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Assises : Contribution des enseignants-chercheurs de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR d’Histoire, réunis en assemblée générale le 5 octobre 2012.

jeudi 11 octobre 2012

Au cours de la dernière décennie, les formations et la recherche en sciences humaines et sociales ont vu leur position fortement fragilisée : relatif discrédit social (au prétexte qu’elles ne seraient pas assez professionnalisantes) ; mastérisation des concours qui a profondément déstabilisé l’organisation plus générale des masters ; alourdissement des pesanteurs administratives et frénésie de réformes bâclées ; empiètement du politique sur la liberté de la recherche et de l’enseignement académiques (lois mémorielles, Maison de l’Histoire de France, etc) ; imposition de la recherche sur contrat à durée très limitée, inadaptée à la temporalité de la recherche en SHS.

Beaucoup d’enseignants-chercheurs en sciences humaines et sociales n’ont pas attendu les Assises pour réagir à cette situation, portés par la conviction que les cursus en SHS, et au premier chef en histoire, offraient à des jeunes venus d’horizons sociaux très divers une formation intellectuelle de haut niveau, leur donnaient une qualification leur permettant d’appréhender le monde dans sa complexité et sa diversité et les rendaient capables, par la suite, de s’adapter à des exigences variées dans le monde professionnel. De nombreuses initiatives ont vu le jour, ouvrant des pistes nouvelles sur le plan du suivi des étudiants, des pratiques pédagogiques ou de l’organisation des parcours de formation. Il conviendrait donc en premier lieu de donner un cadre adapté et surtout des moyens pour que ces initiatives puissent se développer, plutôt que de s’en tenir à des solutions simplistes et éloignées de la réalité comme la généralisation systématique des « licences pluridisciplinaires » ou l’obsession du « tout numérique » comme panacée pédagogique. Il conviendrait en outre de rappeler que les diplômes universitaires habilités donnent accès à une qualification qui doit être reconnue par les conventions collectives.

Le point de vue développé ici ne saurait s’abstraire des conditions particulières dans lequel nous exerçons notre travail. L’UFR d’Histoire de Paris 1 Panthéon-Sorbonne est la plus importante en France dans son domaine par le nombre de ses enseignants (près de 180 titulaires et contractuels), de ses étudiants toujours nombreux (autour de 2500), et la place que les laboratoires, UMR et équipe d’accueil, qui lui sont liés occupent dans le champ de la recherche. Elle constitue de ce fait un bon observatoire des failles qui affectent l’enseignement supérieur et la recherche en SHS : défis de la réussite en licence (ce sont chaque année entre 600 et 800 étudiants qui commencent leurs études en histoire à Paris 1) ; échec de la réforme de mastérisation des concours ; faiblesse de la position d’enseignant-chercheur face à l’essor de la recherche sur contrat (lourdeur des procédures et des dossiers chronophages) ; injustice de l’évaluation bibliométrique, qui laisse de côté des pans entiers de l’activité d’enseignant-chercheur ; dégradation des conditions matérielles d’exercice du métier (en particulier en raison du ratio entre encadrement et nombre d’étudiants qui est un problème national, mais renforcée par la situation particulière d’une université parisienne la moins bien dotée de France en m² par étudiant).


1. Licence
La question du prétendu « échec » en licence, telle qu’elle est régulièrement posée par divers acteurs de l’enseignement supérieur, doit être envisagée, non pas en lien avec le contenu des enseignements (jugés hâtivement « inadaptés »), mais en lien avec les moyens matériels et humains dont nous disposons réellement (très insuffisants au regard des besoins), avec la grande ouverture sociale assumée par l’université et avec les objectifs propres à la formation universitaire. Le constat même de l’« échec » mériterait d’être étayé, en l’absence de statistiques fines à ce propos. La comparaison souvent faite avec l’ « efficacité » présumée du système des classes préparatoires et des IEP doit prendre en compte l’ensemble des contraintes matérielles, pédagogiques et sociales qui pèsent sur les universités. Il conviendrait aussi de replacer cette comparaison dans une perspective internationale : dans les grandes universités du monde occidental, les formations adossées à la recherche dès le début de la formation universitaire, sont la norme.
La spécificité de la formation de licence en SHS est d’être orientée principalement vers l’acquisition de l’autonomie dans le travail, l’approfondissement des connaissances et la réflexion critique. Il serait temps de reconnaître qu’il s’agit là aussi de compétences essentielles à la vie professionnelle, qui font de la licence un diplôme professionnalisant généraliste. En revanche, dans notre domaine, ce n’est qu’au niveau du master que peut s’opérer véritablement la spécialisation professionnelle, qu’elle concerne les métiers de l’enseignement et de la recherche, de l’administration publique, de la communication et des médias, de la culture ou de l’international.
Pour relever ce défi de la formation à l’autonomie intellectuelle qui est l’objectif propre de la licence en SHS, il convient de :

