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Tableau de bord d’un prof (déjà) à bout - Libération, 15 décembre 2010

jeudi 16 décembre 2010

Bulletin. David S. enseignant stagiaire de 25 ans avait raconté dans « Libération » sa rentrée sans filet dans un collège. Un trimestre plus tard, la fatigue, le doute et l’amertume gagnent.

Prof d’histoire-géo débutant, David S., 25 ans, avait accepté en septembre de tenir le journal de bord de sa première rentrée, dans un collège du Val-de-Marne (Libération du 10 septembre 2010). Après trois mois, il revient dans nos pages. Et tire un bilan de son premier trimestre de prof stagiaire. Comme 8 000 autres, David S. a été jeté dans l’arène, sans véritable préparation professionnelle, dans le cadre de la réforme de la formation des enseignants. Moments de désespoir, de doute, de rage…

Vendredi 19 novembre

« Le trimestre touche à sa fin. J’en veux pour preuve les demandes incessantes des élèves concernant leurs moyennes, les copies qui s’accumulent et les déboires informatiques pour entrer les notes sur le logiciel prévu à cet effet. Je barre les jours restant avant les vacances de Noël aussi. Il est vrai qu’une certaine routine s’est installée qui permet de prévenir l’affolement. Mais la situation ne s’est pas améliorée. La fatigue s’accumule et l’amertume guette de plus en plus. »

Samedi 20 novembre

« 8 h 15. Pour ne pas être débordé la semaine prochaine, je prépare un planning. Avec tout ce stress, l’organisation doit être le maître mot. Je suis plutôt frais ce matin. En une demi-heure, mon planning est construit. Si je le respecte, j’aurai droit à quelques heures de repos en fin d’après-midi, au moins deux.

« 15 h 45. Mon planning est foutu. J’ai passé trop de temps à réfléchir à la mise en œuvre du programme. J’ai regardé quelques bouquins d’historiens pour être au clair avec les notions. Je me suis pris la tête sur la cohérence de ma séquence. Résultat : le cours n’est pas prêt, je dois corriger un paquet de copies et faire les moyennes de mes cinquièmes. Je ne peux rien remettre à demain, la nuit sera longue et malheureusement pas dans un bar du quartier. »


Dimanche 21 novembre

« Je reviens d’un très court séjour en Belgique. Je pensais me changer les idées, mais rien n’y a fait. J’ai irrémédiablement pris du retard et j’entame la semaine avec une très grande fatigue. Après une année de concours aussi éprouvante l’an dernier, pas le droit de souffler, même le temps d’un week-end. J’ai la tête qui tourne et l’impression de m’être fait avoir. »

Lundi 22 novembre

« J’ai craqué. Avec l’accord du principal, je suis rentré chez moi dans un état de nerfs jamais éprouvé. Dur, j’ai les larmes aux yeux. »

Mardi 23 novembre

« La nuit de sommeil a été réparatrice. Avec un peu de recul, je me dis que depuis quelques années le mois de novembre est une période difficile. Mais celui-ci l’est particulièrement. Fatigue : énorme. Estime de soi : zéro. Les premiers conseils de classe vont arriver. Il faut faire les moyennes et surtout remplir les bulletins. Je ne suis pas sûr d’évaluer mes élèves correctement sur un contrôle alors comment le faire sur un trimestre ? Les bulletins sont déterminants pour eux. Je ne veux pas jouer l’avenir de 150 gamins en racontant n’importe quoi, alors je reste le plus neutre possible. Et surtout qui est cette Julie dont je n’ai jamais entendu la voix et qui a une note moyenne ? Il me faudra consulter le trombinoscope. Ça me peine de ne pas connaître tous mes élèves. »

Jeudi 25 novembre

« J’ai une heure de trou cet après-midi. Je devrais remplir mon cahier de texte mais je suis vraiment cuit. Je préfère zoner sur Internet. Comme chaque jour, je regarde le site Stagiaireimpossible.org pour savoir où en est la mobilisation. Depuis quelques semaines, je suis persuadé que les choses ne sont pas normales et doivent changer. Nous ne sommes pas formés et nous avons beaucoup trop d’heures pour prendre le recul nécessaire sur nos cours et nos pratiques pour une première année. Notre état d’épuisement et de nerfs, c’est une chose, le sort des élèves (surtout de ceux en difficultés), c’est en une autre. Cette responsabilité me fait travailler plus que de mesure et je sacrifie bien des loisirs cette année. Mais je ne peux pas combler le déficit de formation par un travail sans limite. »

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