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Fusions, communautés ou associations d’universités ? Le pire n’est pas certain ! Newsletter n°41, 25 janvier 2014

samedi 15 février 2014

La loi Fioraso, qui a pour l’essentiel cherché à consolider la précédente loi LRU, demande aux universités de faire d’ici au mois de juillet prochain un choix décisif. Si la « politique de site » est une obligation à laquelle aucune université ne peut se soustraire, il reste en effet à déterminer la façon dont chacune d’entre elles s’inscrira dans cette politique. Il est clair que le dessein du ministère est la simplification de la carte nationale des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche à une trentaine de pôles (un pour chacun des barons du PS ?). Pourtant, à la lecture précise du texte de loi, les choses ne sont pas entièrement bouclées. Peut-être quelques-uns ne s’en sont-ils pas encore aperçus, peut-être certains préfèrent d’ailleurs l’ignorer, peut-être d’autres ont-ils choisi de ne pas le voir, mais, contrairement à ce qui est dit ici ou là, il n’est pas exact que la seule solution soit la fusion des universités (à l’image de ce qui s’est déjà fait à Marseille, à Strasbourg, en Lorraine ou dans trois des quatre universités de Bordeaux) ou la création d’une « Communauté d’universités ou d’établissements » (COMUE ou CUE au choix !) qui, sans engager de fusions, relève d’une logique identique. Certes, la loi dispose que tous les PRES seront automatiquement transformés en COMUE dans un délai d’un an à partir de sa promulgation, mais cette dénomination ne recouvre rien tant que les statuts de ladite COMUE n’auront pas été votés. Autrement dit, le nom ne débouchera sur une chose qu’à ce moment-là ; auparavant, la question n’est pas de sortir ou non d’une COMUE, qui n’existe encore que sur le papier, mais de choisir entre la COMUE et un autre statut : l’ASSOCIATION.

En effet, le texte de loi dispose qu’il existe une possibilité de regroupement en « association d’universités et d’établissements d’enseignement supérieurs ». Qui plus est, la même loi énonce qu’en Ile-de-France, les « associations d’universités » ne sont pas nécessairement coordonnées par un seul établissement promoteur ou directeur et qu’elles peuvent relever d’une multi-coordination. Cette double forme dérogatoire (implicitement pour le premier point, national, explicitement pour le second, propre à un site particulier) n’a probablement pas été pensée pour créer une alternative aux formes fusionnelles ou proto-fusionnelles : elle a sans doute été d’abord conçue pour des « grandes écoles » et autres établissements publics de l’enseignement supérieur (voir le cas de l’Institut National Polytechnique de Grenoble), soucieux de préserver leur autonomie en se limitant à une association avec les COMUE ou avec les universités qui leur sont proches territorialement parlant.

Mais qu’importe, au fond, que cette possibilité d’ASSOCIATION soit apparue pour des raisons de lobbying au sein du PS. Toujours est-il qu’elle introduit une faille dans la mécanique bien rodée du ministère, lequel ne s’y est d’ailleurs pas trompé si l’on en juge par les déclarations quasi-unanimes au sein de certains CA des établissements, proclamant qu’il est hors de question de former une simple association, que ce serait une catastrophe, la mort des établissements, etc. (cela rappellera sans doute quelque chose à tous ceux qui avaient suivi les présentations sur le passage, « inévitable », aux RCE).
C’est que l’ASSOCIATION conserve l’essentiel de la liberté d’action des établissements partenaires, leur maîtrise du budget et leurs instances décisionnaires, contrairement à la COMUE qui les déplace pour l’essentiel à un niveau supérieur où tout sera décidé entre les présidents des établissements et les personnes « qualifiées » ou personnalités extérieures (ce ne sont pas les quelques représentants du personnel élus le plus souvent au suffrage indirect qui auront la moindre capacité d’influer sur les décisions des CA des COMUE). La COMUE impose notamment – ce que ne fait pas l’ASSOCIATION – d’être la seule instance reconnue par l’État pour négocier les contrats de site et les budgets de tous les autres établissements « communautarisés » (c’est le fameux mot d’ordre ministériel du « guichet unique »). L’ASSOCIATION préserve donc le peu qui reste de capacité, pour les étudiants, ITA/BIATS, chercheurs et universitaires, de faire entendre leur voix dans des instances collégiales déjà très affaiblies et de pouvoir critiquer la gestion entrepreneuriale des universités qui se met partout en place.
Certes, les situations locales peuvent être différentes, les intérêts des établissements varient, le passif du PRES est plus ou moins lourd, plus ou moins contraignant, davantage encore lorsqu’il est lié à un IDEX. Ainsi, dans certains cas, la COMUE est-elle accueillie avec soulagement par certains petits établissements membres d’un IDEX qui prévoyait la fusion de l’ensemble des partenaires, et qui préfèrent porter l’idée d’une COMUE qui leur évitera de se faire avaler complètement (voir l’exemple de l’INALCO). Mais, à l’écart de ces logiques locales, il n’en reste pas moins que la loi offre une autre possibilité.

