Accueil > Université (problèmes et débats) > Séminaire Politiques des Sciences > Verbatim de la 1ère séance du séminaire "Politiques des sciences" (EHESS). (...)

Verbatim de la 1ère séance du séminaire "Politiques des sciences" (EHESS). "Enjeux et futur du mouvement universitaire" (4 novembre 2009)

mardi 10 novembre 2009, par Laurence

Présentation du séminaire et de la séance du 041109[1], Robert Descimon (EHESS)

Ce séminaire se fixe pour objectif d’être une continuation, sous une forme intellectuelle, du mouvement d’opposition aux réformes engagées dans les années précédentes et qui introduisent des perturbations fondamentales dans le fonctionnement de la recherche et de l’enseignement supérieur, aussi bien des universités que des grands établissements de recherche (Cnrs, Inserm, etc.).

Je dois dire deux choses très brièvement pour commencer. La première est que ce séminaire est un séminaire alternatif qui se place clairement dans uneperspective contestatrice. Mais il est aussi un séminaire de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il ouvre la possibilité de validation et de travaux d’étudiants. Ce séminaire est placé sous la responsabilité de trois organisateurs principaux : Michel Agier, anthropologue, Robert Descimon, historien, et Christian Topalov, sociologue.

Nous ne récusons nullement cette perspective, qui est une perspective d’action et de réflexion sur ce qui s’est passé.

Alors, mon expérience personnelle est que nous avons beaucoup de mal à théoriser notre propre expérience dans des termes qui soient simplement acceptables sur le plan scientifique. Cette dimension de compréhension est essentielle et suppose un point de vue d’objectivité. C’est pourquoi ce séminaire compte entendre les divers acteurs et, d’une façon particulièrement précieuse, ceux qui sont des partisans, des acteurs de ces réformes ou s’en accommodent. Donc, s’il y a une visée d’action, dans notre démarche, il n’y a, en revanche, pas de visée partisane.

Nous recevons cinq orateurs. Je propose que Jean Louis Fournel, professeur à Paris-8, parle le premier. Tout d’abord, parce qu’il était l’un des porte-parole de SLU (Sauvons L’Université)[2] l’an dernier et qu’il était donc à la pointe du mouvement. Et d’autre part, parce qu’il est universitaire et que l’université est au centre de ce qui se passe à l’heure actuelle, ainsi qu’au centre de l’activité de recherche et d’enseignement. Et puis ensuite, nous donnerons la parole à Pauline Delage, qui est étudiante, et le rôle des étudiants a été évidemment capital dans ce mouvement. Il y a plusieurs raisons pour donner la parole aux étudiants en priorité, ne seraient-ce que les perspectives d’avenir et les perspectives d’action. Ensuite, je comptais donner la parole à Luc Boltanski. Suivra Isabelle This Saint Jean (SLR- Sauvons La Recherche)[3] et, pour terminer, Marcel Gauchet.

II) Interventions

* Jean-Louis Fournel, Paris-8, SLU

Si je devais donner un titre à mon intervention aujourd’hui ce serait « lancer un appel à la bataille des mots », à laquelle on a renoncé depuis trop longtemps. Le premier mot qui me vient à l’esprit c’est le mot « débat ». Dans une tribune co-signée par les quatre porte-parole de SLU l’an dernier, au tout début du mouvement, on appelait à un débat national. Ça a été très compliqué d’obtenir cette tribune dans Le Monde. D’abord parce que c’était une tribune collective, ensuite parce que c’était une tribune qui ne plaisait pas au Monde dans son propos. Mais finalement on a pu l’obtenir. Et ce mot de débat national, qui a pu susciter parfois des railleries ou des quolibets, qui a été repris à d’autres moments par les ministres concernés, Pécresse ou Darcos, en s’exclamant à un moment donné : « mais un débat qu’est-ce qu’ils veulent ? De la parlote encore pendant deux ans pour rien faire ». C’est un petit peu ce qui est en jeu aujourd’hui parmi nous. Et un débat qui devrait être fondé sur un certain nombre de questions auxquelles les réponses ne sont pas données ou ne doivent pas être données, car ce sont des questions qui restent en suspens et qui expliquent probablement pourquoi il s’est passé historiquement ce qui s’est passé dans les six derniers mois. Alors, parmi ces questions possibles, j’en retiendrai trois pour mon exposé.

Ces trois questions sont les suivantes :

1/ Pourquoi ce débat contradictoire sur un enjeu d’intérêt national suit l’action politique, suit la réforme et ne l’a pas précédée ?

