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Compte rendu de la réunion des DU au Collège de France

par Sylvestre Huet (Libération)

mardi 4 mars 2008, par Laurence

Un long compte rendu, avec le texte commun qui est "sorti" de la réunion.

"Le bombardement fut symbolique : des avions de papiers, colorés, passant par dessus une haie de policiers, fleurissent le jardin du ministère de la recherche, rue Descartes à Paris. Inquiets, les R-G avaient téléphoné aux organisateurs. « Vos avions, ce sont bien des avions de papier ? » Georges Debrégeas, vice-président de Sauvons la recherche, en rigole encore.
Oui, avait-il rassuré les policiers, les avions que les jeunes chercheurs, taquins, ont envoyé s’écraser dans le jardin du ministère de la recherche hier, vers midi, à Paris, étaient bien de papier. La colère des envoyeurs, en revanche, était de béton armé.

C’était jour de manifestation et de réunion. Au Collège de France, plus de six cents directeurs de laboratoires et membres des instances scientifiques - le Comité national des universités et le Comité national de la recherche scientifique - s’étaient donné rendez-vous. Le début fut assez comique, la direction du Collège de France, rudement sermonnée par le cabinet du ministère de la Recherche, essayant de se faire pardonner d’avoir prêté l’amphi Marguerite de Navarre aux contestataires en faisant la chasse aux journalistes. Pas de bol pour mes collègues armés de caméras, ils sont trop visibles. Quant à moi, refoulé deux fois, je profite d’un moment d’inattention pour me cacher derrière un chercheur corpulent et me glisser dans la salle.

La salle était pleine. Les cinq cents sièges sont tous occupés, et il y a du monde dans les travées. A la tribune, un couple chabada tient la cloche : Philippe Blache, politiste et homme, Catherine Jeandel, océanographe et femme. Mission : réussir à obtenir des six cents scientifiques une discussion organisée et un texte final. Rude boulot.

Cela commence pourtant bien, avec la lecture d’un messsage du dernier prix Nobel Français, Albert Fert. le physicien ne peut être là, mais il tient à dire tous "ses désaccords avec le discours du Président Sarkozy" lors d’une cérémonie en son honneur à Orsay, le 28 janvier dernier. Catherine Jeandel lit son message, qui insiste notamment sur la nécessité de maintenir un CNRS en capacité de mener une politique scientifique et de dégager du temps pour leur recherche aux jeunes universitaires.

Puis, Yves Langevin prend la parole. Le président de la conférence des présidents de sections du comité national de la recherche scientifique (ouf..) tient un discours fort, charpenté, en quatre points :

- la recherche française n’est pas la nullité que dénonce la droite et Sarkozy, avec un rapport entre dépenses et publications scientifiques trois fois meilleur que le Japon et 1,7 fois meilleur que les Etats-Unis. En outre, avec le cinquième rang mondial en nombre de publications pour le 6ème rang en PIB, il n’y a pas de quoi rougir.
- Le risque de voir le système ne pas changer n’existe pas puisqu’il vient de subir deux réformes fondamentales : la loi Liberté et responsabilité des Universités, la loi Pacte pour la recherche.
- l’AERES, agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur créée par le gouvernement ne correspond pas aux normes internationales. Dans la plupart des pays qui ont ce type de structures, une part importante des membres est élue par les pairs et non nommée par le gouvernement.
- L’Agence nationale de la recherche ne correspond pas non plus aux normes internationales, avec l’absence d’un conseil scientifique, des directions entièrement nommées par le pouvoir politique, 73% des budgets consacrés à des thématiques décidées par le gouvernement.

Tout cela, conclut-il relève d’une idéologie qui veut mettre sous tutelle étroite du politique la recherche.
A l’applaudimetre, ce fut un des plus grands succès de la matinée.

Puis, surprise, madame Catherine Bréchignac, la présidente du Cnrs, prend la parole. Sous un prétexte poli : "vous m’avez invité, donc je suis venue". En fait, si son discours reste très prudent, sa présence est un avertissement au gouvernement : qu’il ne compte pas sur la direction du principal organisme de recherche pour faire taire la contetation qui monte des labos.

