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Le clientélisme universitaire a un bel avenir - Pierre Jourde, blog "Confitures de culture", nouvelObs.com, 23 février 2010

mercredi 24 février 2010

Un petit scandale vient de se produire à l’université de Metz. Il est révélateur de mœurs appelées à se répandre dans le radieux avenir ouvert par la réforme récente. Un comité de sélection, composé d’enseignants, est l’instance chargée de recruter les candidats qui se présentent aux postes universitaires ouverts au concours. Celui de Metz avait examiné les candidatures à un poste de maître de conférences et les avait classées. Comme la loi l’y autorise, le conseil d’administration de l’université a cassé cette décision pour placer la candidate locale. Ecœurés, tous les membres du comité ont démissionné.

Aujourd’hui, il y a parfois jusqu’à 40 ou 50 candidats sur de tels postes, avec une thèse, des articles, le plus souvent une agrégation. Les postulants envoient des dossiers, se déplacent, viennent des quatre coins de la France pour être auditionnés, avec l’espoir de trouver enfin un poste. Candidater revient très cher en photocopies et en billets de train. Le comité examine les dossiers, les thèses, les publications, auditionne les meilleurs candidats et les classe. C’est beaucoup de travail. Tout cela pour découvrir que tout était joué d’avance, que c’était une mascarade.

Il faut imaginer l’amertume des membres du comité, qui ont travaillé pour rien, et que l’on bafoue ouvertement. On leur demandait d’être aux ordres. Ils ne l’ont pas été : on passe outre. Quoi ? De l’indépendance à l’université ? Et puis quoi encore ? Puisque le président voulait Machin, il fallait élire Machin, au lieu de travailler bêtement sur des dossiers. Ce n’était pas la peine de perdre son temps à les lire.

Il faut imaginer l’amertume et le sentiment d’injustice chez le candidat d’abord élu, puis éliminé, et chez l’ensemble des thésards, qui travaillent dur, mais se font de moins en moins d’illusions : ils savent que, dans nos coutumes dignes d’une véritable Camorra académique, c’est le petit protégé local qui a toutes les chances d’être retenu, au mépris de toute égalité démocratique de chances devant le concours. Les recrutements perdent toute crédibilité, d’excellents chercheurs restent sur le carreau faute de protections locales.

C’est vrai, ces petits scandales se produisaient déjà avant, trop souvent. Ayant fait partie de trois comités de sélection, j’ai eu à en connaître quelques-uns, déjà assez gratinés. Une priorité de la réforme aurait dû être justement de s’en préoccuper, et de chercher à limiter autant que possible le clientélisme. La ministre a fait exactement le contraire, en prenant des mesures qui risquent de l’aggraver considérablement. Les universitaires se cooptent. C’est la garantie de leur indépendance intellectuelle. Jadis, tous les professeurs étaient membres de droit des commissions de recrutement, et ces commissions n’étaient renouvelées qu’au bout de quelques années. Après la réforme Allègre, on a élu les membres sur listes, ce qui éliminait déjà les plus indépendants. La réforme Pécresse permet au président de l’université de nommer les membres des comités de sélection, et ce pour chaque poste à pourvoir. C’est fabriquer des godillots. Des godillots jetables (sans parler du pastis qui consiste à reconstituer un comité pour chaque poste). En réalité, autant dire que le président nomme lui-même les universitaires, et qu’on maintient une vague fiction d’indépendance. Dans ces conditions, le comité de Metz a été héroïque. Cet héroïsme risque de devenir rare.

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