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"Comment je suis devenu prof en un jour", L’Express, 15 février 2010

mardi 16 février 2010

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Les profs de l’académie de Créteil manifestent ce mardi contre la suppression de postes. Titulaire d’une maîtrise d’anglais, Manuel a, lui, été propulsé prof d’anglais dans un lycée du Val-de-Marne après avoir postulé sur le site de l’académie de Créteil.

"J’ai vu qu’il y avait des postes d’enseignants-remplaçants d’anglais Sur le site de l’académie de Créteil. En temps normal, je suis ouvrier-cordiste, mais dans une période où il n’y avait pas beaucoup de boulot, ma copine m’a inscrit.

Puis, il y a eu de nouveau du travail dans le bâtiment, je suis donc retourné à mon métier d’origine et je n’y pensais plus. Mais, quinze jours après, je reçois un coup de téléphone m’informant que je suis convoqué pour un entretien à l’académie. Je m’y rends sans trop y croire au départ.

Arrivé là, 5 ou 6 candidats patientent avec moi pour leur entretien. Lorsque mon tour vient, une inspectrice me reçoit et me donne un extrait du journal le Washington Post à lire. Puis à préparer un commentaire oral sur ce que j’ai compris. Quand je commence à parler anglais (il faut dire que je suis bilingue), elle ne s’attarde pas à m’interroger sur le texte. Nous engageons une conversation cordiale. Le courant passe bien. Et voilà, mes quinze minutes d’entretien sont écoulées.

Et si j’étais un psychopathe ?

Une fois que tous les candidats sont reçus, l’inspectrice nous fait un condensé des cours de l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) en 45 minutes. "Toujours respecter les délais que vous donnez à vos élèves" ou encore "Une copie doit être rendue le jour où vous aviez promis de le faire". Autre conseil : "Ne jamais faire de jeunisme, ne pas s’adapter à leur niveau de langage, ne pas adopter leur vocabulaire." Elle nous donne quelques exemples de mesures de discipline, en insistant sur le fait que si certaines paraissent désuètes, elles fonctionnent néanmoins. "Faire attendre les élèves avant de leur dire de s’asseoir par exemple".

A la fin de la journée, je rentre chez moi. Peu après, j’ai une réponse : je suis retenu. On me donne les clés du lycée, ma carte de cantine, et... Je signe mon contrat pour un poste à plein-temps dans un lycée du Val-de-Marne. Je suis moi-même étonné par ces responsabilités que l’on me donne. Et si j’étais un psychopathe ? Comment ont-ils fait pour me faire confiance aussi vite ?

Trois jours passent et j’atterris un lundi matin à 9 heures tapantes dans une classe, devant des élèves de terminale. Je ne suis pas impressionné. Plutôt à l’aise, je n’ai pas peur de prendre la parole en public... Il faut dire que j’ai déjà enseigné dans ma vie : deux ans dans une école primaire. L’enseignement m’a toujours branché, et j’ai fait mes études en ce sens. C’est juste que, plus jeune, le statut de fonctionnaire ne cadrait pas avec mes envies de faire le tour du monde. Aujourd’hui, à 40 ans, je pense autrement.

Avec mes dreadlocks, je n’ai pas cherché à faire illusion

La première semaine, tout se passe très bien. Mes élèves et moi apprenons à nous connaître, j’évalue leur niveau. C’est lors de la deuxième que ça se corse. Il faut préparer des cours, m’organiser un planning, suivre un programme. C’est le plus difficile, étant donné que je n’avais pas été formé. Mais je parviens à sauver les meubles ! Je travaille beaucoup à la maison pour préparer mes cours, je m’aide des manuels, DVD, cassettes que je récupère chez les autres profs du lycée.

Actuellement, j’en suis à ma troisième semaine de cours. Face à mes élèves, je n’ai pas cherché longtemps à faire illusion. En même temps, avec mon look, cela n’aurait pas été possible ! Je porte des dreadlocks, et j’ai un style particulier, qui contraste fort de celui de mes collègues. J’ai donc pris les devants et je leur ai dit la vérité. Pour l’instant, les retours sont plutôt bons. Ils disent à leurs autres profs qu’ils ont "un prof d’anglais super". Je fais de vrais cours, peut-être que certains élèves en ont douté au départ. Pour le moment, seule une classe -voie de garage- pose problème. Mais je ne suis pas le seul à l’avoir constaté, d’autres enseignants s’en plaignent aussi...

Certains de mes collègues enseignants sont surpris en me voyant. D’autres, quand ils apprennent mon parcours, hallucinent, même s’ils sont plutôt satisfaits de moi dans l’ensemble. Ce n’est que le début, pourvu que ça dure !"