Parmi les autres orateurs à succès :

- Bertrand Monthubert, le président de Sauvons la recherche, lorsqu’il montre le divorce entre le discours gouvernemental qui prétend mener 50% d’une classe d’âge en licence et améliorer l’encadrement pédagogique sans créer un seul poste d’enseignant chercheur.

- Françis-André Wolmann, biologiste, lorsqu’il résume avec brio le fond de l’affaire : "De droite ou de gauche (Claude Allègre), la classe politique est persuadée qu’il y a trop de dépenses publiques de recherche en comparaison de leur impact sur l’économie et l’industrie, donc, il faut les réorienter vers le privé et le soutien à la recherche industrielle. Comme le système Organismes de recherche/chercheurs publics/participation des chercheurs à la définition des programmes constitue une forte inertie devant un tel objectif, il faut le remplacer par Agence nationale de la recherche/précarisation des emplois. Il faut récuser cette transformation."

Si la discussion fut parfois compliquée - les scientifiques ne sont pas d’excellents militants, il faut l’avouer - elle déboucha tout de même sur un texte clair et court.

Le voici ci-dessous :

Ce mardi 4 mars 2008, plus de 600 directeurs de laboratoires de recherche et membres d’instances scientifiques de tout le territoire se sont réunis à Paris pour exprimer leur vive inquiétude sur le nouveau paysage de la Recherche qui est en train de voir le jour au travers des réformes, déjà mises en place (loi d’orientation et de programmation de la recherche de 2006), ou en train de l’être (loi LRU sur les universités), ou annoncées dans le discours du président de la République du 28 janvier dernier.

Nous considérons comme indispensable d’effectuer une évaluation de ces réformes. Ce bilan doit être un préalable à toute nouvelle réforme qui, à défaut, constituerait une fuite en avant.

Nous réaffirmons que toute réforme doit respecter les principes fondamentaux qui suivent, conditions indispensables pour que la recherche française puisse conserver son rang dans les grandes nations scientifiques et accroître son rayonnement international :

* Le plus important d’entre eux est le respect de l’autonomie du champ scientifique par rapport au politique.

* La recherche fondamentale visant à faire progresser la connaissance, sur un front large, est indispensable pour avancer sur les grands enjeux stratégiques et sociétaux, ceux-ci pouvant être dégagés par la puissance publique. Elle doit s’appuyer sur la coopération et non sur la concurrence.

* Les différents opérateurs de recherche (organismes et établissements d’enseignement supérieur) ont vocation à mener une politique scientifique, se concrétisant et se complétant au niveau du laboratoire.

* Un renforcement significatif des financements de base pluriannuels alloués aux laboratoires de recherche, par rapport aux financements sur projets à court-terme plus finalisés (Agence Nationale de la Recherche), est indispensable. Remarque : les financements de base des laboratoires sont en forte baisse (par exemple baisse de 15% en moyenne en 2008 au CNRS).

* L’attractivité des métiers de la recherche passe non seulement par une revalorisation des rémunérations et des carrières des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, mais aussi par le renforcement d’une politique de recrutement sur poste permanent le plus rapidement possible après la thèse. Le doctorat doit être réellement reconnu comme diplôme professionnel.

* Les conditions permettant aux enseignants-chercheurs d’exercer leur activité de recherche doivent être améliorées.

* Le CNRS, opérateur de recherche généraliste, pluridisciplinaire, est un garant de la recherche fondamentale, et un partenaire des établissements d’enseignement supérieur. La transformation du CNRS, après l’INSERM, en un ensemble d’instituts présente de ce point de vue des risques d’éclatement de l’organisme.

* L’évaluation des personnels et des structures à l’échelle nationale doit comporter une forte proportion d’élus par les pairs.

Nous, directeurs de laboratoires et membres d’instances scientifiques, avons des propositions à faire sur l’évolution de la politique de recherche et les remettrons au plus vite. Nous maintenons la vigilance et prendrons toute action appropriée si les décisions gouvernementales remettaient en cause les principes que nous venons d’énoncer.