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Attention, rentrée dangereuse ! - par Gilles Cervera, Directeur de Maison d’enfants à caractère social (Mecs), président du Réseau national des communautés éducatives (RNCE). Libération, 24 août 2010

mercredi 25 août 2010

Pour une rupture, c’est une rupture. La rentrée 2010 rompt avec cent trente ans de jules-ferrysme. Les professeurs seront en septembre les fonctionnaires d’un Etat tellement économe qu’il aura économisé jusqu’à leur année de formation. S’ouvre l’ère des professeurs sans filet ! Juste au moment où les ados de notre pays comme ceux du monde entier sont devenus des êtres doux et dociles, au moment où les enfants de 3 ans s’avèrent des petits angelots qui disent bonjour à la dame et non merci au monsieur. Juste quand l’incivilité recule et que les couteaux rentrent dans leurs fourreaux, pile quand les inégalités sociales disparaissent. Attention rentrée dangereuse !

Lionel Jospin avait transformé la formation des maîtres, fusionnant en 1989 les surannées Ecoles normales et les CPR (centres pédagogiques régionaux) des professeurs de collège et lycée. Voilà qui est plus radical : l’université est chargée de mastériser les profs. Exit donc la pédagogie tant insupportée par la droite et la société des Zagrégés. Plus besoin de réfléchir aux postures, de mettre en scène la classe, la dynamique des groupes, de questionner l’autorité : restent le disciplinaire et la discipline ! Formation, didactique et sciences de l’éducation, tout ce fouchtra dont les formateurs d’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) ont fait une recherche appliquée : ter-mi-né ! Attention, profs en danger !

Certes, au départ, les professeurs auront à leur côté, pour les conseiller, un compagnonnage professoral outre les inspecteurs qui évalueront leurs compétences : où l’on perçoit combien les impétrants seront à l’aise pour dire leur insécurité à ceux-là mêmes qui proposeront ou non leur titularisation. Foin d’alternance entre l’IUFM et la classe, seulement des stages durant les années de master (en plus de la préparation du concours et de la rédaction d’un mémoire !), foin d’analyse de la pratique avec des pédagogues aguerris, les professeurs seront désormais les seuls fonctionnaires à être jetés dans le bain avec l’eau du bébé.

Imagine-t-on un inspecteur de police, un contrôleur des impôts ou une infirmière, nantis du concours, qui ne passerait pas par une école de formation ? Les professeurs auront leur master et sauront comment se débrouiller d’un groupe de vingt-huit bambins de 4 ans ou d’une horde de vingt-neuf adolescents par intuition.

C’est bien que les profs qui préparent la société de demain soient diplômés, ce n’est pas grave s’ils le sont trop, ce serait un comble qu’ils ne le soient pas, sachant que la rançon de ce niveau 5 (exigé par l’Europe) c’est la retraite à… 62 ans et quelques ! Les profs, ne leur en déplaise, sont bel et bien des travailleurs sociaux dont les deux ressorts sont la relation individuelle et la relation collective. L’art de dialectiser les deux devra ne plus être décortiqué, retour au naturel !

La société mute et l’école on en attend beaucoup, escomptant que les profs soient éducateurs civiques, instructeurs de prévention routière et de diététique, qu’ils exercent la mémoire outre l’initiation aux tables de multiplication et au carré de l’hypoténuse. Le tout sur fond de gimmick valorisant les loisirs et les vacances, critiquant l’autorité (sauf celle du flic), prônant l’épanouissement personnel et déniant le goût de l’effort !

On sait d’avance que l’école est perdante et les profs sur la sellette en premier. Ils ont un mal fou à exercer leur métier car c’est une mise en scène quotidienne face à un groupe sans aménité ni pardon. Sauf dans les lycées Louis-le-Grand de chaque métropole de région ! Or l’IUFM n’a jamais été le conservatoire ! Quel acteur né faut-il être pour trouver chaque jour l’accord avec son public et enchanter la langue anglaise, l’arithmétique ou les sports collectifs ! Beaucoup de profs dûment formés en crèvent, à l’instar de France Télécom : les cliniques psychiatriques sont pleines à ras bord de profs à ras-le-bol.

Il faut être tous les jours très en forme pour affronter un public d’adolescents. Ou de bambins de 3 ans. Tout est fait pour exciter les enfants. La télévision ou les consoles de jeu les surstimule. Or un professeur se retrouve face à cette excitation avec son seul corps et sa seule voix. Au passage est oublié le travail en équipe : imagine-t-on, dans une Maison d’enfants à caractère social, un éducateur seul face à un groupe d’ados ? L’éducateur travaille toujours en doublure, le professeur en solo !

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