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Voués à la précarité éternelle ? Le scandale de la recherche et de l’enseignement supérieur. Par Daniel Steinmetz, Secrétaire Général du SNTRS-CGT, L’Humanité, 3 février 2012

dimanche 5 février 2012

Après le Sénat, l’Assemblée nationale va débattre, du 7 au 9 février, de la loi dite Sauvadet, qui vise à proposer une résorption partielle de la précarité qui touche plus deux millions de personnels des trois fonctions publiques. Avec près d’un tiers de ses personnels en CDD, soit plus de 55 000 personnes, le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche paye aujourd’hui un lourd tribut sur l’autel de l’emploi précaire. Mais c’est depuis de longues années qu’il déroge aux lois communes du droit du travail et du droit en matière d’emploi public. Du XIXe au XXe siècle, l’enseignement universitaire s’est organisé autour d’un corps de professeurs titulaires et d’une armada d’assistants contractuels. Ce n’est qu’en 1985 que les assistants ont été progressivement titularisés dans le corps des maîtres de conférences. En 1939, le CNRS ne rémunérait ses chercheurs que sur bourse et ses techniciens à la tâche. Il a fallu attendre Joliot-Curie, en 1945, pour voir les premiers versements de salaires et 1955 pour qu’après de dures batailles syndicales, le statut de contractuels d’État soit accordé aux personnels du CNRS. Le summum a été atteint avec le régime des libéralités. Cette forme de travail au noir a été jusqu’à très récemment largement utilisée par les associations caritatives (Ligue contre le cancer, ARC, etc.), mais aussi par divers ministères pour payer à la tâche de jeunes scientifiques sans leur accorder de Sécurité sociale ni de cotisation retraite.

Ainsi, les cadres dirigeants de nos organismes et de nos universités sont nombreux à théoriser l’intérêt de la précarité. Pour les plus honnêtes, il s’agit d’une fatalité issue du monde universitaire anglo-saxon ; pour les plus machiavéliques, il faut une longue période de maturation pour pouvoir faire ses preuves et mériter, vers la quarantaine, un emploi stable. Pourtant, si les loups affamés chassent mieux, les chercheurs précaires ne sont pas plus inventifs !

Mais cette précarité qui touche aussi de nombreux techniciens et personnels administratifs se heurte à la nécessité de conserver l’expérience acquise par des personnels souvent très qualifiés. Aussi, dans de nombreux laboratoires et de nombreuses administrations, on a multiplié les astuces pour garder en place les personnels. Lorsque la règle interdit de conserver un CDD plus de trois ans, il suffit de faire tourner les fonds entre différentes administrations de tutelle : CNRS, Inserm, université, hôpital ou association 1901. Depuis 2005, la mise en place de l’Agence nationale de la recherche a multiplié les contrats sur projets et les CDD. C’est ainsi que, en peu de temps, les personnels précaires ont atteint de 30 % à 40 % des effectifs des différents organismes de recherche.

Plutôt que de mettre fin à ce scandale, le gouvernement cherche à contourner la future loi. Il a recensé au plus juste les précaires concernés, sans, en particulier, repérer ceux qui bénéficiaient d’employeurs successifs. Il a préparé des amendements qu’il n’a pas voulu déposer au Sénat mais qui seront déposés à l’Assemblée. Il refuserait de prendre en compte la période de thèse en limitant ainsi le nombre de précaires éligibles à la loi. Il établirait des contrats de projets spécifiques à la recherche pouvant aller jusqu’à neuf ans en dérogeant à l’obligation de faire passer les personnels en CDI après six ans de CDD.

La persistance de cette volonté de sortir la recherche du droit commun est inacceptable. La CGT, avec les autres syndicats de la recherche et de l’université, mobilise les personnels pour la mise en place d’un plan de création d’emplois permettant de résorber la précarité. Dans la perspective de l’élection présidentielle, les personnels attendent des candidats des engagements clairs sur l’emploi dans la recherche publique.

Daniel Steinmetz