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Pécresse en a rêvé : Fioraso va le faire ! - Pascal Maillard, Mediapart, 7 octobre 2012

dimanche 7 octobre 2012, par Mariannick

« Au secours ! Rendez-nous Pécresse ! » aurait pu être le titre ironique de ce billet, tant il ne restera bientôt plus aux universitaires que l’humour noir et un grand rire jaune pour réagir aux projets politiques de Geneviève Fioraso.

Devant l’urgence et le devoir d’alerte, je diffère la publication de mon troisième volet sur « Les socialistes et l’université » (voir ici puis ) pour rendre compte d’une proposition stupéfiante de la ministre, si tant est qu’on puisse être encore surpris par les orientations de notre très libérale Geneviève Fioraso. De quoi s’agit-il ?

A l’occasion d’un discours prononcé devant la Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi), « un rendez-vous manqué » selon le site EducPros (voir ici), la ministre a déclaré le 2 octobre dernier souhaiter « responsabiliser » les administrateurs des universités en accordant un droit de vote aux personnalités extérieures à l’occasion de l’élection des présidents d’université. Plus précisément la ministre, en faisant l’éloge des CA des Écoles d’ingénieurs où les personnalités extérieures (représentants des entreprises et des collectivités territoriales) ont un droit de vote, a dit ceci : « dans la prochaine réforme de la loi LRU, il faudra mettre un terme au non-droit de vote des personnalités extérieures dans les CA des universités » pour l’élection du président. Chacun appréciera la modalité injonctive du propos (« il faudra ») alors même que les Assises de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sont supposées débattre en ce moment même des propositions de modification de la loi LRU et de ce qu’on nomme la « gouvernance » des universités. Les propos de la ministre appellent trois brefs commentaires.

La ministre n’a certainement pas pris la mesure de ce fait : depuis la mise en place la loi LRU en 2007 et l’imposition aux universités de la politique dite d’« excellence », les universitaires sont largement dépossédés du gouvernement de leurs établissements. Des structures de gouvernance parallèles (groupes de pilotage, comités d’orientation stratégique, etc) qui ont fait une place importante au monde de l’entreprise, de la finance et aux collectivités territoriales, ont empiété sur les prérogatives des Conseils centraux des universités et ont transformé les CA en simples chambres d’enregistrement au service de présidents disposant de pouvoirs exorbitants. Beaucoup conviennent du caractère délétère de ces dérives antidémocratiques, la ministre elle-même.

Mais si maintenant la même ministre, prétendument socialiste, entend modifier la loi électorale des universités en dépossédant un peu plus les universitaires de leur droit de choisir en toute indépendance leur président, et ceci en renforçant la place et le poids des chefs d’entreprises et des collectivités territoriales dans les CA, il est assuré qu’elle commet une grave erreur politique et qu’elle rencontra une ferme opposition dans la communauté universitaire. Une telle décision, devant laquelle même Valérie Pécresse avait reculé, constituerait le franchissement d’une ligne rouge que pas même les plus sévères à l’égard du suivisme-socialiste-de-la-droite avaient envisagé.

Ce faisant, la ministre apporte une preuve supplémentaire que les Assises ne constituent qu’un simple paravent pour valider des mesures déjà prises, les vendre en douceur et parachever ainsi les réformes engagées par la droite. Les Assises ont été verrouillées à la source, répondent à une demande idéologique et ne constituent qu’une comédie participative (narration à lire ici et dossier de SLU là) où les universitaires et les chercheurs sont minoritaires devant des collectivités territoriales et des représentants de Région très actifs. L’acte III de la décentralisation est en route : les Assises territoriales en sont devenues le laboratoire. Les socialistes ont su les transformer en conclaves régionaux où l’on s’ennuie ferme et où les baronnies locales du PS dessinent tranquillement les contours d’un projet de régionalisation de l’ESR. Il est donc manifeste que la volonté d’amendement de la loi électorale de Geneviève Fioraso est parfaitement cohérente avec un projet politique visant à parachever la territorialisation du Service public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et à le soumettre au pouvoir des Régions.

En définitive, Geneviève Fioraso et les socialistes ont oublié 2009, le plus fort et le plus long mouvement de protestation de l’histoire de l’université. Les socialistes et notre ministre ont oublié dix années de combat contre les politiques libérales de droite. Certains d’entre eux avaient même participé à ces combats, mais ils sont aujourd’hui amnésiques. Les socialistes ne voient pas ou ne veulent pas voir l’état dans lequel la droite a mis l’université et la recherche. C’est que les socialistes ont oublié, tout simplement, ce que sont, ce que devraient être encore aujourd’hui les valeurs du socialisme : la défense et la promotion d’un vrai Service public de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, la démocratisation de l’accès aux études supérieures, la garantie par l’État des moyens nécessaires au bon fonctionnement de ses universités et de ses organismes de recherche, et surtout le rétablissement d’un fonctionnement démocratique des universités. Non, décidément, les socialistes au pouvoir n’ont rien compris. Ils construisent le mur dans lequel ils nous conduisent, tête baissée.

Pascal Maillard
À lire dans Mediapart ici