Accueil > Communiqués et textes de SLU > Juridex (Conseil d’État, printemps-été 2010) > Mobilisation contre la réforme de la formation des enseignants : le moment (...)

Mobilisation contre la réforme de la formation des enseignants : le moment juridique - par Etienne Boisserie pour SLU (8 juin 2010)

dimanche 13 juin 2010

Le 2 juin 2010, Sauvons l’Université !, la FCPE et SUD-Education ont déposé conjointement 6 requêtes en annulation au Conseil d’État, assorties de référé suspension, contre certains textes relatifs à la réforme dite « de la masterisation de la formation des enseignants » : des arrêtés sur les nouveaux concours (professeurs des écoles, du second degré et conseillers principaux d’éducation) et une circulaire sur les conditions de stage des fonctionnaires stagiaires à partir de la rentrée 2010. Le SNESup, avec qui nous avions eu des échanges préparatoires, et plus largement la FSU, ont fait de même contre cette circulaire. Les analyses sont en effet convergentes, utilisent des moyens très proches et visent au même résultat.

Cette démarche commune, sinon conjointe, s’enracine dans la mobilisation des deux dernières années et s’inscrit dans sa continuité (I). Certains ont pu s’interroger sur le caractère éventuellement dilatoire de la démarche ou sur les moyens soulevés. Nous en expliquons les points essentiels (II).

I. Du mouvement à la requête : une nouvelle étape de la mobilisation

Ces requêtes sont la conséquence la sidérante incapacité ministérielle à prendre en compte la qualité et de la pertinence des centaines d’analyses produites par les syndicats, les sociétés savantes, les associations, les collègues à titre individuel ou collectif, et à tirer les conséquences de l’extension et de la généralisation du front du refus

Une démarche contentieuse fruit de la mobilisation

C’est le maintien de la mobilisation jusqu’aux premiers mois de 2010 qui a rendu cette démarche contentieuse possible. De cette pression permanente découle ce que SLU considère être un invraisemblable meccano juridique révélateur à la fois de l’improvisation de cette réforme et de sa volonté de remettre en cause le système public d’éducation nationale.

Alors que dans les premières semaines de 2010, le ministère s’est efforcé de nous convaincre de l’inéluctabilité de la réforme, de son inflexible volonté à l’imposer coûte que coûte, le cadre juridique sur lequel il s’appuyait était insuffisant, sinon indigent. Les syndicats n’avaient d’ailleurs pas manqué de lui signaler que les conditions de titres et diplômes requis pour concourir ne pouvaient être produites au moment des inscriptions dans le nouveau calendrier. Or, sur ce point pourtant fondamental, aucune modification n’est intervenue avant le… 30 mai 2010, date à laquelle les décrets de juillet 2009 étaient modifiés sur ce point, 48 heures avant l’ouverture des inscriptions.

Pourquoi si tard ? La mobilisation, même dans des conditions difficiles et sous des formes diverses, ne s’est jamais éteinte, les universités ont résisté à l’élaboration de nouvelles maquettes de master présentée comme indispensable, les collègues des premier et second degrés tout comme les parents d’élèves se sont mobilisés plus largement. Aucun syndicat ni aucune association n’a laissé la mobilisation s’étioler. En n’abandonnant à aucun moment le terrain de la lutte, chacun à sa place a contribué à faire craindre au ministre une amplification de la contestation. Celui-ci a préféré repousser la publication des textes réglementaires nécessaires, qui l’aurait contraint à expliquer et à défendre publiquement une réforme littéralement inexplicable et indéfendable. Ce processus est décisif pour expliquer la situation actuelle.

Un semestre de manipulations : de l’apesanteur juridique à la cascade normative

Faute de pouvoir prendre le risque d’un mouvement d’envergure, entre janvier et mai, le ministère a eu recours à des expédients : fuites organisées destinées à faire passer pour acquis les dates des concours et le périmètre des programmes, notes de service ou simples lettres aux recteurs abusivement présentées comme des circulaires, dont la publication au BOEN a pu prendre jusqu’à plusieurs semaines. Il a outrageusement exploité le thème de la « violence scolaire » pour détourner le regard de la contestation de son train de réforme. Puis vint le mois de mai et l’impérieuse nécessité de prendre enfin le droit en considération.