Alors, formulons clairement ce qui est en jeu.

Si vous voulez un transfert massif de compétences vers une structure nouvelle, placée au-dessus des universités actuellement existantes, si vous voulez que le gouvernement de cette structure soit confié à des conseils dans lesquels les membres du personnel ne seront pas majoritaires, si vous acceptez que la gestion des ressources humaines soit « délocalisée » à ce nouveau niveau et que les personnels puissent être indifféremment affectés à l’une ou l’autre des composantes de la COMUE comme le savent déjà les personnels ITA et BIATS, si cela ne vous pose aucun problème que la seule raison avouée pour créer une telle structure soit la recherche d’éligibilité à d’éventuelles subventions d’excellence (voire éventuellement de gagner quelques places dans l’un ou l’autre des classements internationaux), si vous tenez qu’il va de soi que les régions se mêlent de déterminer la politique de formation et de recherche, si vous voulez devancer les desiderata des ministères passés, présents et à venir sur la « simplification » de la carte française des universités, si vous considérez que le « réalisme » c’est l’acceptation du cadre qui nous est imposé de l’extérieur y compris quand ceux qui nous l’imposent nous laissent accidentellement une possibilité d’y échapper, si enfin vous voulez contribuer à la grande concurrence entre les nouvelles structures et à une guerre sans merci entre elles pour gagner une plus grande reconnaissance des classements, des ministres et des marchés, alors n’hésitez pas et prenez parti pour les COMUE !

En revanche, si vous pensez qu’il existe une possibilité de préserver des formes de collaboration paritaires entre les institutions, si vous pensez que les gouvernants qui sont plus proches dans l’espace des gouvernés ont une propension moindre à les oublier, si vous considérez que ce n’est pas une mauvaise chose de pouvoir connaître ceux qui prennent les décisions, voire (soyons fous !) de discuter avec eux des décisions à prendre, si vous croyez que l’objectif d’une université n’est pas d’atteindre une mythique « masse critique » ni d’avoir une place dans un classement, si vous n’êtes pas sûrs que l’obtention d’une IDEX changera la qualité de la formation et de la recherche dans votre université, si vous avez compris que la construction de structures indéfiniment extensibles ne fait pas faire d’économies d’échelles mais induit des dépenses supplémentaires, si vous croyez que la voie de l’ASSOCIATION vaut la peine d’être envisagée et que sa rationalité n’est pas moindre que celle de l’acquiescement passif aux injonctions verticales, ou si vous vous dites tout simplement qu’il vaut mieux s’associer (en pouvant revenir en arrière) qu’entrer en « communauté » de façon irréversible, alors demandez tout simplement au moins que l’on réfléchisse dans votre établissement à la possibilité de conclure une ASSOCIATION.

L’ASSOCIATION n’est certes pas pour nous la forme idéale de coopération au sein de l’ESR : elle s’inscrit dans une logique de site qui peut se révéler réductrice, voire destructrice quand la vie scientifique exige des collaborations multiples nouées à de multiples niveaux. Mais à l’heure de la marche folle vers les fusions, elle représente un moyen de mettre en question des processus présentés à dessein comme inéluctables quand ils sont seulement désastreux pour l’enseignement et la recherche dans notre pays.

Sauvons l’université !
Newsletter n°41, 25 janvier 2014