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"Libertés universitaires : le scandale de la CP-CNU", J. Valluy, blog Mediapart, 25 mars 2012

mardi 27 mars 2012

La défense des libertés universitaires par la Coordination Nationale des Universités en 2009 se déplace, comme on pouvait l’anticiper, au Conseil National des Universités : sa Commission Permanente (CP-CNU), instituée par le gouvernement Sarkozy, vient de commettre ce mercredi 21 mars 2012 une trahison (de plus) en avançant vers la mise en œuvre du décret du 23 avril 2009 combattu par l’immense majorité des enseignants-chercheurs. C’est le processus alambiqué de composition de cette CP-CNU qui lui enlève toute représentativité dans la communauté universitaire. Cette instance menace l’autonomie des sections disciplinaires du CNU dont il faut maintenant défendre les prérogatives de fonctionnement contre la CP-CNU elle-même ; sa suppression est devenue aussi urgente que celle de l’AERES.

Les enseignants-chercheurs à l’université sont spécialisés dans des disciplines scientifiques (informatique, philosophie, génétique, etc.) et élisent, au sein de chacune d’elles, des représentants formant le Conseil National des Universités (CNU) organisé en 77 sections disciplinaires réparties en deux CNU séparés, celui des sciences et celui de la santé. Le premier, dont il est question ici, réunit 58 disciplines dont 32 en lettres & sciences humaines incluant le droit et l’économie et 26 relevant des autres sciences & pharmacie. Mais ces deux domaines ne sont pas séparés, ni institutionnellement, ni symboliquement pour la gouvernance des disciplines, carrières et activités. Le besoin ne s’en faisait pas sentir tant que les 58 sections coexistaient sans structure de coordination transversale : chacune s’occupant, à sa façon, d’évaluer les travaux des enseignants-chercheurs de sa discipline à l’occasion des promotions et des mouvements de carrière.

Cette non coordination était d’autant plus utile que les enjeux de régulation de l’enseignement et de la recherche ne sont pas les mêmes selon les disciplines. En particulier les littératures et sciences humaines, sont très dépendantes de la capacité du système à préserver, ou pas, les libertés intellectuelles. Dans ce domaine, le pluralisme des théories et des valeurs, a quelque chose à voir avec la biodiversité : les espèces en voie de disparition, y compris réputées « nuisibles », sont à protéger plus que les autres et sans séparation. Le dispositif sarkozyste d’« évaluation quadriennale » ferait l’inverse, comme l’« agrégation du supérieur » l’a fait en économie et en droit : la disparition programmée, au rythme des départs à la retraite, des keynésiens et des marxistes chez les Professeurs des Universités ; la marginalisation systématique des spécialistes de droit du travail, droit social, droit de l’environnement, droit des étrangers chez les juristes… Les deux débats sont interdépendants et rejoignent celui de la création d’une section disciplinaire de criminologie : on y retrouve la même duplicité droitiste à faire prospérer, sous le masque de l’excellence et de la qualité de la science française, sa cooptation clientéliste et idéologique des « meilleurs ».

Ce problème du rapport au politique est infiniment plus crucial pour les lettres & sciences humaines que pour les sciences de la matière & expérimentales. Les deux domaines ont a défendre en commun une autonomie d’agenda, c’est-à-dire de choix des sujets pertinents tant pour la recherche que pour l’enseignement. Mais une fois ce choix d’agenda effectué, le pouvoir politique n’a pas d’idée ou de souhait quant aux résultats potentiels d’une expérience de chimie ou de biologie, alors qu’il en a en matière de criminologie ou d’économie. Cette différence est considérable et tout alignement de gouvernance entre ces deux domaines détériore le plus faible, c’est-à-dire, aujourd’hui, celui des lettres & sciences humaines inéluctablement victimes des systèmes, évaluatif ou agrégatif, de contrôle centralisé des « mérites » ou de l’« excellence » aussi sûrement qu’il périssait sous le poids des doctrines officielles dans les régimes autoritaires, de types stalinien ou fasciste. L’interdisciplinarité peut produire le meilleur dans la recherche, mais aussi le pire si elle n’est pas correctement maîtrisée dans la gouvernance des disciplines. Pour les lettres & sciences humaines, toute transversalité abusive est aussi mortifère que la subordination politique.

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