La situation était alors la suivante : « le dispositif d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires » avait été fixé par la circulaire du 25 février 2010 (finalement publiée au BOEN le 1er avril), les conditions de diplômes et de titres restaient celles posées par les décrets du 28 juillet 2009, en dépit de l’impossibilité matérielle pour les étudiants en M1 de pouvoir produire une inscription en M2 « à la date d’inscription » aux concours, comme il était alors prévu. Par ailleurs, aucun texte officiel ne fixait le calendrier des concours ni leur programme.

Le 5 mai, le ministère envoyait une note de service intitulée « concours de recrutement de personnels enseignants des premier et second degrés et des personnels d’éducation gérés par la DG des ressources humaines – session 2011 » qui précisait les conditions requises pour concourir les dates et modalités d’inscription. Cette « circulaire » s’appuyait, de manière peu orthodoxe, sur « un décret en cours de publication » (et paru le 30 mai 2010). Elle anticipait aussi la publication au Journal officiel le 28 mai 2010 des arrêtés autorisant au titre de l’année 2011 divers concours de recrutement. Deux jours plus tard, le 30 mai 2010, les décrets de juillet 2009 étaient modifiés notamment dans leurs dispositions relatives aux conditions de production de titres et diplômes requis pour pouvoir valablement concourir.

Le 30 mai, à 48 heures de l’ouverture de la session 2011 des concours, cette réforme dite « de la masterisation » avait enfin un cadre juridique. Les choses sérieuses pouvaient commencer.

À partir de ce moment, il devenait possible d’agir sur le plan juridique, en faisant fructifier l’ensemble des réflexions, analyses, discussions relayées sur différents sites ou listes de la mobilisation qui n’avaient cessé d’alimenter la mobilisation.

II.
Le recours de SLU, FCPE et SUD-Education au Conseil d’État
Éléments sur les motifs

Ils concernent, dans l’ordre chronologique de leur publication, la circulaire du 25 février 2010 (A) et certains arrêtés du 28 mai 2010 (B).

A/ Sur la circulaire du 25 février 2010 : Les dispositifs de stages pour les fonctionnaires stagiaires

Les conditions de stage pour les fonctionnaires-stagiaires (lauréats des concours 2010) sont contenues dans une… circulaire, n° 2010-037 du 25 février 2010 (publiée au BOEN le 1er avril 2010), «  relative au dispositif d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires des premiers et second degrés et des personnels d’éducation stagiaires ».


L’argumentation des requérants s’appuie sur 3 niveaux de moyens :
- 1/ La violation du principe d’égale admissibilité aux emplois publics et celle du principe de continuité du service public
- 2/ La violation des dispositions du Code de l’Éducation, et notamment de ses articles L.625-1 et L.721-1.
- 3/ La non-conformité de la circulaire aux dispositions de l’arrêté du 19 décembre 2006 portant cahier des charges de la formation des maîtres et à celles de l’arrêté du 22 août 2005 relatif aux conditions d’accomplissement du stage et de la formation de certains personnels du second degré relevant du ministre de l’éducation.


1/
Les principes soulevés renvoient (i) aux modalités variables selon les académies de l’organisation de l’année de stage, susceptible de constituer une rupture d’égalité des chances d’accès à la titularisation ainsi qu’à (ii) l’absence de dispositions encadrant le remplacement des stagiaires lorsqu’ils sont appelés à quitter leur classe, absence qui est susceptible d’être qualifiée de violation du principe de continuité du service public d’éducation nationale.

