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Lettre ouverte d’A. Trautmann aux directions du CNRS et de l’INSERM sur la gestion des contrats de post-doc - 6 mai 2013

lundi 6 mai 2013, par Mariannick

Madame la directrice de l’INSB du CNRS, Monsieur le PDG de l’INSERM, Monsieur le Président du CNRS,

Les directions du CNRS et de l’Inserm ont récemment décidé d’encadrer plus précisément et plus fermement que par le passé la signature de contrats pour des post-docs en CDD. Cette signature doit respecter les termes de chartes visant à responsabiliser les différentes parties, et en particulier le postulant et le responsable de l’équipe dans laquelle le post-doc souhaite travailler. Ces chartes sont bienvenues. Mais elles s’accompagnent de contraintes aux conséquences dont certaines sont néfastes.

La plus importante est que seul un contrat de 3 ans au maximum pourra être facilement signé. Pour des contrats correspondant à des post-docs en France entre 3 et 6 ans, la signature ne pourra être qu’exceptionnelle. Cette restriction est une conséquence d’un ensemble de lois visant à limiter à 6 ans la durée maximum d’un même emploi en CDD, ensemble parachevé en 2012 par la loi Sauvadet. La « barre à 3 ans » au lieu de 6 est, elle, le résultat d’une décision des directions de l’INSERM et du CNRS, particulièrement sensible en biologie. Cette barre n’est certes pas absolue, mais elle semble, dans les faits, très difficilement franchissable et dépendre d’un processus de décision trop opaque pour ne pas être vécu comme arbitraire.

Un obstacle visant à limiter les possibilités de post-docs au-delà de 3 ans serait cohérent avec une volonté de recrutement jeune, s’il allait de pair avec une politique ambitieuse de recrutement sur poste pérenne. Ce n’est hélas absolument pas le cas. Cet obstacle à 3 ans peut être l’occasion utile de faire le point pour le post-doc, et, dans les cas où le dossier de candidature aux concours apparaît faible, encourager la recherche d’un emploi en dehors de la recherche publique (avec l’accompagnement actif du responsable d’équipe). Mais lorsque le dossier apparaît défendable, voire que le post-doc se soit trouvé pas loin sous la barre dans des concours de recrutement, le non-renouvellement devient une absurdité totale. La possibilité, après 3 ans de contrat en France, de renouveler ce contrat pour deux ans devrait, pour de tels dossiers, être la règle et non l’exception, et le processus de décision doit être clarifié.

Au CNRS, il semble que la décision dépende du directeur d’Institut et d’un de ses adjoints (DSA). Pour une décision d’une telle importance, la décision devrait faire l’objet d’un rapport d’évaluation la justifiant, et impliquer une structure collective, qui pourrait être constituée par quelques membres du CS de l’INSB, par exemple. Si une telle procédure s’avérait trop lourde, au moins faudrait-il que soit clairement identifiée la structure collective ayant préparé cette décision. A l’INSERM, sur cette question, le processus de décision est opaque. Dépend-il du délégué régional ? D’un directeur d’ITMO ? De conseillers anonymes ? L’existence d’un collectif d’évaluation, et d’un responsable de décision tous deux bien identifiés est indispensable.

Un dernier point concernant la question des multi-employeurs. Lors d’une réunion qui a eu lieu le 17 avril à l’Institut Cochin, nous avons eu des précisions apportées par Sandrine Kassor (coordinatrice de gestion RH pour la DR V de l’INSERM) et Marie-Sylvie Poiny (Responsable suivi des carrières DR Paris A du CNRS). Selon ces informations, la direction de l’INSERM est prête à signer un contrat d’un (ou deux ?) ans à un post-doc ayant déjà fait 3 ans de post-doc gérés par le CNRS. Il serait logique que le CNRS adopte la même attitude, mais apparemment ce n’est pas le cas, tout contrat signé par le CNRS à une personne ayant déjà fait 3 ans de post-doc en France (même à l’Inserm) est soumis à un filtre draconien. Une telle asymétrie entre les choix de l’Inserm et du CNRS n’a pas de raison de subsister.

Mais ce point n’est pas central. Ce qui importe est que la décision de signer ou non des contrats pour des post-docs ayant déjà fait 3 ans de post-doc en France dépende d’un processus moins opaque et arbitraire qu’aujourd’hui, et moins stringent aussi.

Enfin, tous les efforts d’optimisation de la gestion des recrutements de post-docs ou d’ingénieurs en CDD seront stériles s’ils ne sont pas associés à une augmentation du recrutement sur postes pérennes. De tels recrutements sont parfaitement réalistes, économiquement, même en contexte de crise. Il n’y manque que la volonté politique des pouvoirs publics, et le fait que la communauté scientifique réclame haut et fort ces postes. Cette demande sera nettement plus efficace si elle est soutenue par les directions des organismes de recherche, à l’image de ce qu’a fait la direction du CNRS en cosignant avec le C3N en novembre 2012 un texte pour les Assises de la Recherche et de l’Enseignement supérieur dans lequel on peut lire :

L’emploi scientifique pérenne, le véritable investissement d’avenir

(…) Aujourd’hui, il ne suffit plus de maintenir l’emploi scientifique statutaire en remplaçant les départs à la retraite : il faut résorber la précarité et redonner aux carrières scientifiques dynamisme et inventivité. Cela suppose un plan d’emploi pluriannuel pour toutes les catégories de personnel de la recherche. Le nombre des postes précaires financés aujourd’hui dans l’ESR est estimé à plusieurs dizaines de milliers . Ce chiffre donne la mesure des besoins actuels de personnel pour la recherche et l’enseignement supérieur dans notre pays. Il donne également un ordre de grandeur des recrutements à prévoir pour les années à venir. L’objectif n’est pas d’augmenter les effectifs totaux actuels, mais simplement de revenir à des proportions de postes permanents conformes aux exigences d’une recherche libre, dans le cadre de ce plan pluriannuel. C’est là que se situe le véritable « investissement d’avenir » puisque la productivité des personnels en sera nettement accrue.

La communauté scientifique, et particulièrement les jeunes chercheurs, vivent très mal la période actuelle. Ils ne sentent pas de soutien véritable de la part des directions des organismes de recherche (parfois même le contraire, ce qui est un comble), souvent perçus comme une simple courroie de transmission des pouvoirs publics. Vous avez, sur la question de la gestion des contrats de post-doc, et sur le soutien à une politique de recrutement, les moyens et la possibilité de les détromper. Voudrez-vous le faire ?

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire à mes très cordiales salutations.

Alain Trautmann