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Enseignement et recherche sont inséparables - Peggy Cénac & Claire Lemercier & Alexandre Zimmer , le 24 La Vie des Idées, 24 janvier 2020

samedi 25 janvier 2020, par Laurence

Les politiques publiques françaises concentrent les moyens de recherche sur quelques “sites”, aux dépens de régions entières, creusant les inégalités entre universités dites “d’élite” ou “de masse”. Mais de nombreux travaux empiriques démontrent l’inefficacité d’une telle concentration des moyens.

À l’occasion des 80 ans du CNRS, le 26 novembre 2019, le président de la République affirmait que notre système de recherche est « mou, peu différenciant », qu’il fallait assumer « une politique d’évaluation qui ait des conséquences : on n’a pas de moyens pour une avancée homothétique pour tout le monde ». Le même jour, le PDG du CNRS souhaitait que la future loi pluriannuelle de programmation de la recherche (LPPR), qui doit entrer en vigueur en 2021, soit « ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, (…) vertueuse et darwinienne ». Ces appels à l’inégalité auxquels la communauté scientifique s’est largement opposée [1] s’inscrivent dans le contexte de la transformation des systèmes d’enseignement et de recherche français et étranger par la mise en place de politiques issues du new public management. C’est en Angleterre qu’ont été d’abord développés des outils de pilotage à distance, ostensiblement empruntés au privé par un État financeur pour faire de ses universités des opérateurs de sa politique [2].
On les retrouve aujourd’hui partout, par exemple en Allemagne avec la loi WissZeitVG (Wissenschaftszeitvertragsgesetz, loi sur l’emploi temporaire des chercheur·ses), qui a fortement accru la précarité des universitaires.

En France, ce pilotage passe notamment par la « politique de site ». La notion de « site » s’y diffuse depuis la fin des années 1990, jusqu’à s’imposer avec la création de PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) en 2006 puis de COMUE (communauté d’universités et d’établissements) en 2013, qui regroupent des universités, grandes écoles et auxquels participent les organismes de recherche nationaux, comme le CNRS. Les fusions et redécoupages d’universités continuent aujourd’hui avec les « établissements expérimentaux » dérogatoires au Code de l’éducation, tandis que les COMUE qui avaient eu le moins de succès dans les appels d’offres sont dissoutes. Il s’agit toujours de concentrer les moyens : les établissements « proches » géographiquement sont incités à s’associer, certains financements étant réservés à ces regroupements, mis en concurrence pour les obtenir [3].. Tout cela vise à « faire émerger sur le territoire français 5 à 10 pôles pluridisciplinaires d’excellence de rang mondial [4] » – référence au classement de Shanghai des universités, publié depuis 2003.

La hiérarchie, déjà historiquement plus forte en France que dans d’autres pays, est donc renforcée entre d’une part des universités de recherche, d’autre part des universités de masse. À l’échelle des personnels aussi, l’idée d’une spécialisation nécessaire dans l’enseignement ou bien la recherche est de plus en plus promue, la recherche étant plus valorisée. Cette promotion générale de la concurrence et des inégalités, que l’on retrouve dans les travaux des groupes de travail sur la LPPR, est vécue par ceux et celles qui ne se considèrent pas comme des stars de la recherche comme une politique du mépris [5]. Or différentes recherches empiriques sur l’enseignement supérieur et la recherche, trop peu connues des non spécialistes, permettent de remettre en cause les hypothèses qui fondent ces politiques présentées comme inéluctables. Elles réfutent l’idée du big is beautiful, selon laquelle il faudrait concentrer les financements sur quelques sites ; elles soulignent la diversité des profils d’activité des personnels, loin de se réduire à l’alternative « bon chercheur » vs. « moins bon chercheur qui devrait enseigner plus » ; et elles montrent l’intérêt, dans la perspective de l’enseignement, de maintenir dans toutes les universités une présence de la recherche [6].

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[2Annie Vinokur et Corine Eyraud, « Le “Higher Education and Research Act 2017” : acte de décès du service public de l’enseignement supérieur en Angleterre ? », Droit et société, n° 98, 2018, p. 113 138.

[3Jérôme Aust et Cécile Crespy, « Napoléon renversé  ? Institutionnalisation des Pôles de recherche et d’enseignement supérieur et réforme du système académique français », Revue française de science politique, vol. 59, n° 5, 2009, p. 915 938

[4Texte de l’appel à projets « Initiatives d’excellence » de 2010. On peut aussi citer la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Valérie Pécresse, le 05 juillet 2007, « avec l’objectif de classer au moins deux établissements français parmi les 20 premiers et 10 parmi les 100 ».

[5Voir par exemple l’analyse de Julien Gossa sur les propositions des trois groupes de travail LPRR (consulté le 08/01/2020)

[6Nous remercions Cédric Hugrée pour ses remarques et Jérôme Aust pour la transmission de références.