2/ Pourquoi le mouvement qui a réuni un certain nombre de personnes de janvier à juin a-t-il échoué ? Ou, plus exactement, pourquoi ce mouvement a-t-il l’apparence de l’échec ? Je dis l’apparence d’un échec car il s’agit d’un échec tactique. En revanche, il a peut-être esquissé une situation dans laquelle le débat que l’on attend va devoir se tenir ;

3/ le troisième questionnement est de savoir s’il existe un avenir, à court ou moyen terme, qui ne soit pas purement épistémologique, cognitif, à ce débat ? C’est la chose qui m’intéresse le plus. Il y a des mots, une bataille, la bataille des mots ça suppose de traduire les mots et de remettre la théorie dans la rue. Bref, comment traduire politiquement ce que nous avons essayé collectivement d’appeler la repolitisation du débat dans le texte de l’analyse du mouvement qui a été conduite par SLU en juillet dernier et qui a été édité récemment dans le volume de Claire Brisset, L’université et la recherche en colère, aux côtés, comme dans ce séminaire, d’interventions toutes différentes, avec des positions très différentes. Et je trouve que c’est une initiative extrêmement heureuse de mettre en place un débat écrit entre des positions de personnes qui s’intéressent tous à la même question mais à partir de focalisations et de conclusions qui parfois ne sont pas les mêmes.

Alors, premier point, pourquoi ce débat contradictoire n’a-t-il pas eu lieu plus tôt ? Cette absence de débat depuis vingt ans, vingt-cinq ans, sur ce que cela peut être l’enseignement supérieur et la recherche, donc une absence de débat dont les responsabilités sont multiples et ne sont pas concentrées uniquement dans le gouvernement actuel. Pourquoi cette absence de débat, pourquoi notamment le camp dit progressiste, pourquoi la gauche, en gros, n’a-t-elle pas su mener la bataille sur ce point ? Pourquoi s’est-on contenté de penser aussi bien dans le plan Universités 2000 que dans le plan du Troisième millénaire [doc joint] que si on donnait des sous et des mètres carrés aux universitaires on avait réglé la question des universités françaises ? Pourquoi les enjeux politiques n’ont-ils plus été débattus entre la communauté universitaire, la société, et les gouvernants : la nation, pourquoi ça ne s’est pas débattu avec la nation mais ça s’est débattu ailleurs ? Pourquoi un certain nombre de choses qui sont de l’ordre du rédhibitoire, de l’inexorable ont-elles été décidées dans d’autres lieux, à partir d’autres points de focalisation que celui du futur de l’Université ? Je pense notamment à un certain nombre de choses que nous avons laissées passer comme des évidences, comme des points techniques, comme des points relevant du bon sens, parce que justement nous avions oublié que certains mots pesaient du plomb. Pourquoi, en quelque sorte, s’est instaurée une forme de doxa où nous-mêmes nous employons des mots qui ne vont pas de soi, où nous-mêmes nous acceptons de parler aussi bien le langage de l’adversaire que notre propre langage revisité par l’adversaire - ce qui est encore pire ?

J’aimerais finir mon intervention par deux listes de mots : la liste des mots dont on doit se réemparer et la liste des mots que l’on doit combattre. Je crois que cela fait partie de notre feuille de route pour les mois à venir.

Je crois qu’il y a une responsabilité écrasante de la gauche française à propos du fait que ce débat n’ait pas eu lieu, une responsabilité écrasante de la gauche qui a cessé de penser l’université et plus généralement le système éducatif et le lien entre le système éducatif et la recherche universitaire et non universitaire comme quelque chose qui était le socle d’une communauté, de notre communauté républicaine. Je crois que c’est un vrai problème et que cela explique la pauvreté insigne des interventions sur ce plan là de la part des gens qui sont nos élus dans les camps de la gauche. Et ça ne veut pas dire qu’ils sont moins intelligents qu’avant. Le fond du problème c’est qu’on a délaissé un champ, un lieu de la réflexion et que c’est ce champ qu’il faut réoccuper et que s’il y a un intérêt à ce mouvement, c’est qu’il peut éventuellement pousser ceux qui devraient être les représentants d’une bonne partie d’entre nous à reprendre sérieusement en main cette affaire.

Bref, il faut refaire de la politique. Alors c’est devenu grossier, c’est devenu inconvenant. On associe cela à un mot encore plus grossier, l’idéologie. Je crois qu’il faut refaire de l’idéologie, refaire de la politique, parce que ceux d’en face, ils en font. Tout simplement.

