions gérées au niveau national par un Conseil national des universités (CNU) tout-puissant, un carcan national pour la modulation des services, et l’interdiction de facto de conduire une véritable politique de gestion des ressources humaines pour les universités autonomes.

De la crise actuelle pourra sortir le pire comme le meilleur. Le meilleur consisterait à revenir pour les consolider sur les fondamentaux de l’autonomie ; à redonner toutes les marges de manoeuvre financières aux établissements ; à parler vrai à l’ensemble des composantes des universités (en particulier aux IUT) et à rappeler le rôle décisif qui est le leur dans la conduite de tout projet de développement ; à repenser la répartition des moyens entre les établissements pour donner les mêmes chances à tous de se développer vraiment dans un système non seulement nouveau, mais aussi plus exigeant ; à réécrire certes le décret régissant le statut des enseignants-chercheurs, mais sans remettre en cause la nécessaire modulation des services et le pilotage au niveau de chaque université des promotions et des carrières.

Le meilleur ne pourra émerger sans que l’ensemble des acteurs, qui, il y a quelques semaines encore, partageaient ces différentes options, ne renouent les fils du dialogue et restaurent un climat de confiance dans un esprit de responsabilité collective.

Le pire pourrait provenir d’attitudes jusqu’au-boutistes et-ou d’une absence de courage politique, qui conduiraient dans tous les cas à amputer l’autonomie de ses principales dispositions pour ne conserver qu’une version en demi-teinte, consensuelle, vidée de sa substance et qui ne manquera pas de faire apparaître ses effets pervers dans un espace de l’enseignement supérieur désormais largement ouvert. L’autonomie des universités mérite le meilleur. L’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur se doit de déployer tous les efforts nécessaires pour ne pas manquer un rendez-vous qui ne se présentera plus.

Philippe Dulbecco est président de l’université d’Auvergne-Clermont-I.


Voir en ligne : Le Monde