- mettre à niveau les moyens matériels et humains mobilisés pour ce niveau d’étude. A objectifs égaux, moyens égaux : les universités doivent être aussi bien dotées que les autres établissements d’enseignement supérieur intervenant en premier cycle, et non systématiquement laissées pour compte. Le développement de l’accès des étudiants à la documentation (extension des heures et des jours d’ouverture des bibliothèques), facteur essentiel dans la réussite des étudiants, est un préalable indispensable. Il passe par l’embauche de personnels formés et stables.
- remettre à plat le système d’orientation APB qui est aujourd’hui trop opaque et trop illisible. Il faudrait que soit mise en place une orientation globale sur toutes les filières de l’Enseignement supérieur (CPGE, universités, IUT, STS…), où serait reconnue la spécificité du parcours universitaire. Le choix de l’université dans le cadre d’APB ne doit notamment pas être fait par défaut en raison du manque de formations courtes (BTS, IUT) qu’il est urgent de développer.
- maintenir la cohérence de la formation méthodologique et intellectuelle en licence. L’injonction actuelle de développer des « licences pluridisciplinaires » en SHS nous paraît reposer sur une méconnaissance de la situation réelle de nos formations. La pluridisciplinarité est nécessaire et pratiquée depuis longtemps dans les formations en SHS, mais elle doit continuer d’être proposée de façon souple et maîtrisée. La situation actuelle marquée par une grande ouverture pluridisciplinaire des deux premières années de licence (50 % des unités d’enseignement n’appartiennent pas à la discipline principale des étudiants) et par la possibilité de suivre des parcours de bi-licences s’adapte bien à la diversité des demandes des étudiants et offre toute la souplesse nécessaire pour que ceux-ci conservent une vraie autonomie dans la construction de leurs parcours.
La qualité de la formation reçue dans les bi-licences universitaires devrait être plus systématiquement valorisée : elle n’a rien à envier à la formation reçue en classes préparatoires littéraires. Les Bi-licences présentent même, par le lien maintenu avec la recherche en SHS, un académisme moindre et plus d’ouverture sur le monde. La formule de la bi-licence permet de développer en outre une pluridisciplinarité pertinente, ne consistant pas en la juxtaposition de savoirs disciplinaires sans liens les uns avec les autres, mais combinant des savoirs d’horizons divers autour d’un même objet (par exemple histoire-économie ou histoire-sciences politiques qui ouvrent à des approches renouvelées du politique et de l’économie pour les étudiants).

2. Master
Comme dans l’ensemble des autres disciplines des SHS, les dix dernières années ont vu l’élargissement significatif de l’offre de masters dans notre discipline : évolution des spécialités de master recherche en fonction des avancées scientifiques ; ouverture de nouveaux masters professionnels et de masters en alternance structurant les principaux débouchés de la formation en histoire, qui sont loin de se limiter au seul enseignement. Il nous apparaît que la diversité de cette offre doit être maintenue. La simplification des intitulés de master, parfois mise en avant comme mesure nécessaire, doit tenir compte de la pluralité des débouchés professionnels qui peuvent être envisagés après une licence dans le domaine des SHS.
Les masters recherche qui forment à des disciplines rares doivent être soutenus, même lorsqu’ils n’accueillent que des effectifs réduits. De façon générale, les moyens humains devraient être dégagés afin de permettre un encadrement des étudiants en master recherche au standard international. Rappelons que la formation des graduate students dans les universités du monde anglophone repose toujours sur de petits effectifs très fortement encadrés.
Dans le cas des masters recherche et masters professionnels, les stages des étudiants doivent être rémunérés à leur juste valeur.
Corriger les désastres induits par la réforme dite de « mastérisation » dans le domaine de l’histoire implique de :

- revenir à un calendrier de passage du concours cohérent calqué sur l’année académique ;

- maintenir un lien fort entre programmes du CAPES externe d’histoire-géographie et de l’agrégation externe d’histoire, afin de conserver un vivier de candidats de bon niveau pour le passage du CAPES ;

- revenir à une véritable année de stage suivant l’admission au concours (enseignement réduit et accompagnement professionnel) pris en charge par les IUFM ou ce qui en prendra la suite ;

- donner toute sa place à la formation par la recherche, comme le permettait le précédent calendrier, que le M1 ait été obligatoire (agrégation) ou de fait très courant (CAPES)

- alléger les formations en éléments « annexes » (éthique du fonctionnaire, informatique, stage etc.) qui entraînent une dispersion importante de l’effort de préparation et pénalisent ceux qui s’engagent le plus vite dans la formation pour des raisons économiques et sociales.