2/ Les motifs soulevés au titre de la non-conformité de la circulaire avec les dispositions de valeur législative, et notamment les articles L.625-1 et L.721-1 du Code de l’éducation s’appuient :

a/ sur la violation par la circulaire de la compétence légale des IUFM. Dans notre analyse, les dispositions des 2 articles visés du Code de l’Éducation impliquent que la loi confère aux IUFM, et à eux seuls, la mission d’assurer la formation des maîtres et de conduire eux-mêmes les actions de formation professionnelle initiale des personnels enseignants. La circulaire attaquée, outre qu’elle place la formation sous l’autorité des recteurs, prévoit qu’« une ou plusieurs périodes de formation continuée [peuvent être] dispensées par l’université ou [par] tout autre structure qualifiée  », ce qui serait contraire au Code de l’Éducation.

b/ D’autre part, la circulaire manquerait à l’impératif de formation « alternée  » prévue à l’article L.625-1 du Code de l’Éducation et

c/ violerait l’impératif légal de formation comprenant des « parties communes à l’ensemble des corps » (L.721-1).

3/ Enfin, la circulaire attaquée ne paraît pas conforme à certaines dispositions de :

a/ l’arrêté du 19 décembre 2006 (« cahier des charges »), toujours en vigueur et dont la circulaire s’écarte ou s’affranchit des prescriptions portant (i) sur les volumes horaires des stages en responsabilité ou (ii) dans l’articulation entre établissement accueillant le stagiaire en pratique accompagnée et le stagiaire accomplissant un stage en responsabilité.

b/ L’arrêté du 22 août 2005, notamment en ce qu’il prévoit que les actions de formation soient (i) dispensées par les IUFM et (ii) d’une durée de 5 semaines au cours de l’année scolaire.

B/ Les arrêtés organisant les concours : le recrutement des enseignants

Une série d’arrêtés du 5 mai 2010 (publiés le 28 mai 2010 au JORF) autorise au titre de l’année 2011 l’ouverture de concours externes, de concours externes spéciaux, de seconds concours internes, de seconds concours internes spéciaux et de troisièmes concours de recrutement de professeurs des écoles stagiaires.

Les requêtes déposées entendent soulever, par exception, l’illégalité de certaines dispositions des décrets du 28 juillet 2009 dont les arrêtés contestés portent application. Les griefs soulevés sont tous liés à la dissociation qui est établie entre les conditions d’inscription aux concours et les conditions de nomination.

Outre que ces arrêtés ont été signés et publiés avant la signature (28 mai) et la publication au JORF (30 mai) du décret modifiant celui du 28 juillet 2009, permettant ainsi aux candidats de produire la preuve de leur master ou de leur inscription en M2 à la date de l’admissibilité, des questions de fond nous semblent devoir être soulevées :

1/ Selon nous, les dispositions du nouveau système de recrutement constituent une violation du principe constitutionnel de continuité du service public au motif, notamment, que les lauréats des concours 2011 qui n’auraient pas encore leur M2 au 1er septembre 2011 ne pourraient être affectés en stage, les postes de fonctionnaires-stagiaires n’étant ainsi pas tous pourvus. Les dispositions contestées provoqueront, par leur nature même, la privation d’une cohorte d’agents. Aucune disposition n’étant prise pour s’en prémunir, les dispositions contestées sont attentatoires au principe de continuité du service public.

De plus, à la rentrée suivante, les étudiants qui n’auraient finalement pas obtenu leur M2 ne pourraient pas être nommés fonctionnaires-stagiaires et perdraient le bénéfice du concours sans que le poste correspondant puisse être pourvu.

2/ Par ailleurs, les requêtes soulèvent le moyen du caractère suffisant de l’obtention du concours pour le recrutement dans la fonction publique d’État.

La loi de juillet 1984 prévoit que des conditions de diplômes peuvent être requises pour concourir. Les requêtes interrogent le Conseil d’État sur le point de savoir si des conditions de diplômes peuvent-elles être ajoutées postérieurement à la réussite à un concours de fonction publique d’Etat pour que le lauréat puisse être finalement nommé. En d’autres termes, nonobstant la réussite à un concours de la fonction publique, est-il loisible à l’autorité réglementaire d’ajouter à cette condition impérative une condition supplémentaire dont la réalisation repose en définitive sur des jurys de master universitaires distincts des jurys de concours ?