C’est pourquoi cette première question, c’est pour moi la chronique d’une défaite annoncée, justifiée par une démission annoncée ; la démission de celles et de ceux qui auraient dû porter ce débat là. La défaite, dans une certaine mesure, c’est aussi la nôtre ; nous avons accepté par exemple que la référence à la professionnalisation, dans le domaine universitaire, aille de soi, nous avons accepté que cela devienne le centre de la réorganisation de l’espace universitaire, jusqu’à changer la dénomination de la direction générale de l’enseignement supérieur. Nous avons accepté, mais par peur, tout simplement, parce que nous avons peur de dire que cela ne va pas de soi, qu’il ne va pas de soi que toute l’université soit entièrement tendue vers la professionnalisation. Nous avons accepté, par exemple, d’abandonner le mot autonomie à nos adversaires. Or l’autonomie est un mot que nous devons reconquérir, justement. Mais l’autonomie, ce n’est pas celle que, eux, veulent. Ce n’est pas celle qu’ils mettent en place ; ce n’est pas celle financière et de gestion. C’est autre chose l’autonomie, pour qu’elle soit productive.

Nous avons aussi accepté de ne pas nous interroger sur un certain nombre de propositions qui avaient des effets à moyen et à long terme importants dans le processus de Bologne. Et c’est un Européen convaincu qui le dit. Je n’ai jamais été « noniste », mais il est clair que je me reproche à moi-même de n’avoir pas vu percer dans ce processus là un certain nombre de choses qui posaient problème et qui ont été après, traduites et théorisées par les réformes en cours.

Nous avons aussi accepté l’idée – qui ne va absolument pas de soi – que ça soit bien de faire des classements, que ça soit bien d’évaluer, de façon à comparer, tel établissement avec tel autre, que ça fait partie en quelque sorte de l’amélioration du système universitaire. Il y a même des gens qui parlent de la catégorie de « benchmarking », de la catégorie de « tuning » - évidemment, en anglais, ça fait mieux parce que ça fait sérieux, ça fait plus chic et que cela permet de s’interroger un peu moins sur l’origine des mots –, qui considèrent que cela va de soi. Et bien non, cela ne va pas de soi et tout d’abord parce que cela appartient à d’autres champs. On devrait s’interroger sur ce que cela devrait dire d’emprunter ces catégories au champ du marketing ? Qu’est-ce que ça veut dire de parler de compétences et de ne plus parler de savoir et de connaissance ? Tout cela fait partie des batailles à reprendre.

Deuxième point, pourquoi avons-nous échoué en partie l’an dernier ? Pourquoi a-t-on échoué sur le plan tactique ? Parce que nous avons conjugué plusieurs incapacités :

- une incapacité à imposer un autre rapport de forces et à trouver des relais politiques au mouvement. Car chaque fois qu’on essayait d’en trouver, on avait en face de nous des gens qui pensaient la même chose que ceux qu’on combattait. Mais ça a changé un petit peu, petit à petit ;

- une incapacité à maintenir la créativité du mouvement à un niveau élevé de renouvellement plus d’un mois et demi - deux mois, sur les cinq mois qu’a duré le mouvement. C’est normal. On a compris qu’il était important de sortir de l’université pour faire de ces dossiers des enjeux publics, pour aller vers les citoyens. Pas au nom d’une mythique convergence des luttes qu’on a cherché à tout prix à obtenir sans jamais la toucher. Mais tout simplement pour faire de cette question là un enjeu de débat national ;

- une incapacité à gérer la temporalité du mouvement. Aucun d’entre nous n’a pensé le 20 janvier ni encore moins le 2 février, jour du vote de l’arrêt de l’université, que cela allait durer jusqu’au mois de juin. Et on a à cet égard totalement sous-estimé la capacité de nos adversaires, leur détermination, et ce, pour une raison très simple, c’est qu’ils n’avaient absolument rien à faire de ceux qui constituaient l’épine dorsale du mouvement. Ça n’était pas un enjeu pour eux, tout simplement. Ça c’est quelque chose qui intellectuellement est un aspect intéressant à questionner aujourd’hui : pourquoi ça n’était pas un enjeu pour eux ?

Deux autres incapacités encore :

Lire la suite sur le blog "Politiques des sciences"

Lire la deuxième partie du séminaire (Luc Boltanski)

Lire la troisième partie du séminaire (Isabelle This)