3. Doctorat
L’absence de reconnaissance du doctorat dans le monde professionnel hors enseignement et recherche, en particulier du doctorat en SHS, est un fait souvent dénoncé. Revaloriser la place du doctorat en SHS implique :
-  de reconnaître le doctorat à sa juste valeur dans les carrières de la fonction publique, avec des grilles indiciaires révisées qui tiendraient compte non seulement du concours d’entrée, mais aussi de l’obtention du doctorat ;

-  de soutenir l’effort de promotion du doctorat dans le privé (reconnaissance de cette qualification dans les conventions collectives) ;

-  de développer et de mieux rémunérer les bourses doctorales ;

-  de trouver un meilleur équilibre entre préparation du doctorat et multiplication des tâches professionnelles annexes (enseignement, valorisation de la recherche, publications). La charge d’enseignement actuelle des doctorants contractuels pourrait être par exemple allégée, notamment au cours de la troisième année qui correspond généralement au moment de la rédaction ;

-  de ne pas enfermer la thèse en SHS dans la durée réglementaire de trois années ; cette durée, imposée de façon de plus en plus pressante par les instances d’évaluation, ne correspond pas aux exigences scientifiques dans notre discipline et plus largement en SHS, en raison du travail documentaire préalable souvent long, qui impose plutôt un format de 4 ou 5 ans ;

-  de favoriser l’internationalisation au sein de la formation doctorale (mobilité des doctorants ; ouverture internationale des jurys, avec les financements afférents) ;

-  d’éviter l’inflation des post-doctorats qui entretiennent la précarité en créant prioritairement de nouveaux postes de maîtres de conférence.

4. Recherche
La mise en place d’un système d’évaluation de la recherche de plus en plus bureaucratique et la généralisation de la recherche sur contrat ont produit depuis dix ans un effet paradoxal : les enseignants-chercheurs ont de moins en moins de temps à consacrer à la recherche, et plus particulièrement à leur recherche personnelle, tout en devant de plus en plus se justifier d’en faire.
Rétablir la recherche à sa juste place dans l’exercice de notre métier d’enseignants-chercheurs implique de :

- mettre en place à l’échelle nationale un nouveau système (comparable à d’autres en Europe) permettant aux enseignants-chercheurs qui le veulent (sur dossier simple, contrôlé par les conseils scientifiques des universités) de disposer, tous les 5 ans, d’un semestre sabbatique pour recherche. Ce semestre pourrait être cumulable avec des demandes de délégations CNRS, limitées à un an non prorogeable, mais renouvelables tous les 10 ans durant la carrière (sur une carrière de 35 ans soit 70 semestres, cela représenterait ainsi environ 13 semestres maximum de recherche à temps plein).

- rétablir des crédits récurrents des laboratoires par rapport au financement sur appels à projet ; diminuer la part des appels à projet à gros financement et augmenter celle des projets légers, tels les PEPS du CNRS (Projets Exploratoires), situés entre 5 et 15000 euros sur un ou deux ans, qui constituent une échelle pertinente pour des projets de recherche collectifs ;

- revaloriser la situation des personnels d’appui à la recherche et encourager le recrutement de personnels formés et efficaces afin d’alléger le temps consacré à la bureaucratie de la recherche ;

- revoir la structuration des Labex et Idex et intégrer entièrement leurs dispositifs aux structures académiques communes (Ecoles doctorales, laboratoires, conseils centraux, etc) ; éviter la multiplication des structures académiques ad hoc dans le cadre de projets temporaires ; nous restons attachés à la structuration de la recherche universitaire en centres de recherche et laboratoires pérennes, en particulier sous la forme d’UMR ; il est temps de faire confiance aux structures existantes plutôt que de sans cesse être sommé de créer des usines à gaz ;

-  revoir les procédures d’évaluation (trop grande place accordée à l’évaluation quantitative, opacité du fonctionnement de l’AERES) : l’évaluation doit prendre en compte la spécificité des disciplines ainsi que des situations individuelles ; la notation doit être supprimée et l’accent doit être mis sur les conseils
et les éléments de progrès, en rupture avec l’évaluation-sanction, y compris pour l’évaluation des unités de recherche et des établissements ; l’évaluation quadriennale récurrente des enseignants-chercheurs n’a pas lieu d’être et doit être définitivement supprimée, elle ne serait qu’un alourdissement bureaucratique inutile alors que nous sommes déjà soumis à des procédures d’évaluation fréquentes (qualification, avancement) ;

- remettre à plat la politique de primes (PES), attribuées selon des critères opaques et à un nombre trop faible de personnes.