3/ Enfin, les requérants invoquent la violation du principe constitutionnel d’égalité.

En effet, pour une même cohorte de lauréats des concours, inscrits de manière identique en Master 2, il serait créé une situation différente selon que leur diplôme complet de master serait obtenu avant le 1er septembre (date de nomination des fonctionnaires-stagiaires) ou entre le 1er et le 30 septembre (date de la fin de l’année universitaire). Ainsi, deux lauréats des concours ayant obtenu leur Master 2 au terme de la même année universitaire seraient placés dans une situation différente (allant jusqu’à priver certains du bénéfice du concours).

C/ Les raisons d’un recours à cette date et la situation d’urgence :

Ce recours a été est déposé immédiatement après publication des arrêtés et l’ouverture des inscriptions (1er juin). La rapidité des recours ainsi que la demande de référé-suspension dont ils sont assortis ont été motivées par les considérations de fait suivantes :
- Par rapport aux précédentes sessions, ces arrêtés raccourcissent considérablement la durée dont disposeront les candidats pour se préparer aux concours, aboutissant à réduire la qualité de leurs travaux, la pertinence du choix opéré par les jurys et par conséquent la qualité du recrutement opéré par le ministère de l’Education nationale.
- La mise en œuvre immédiate des arrêtés entraînera la mobilisation de moyens humains considérables dans la perspective de l’organisation du concours, tant en ce qui concerne la gestion de l’inscription des candidats que leur préparation, mobilisation immédiate, à poursuivre pendant l’été. Les requérants considèrent que la tenue d’une session de concours dans de telles conditions n’est pas de nature à garantir un déroulement conforme à la qualité que l’on peut légitimement attendre d’un concours national de la fonction publique.
- Les requérants considèrent enfin qu’une éventuelle suspension de l’exécution de ces arrêtés n’aurait aucun effet sur la continuité du service public d’éducation et ne porterait aucunement préjudice à la possibilité pour le ministre de l’Education nationale d’organiser, dans des conditions matérielles convenables, la session 2011 des concours selon le calendrier traditionnellement retenu.

D’autres moyens sont soulevés, qu’il n’est pas utile de mentionner ici. Nous sommes confiants dans l’examen serein par le Conseil d’État des moyens soulevés par les différentes parties dans cette action contentieuse. À une année scolaire 2010/2011 que chacun s’accorde à juger nécessairement chaotique – et qui aura des conséquences graves pour les enseignants, les élèves et les candidats au concours –, nous préférons une clarification juridique immédiate et le maintien pour l’heure d’une formation qui a fait ses preuves, dans un cadre législatif et réglementaire certain.

Il est clair pour SLU, et cette conviction est partagée par nos partenaires, que ce recours au droit n’a pas de caractère dilatoire. Nous considérons que les moyens soulevés sont suffisamment consistants pour justifier une requête, ce qui ne préjuge pas de leur accueil.

Il est par ailleurs certain que, quelles que soient les décisions du Conseil d’État, cette démarche n’est qu’un moment de la mobilisation. Dans les semaines ou dans les mois qui viennent, l’ensemble du système public d’éducation et d’enseignement sera de nouveau confronté à des processus de réformes. Il ne nous paraît pas acceptable que les analyses et préconisations des acteurs du monde éducatif, à commencer par celles des organisations représentatives, soient de nouveau ignorées. Nous devons continuer à réfléchir et à agir ensemble et être prêts à saisir tous les moyens à notre disposition pour faire respecter, le cas échéant par une démarche contentieuse, notre conception commune du service public national et républicain d’Éducation, de la maternelle à l’université.

Étienne Boisserie

Pour Sauvons l’Université !