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Sciences en marche monte en puissance - Sylvestre Huet, Science2, Libération, 22 septembre 2014

mardi 23 septembre 2014, par PCS (Puissante Cellule Site !)

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A vélo, à pieds ou en kayak, scientifiques et universitaires se préparent à faire pression sur le gouvernement. Objectif ? Obtenir un bol d’air budgétaire pour la recherche publique et les universités, et éviter le massacre de centaines de jeunes ingénieurs, techniciens et chercheurs menacés de chômage en fin de CDD.

Le gouvernement est conscient de cette mobilisation dont témoigne également l’appel à une réunion des directeurs de laboratoires qui vient d’être lancée. Voir cette annonce sur le site web urgence-emploi scientifique :

"Le 15 septembre, la coordination de ses instances (C3N) s’est réunie. Elle a fait le point sur les actions en cours. Elle espère que, en prenant en compte les appels des scientifiques, le Parlement votera un amendement, dans le cadre du collectif budgétaire de début octobre, décidant d’une augmentation du budget de l’ESR (compensée par une baisse du CIR). Si tel n’était pas le cas, la C3N lancera un appel au Comité National pour qu’il mette en discussion le principe d’une grève immédiate de son fonctionnement. Voir le CR de la réunion.

Initiée par la CPCN de juillet, une réunion de Directeurs d’unités aura lieu le 24 septembre à 14h (amphithéâtre Luton, 27 rue du Faubourg Saint Jacques à Paris). Plus de 350 d’entre eux ont répondu à l’appel des présidents de section du comité national. Un comité de pilotage de cette réunion a été constitué, composé de Frédéric Barras, Didier Chatenay, Bruno Chaudret, Barbara Demeneix, Vincent Laudet, Jean-Yves Toussaint et Jean-Denis Vigne. Une proposition de lettre ouverte sera discutée, ainsi que d’autres actions."... La suite de cette annonce ici.

Cette mobilisation est sans aucun doute la raison pour laquelle la secrétaire d’Etat à la recherche et à l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso a demandé à Alain Trautmann et Sophie Duchesne de la rencontrer au ministère vendredi dernier. Ici, le compte-rendu de cette réunion.

De Roscoff au Pic du Midi

Pour couvrir la préparation de la multi-manifestation à vélo organisée par Sciences en marche, je me suis rendu à Montpellier où ce mouvement est né, jeudi 11 et vendredi 12 septembre. Un article est paru dans Libération vendredi dernier. En voici une version plus longue, nourrie par des éléments qui n’ont pu y prendre place.

Ce vendredi 12 septembre, une étrange ­conversation collective se tient sur Skype. On y parle manifestations à vélo vers Paris, marche vers l’Assemblée nationale, soutien de médaillés du CNRS, emplois précaires, budgets de labos… Une conversation animée depuis le bureau de Patrick Lemaire, le chef de l’équipe « contrôle transcriptionnel du développement des chordés et morphogénèse », dans le bâtiment neuf au béton encore brillant du Centre de recherche de biochimie macromoléculaire à Montpellier. Au bout du fil numérique une vingtaine de comités locaux dont Roscoff, Toulouse, Angers, Nanterre, Bordeaux, Paris, Aix, Strasbourg… Et même le Pic du Midi au sommet duquel se trouve un laboratoire d’astrophysique.

En kayak et en vélo

Mission  ? Organiser une multimanifestation –  s’étalant du 26 septembre, date du premier départ depuis le Pic du Midi, au 17 octobre – à Paris, de la Porte d’Orléans à l’Assemblée nationale. Des parcours souvent à vélo entre villes universitaires –  mais le labo de biologie marine de Roscoff prévoit une étape Adopte une ingénieure en CDDAdopte une ingénieure en CDDen kayak, tandis que Clermont organise une ascension du Puy-de-Dôme  – ponctués de rassemblements, d’animations scientifiques pour le grand public, de rencontres avec les élus locaux. Sur une carte de France , les étapes s’affichent. Facebook, Twitter, tous les relais numériques sont activés. La logistique fait parfois frémir (sécurité, hébergements pour lesquels est lancée une campagne "adopte un chercheur"

Objectifs  ? « Obtenir un changement de la politique de recherche et universitaire du gouvernement sur trois points qui font consensus dans la communauté scientifique, explique la biologiste Solange Deshager  : Un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi statutaire, renforcer les crédits de base des laboratoires et des universités, reconnaître le doctorat dans les ­conventions collectives et faciliter l’emploi des docteurs dans les entreprises et la haute fonction publique. »

"Que faire" , lance Alain Trautmann

Son origine  ? Frédérique Brockly, ingénieur d’étude à l’Institut de génomique fonctionnelle (CNRS), et Stephan Mora, technicien, la racontent sans en masquer le côté spontané. A six, ils organisent début juin une réunion d’information sur l’un des campus de Montpellier. Près de 200 personnes s’y rendent.

Alors que la réunion se termine, Alain Trautmann, l’animateur de Sauvons la recherche, le mouvement né en 2004, interpelle d’un « Que faire  ? » les participants. C’est alors que Patrick Lemaire, qui, assure-t-il aujourd’hui, « ne l’avait absolument pas prémédité », lance un défi  : « Organiser une marche sur Paris, sur un mode festif, à vélo par exemple. » Sciences en marche –  aujourd’hui un logo, une association, une vingtaine de comités locaux, une BD, des manifs… – était né, en dehors de tout cadre syndical. Alors que, simultanément, le Comité national de la recherche scientifique lançait un appel à engager des actions pour obtenir une autre politique du gouvernement, en particulier pour stopper l’hémorragie de jeunes chercheurs, ingénieurs et techniciens virés des labos à la fin de leurs CDD.

Les cadres se rebiffent

L’équipe qui se réunit autour de Patrick Lemaire éclaire d’une lumière crue le désaccord qui s’est creusé entre le président de la République et cette communauté scientifique et universitaire qui l’a majoritairement soutenu en 2012. Des « loosers », les perdants de la vaste réorganisation de la recherche entamée sous Valérie Pécresse et poursuivie sous Geneviève Fioraso  ? Difficile de soutenir l’idée. Bien qu’il n’aime pas qu’on lui rappelle cet examen « réussi à 20 ans et qui ne dit rien sur les compétences que l’on peut avoir à 50 ans » ­–  Lemaire sort de Polytechnique. A ses côtés, les biologistes Guillaume Bossis ou Solange Desagher, sortis de l’Ecole normale supérieure. Ou Olivier Coux, directeur de recherche au CNRS. Les équipes qu’ils dirigent, truffées de post-docs et de thésards britanniques, allemands, bulgares ou italiens, ont dégotté des contrats de l’Agence nationale de la recherche ou du Conseil européen de la recherche (ERC).

Parmi les soutiens de ce mouvement, nombre de « cadres » de la recherche et du système universitaire, comme Christian Jorgensen, chef de clinique au CHU de Montpellier, coordinateur de projets européens, directeur de labo et membre du conseil scientifique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Pourtant, explique-t-il, « notre système universitaire et de recherche va dans le mur. Nos meilleurs étudiants donnent le meilleur d’eux-mêmes en post-docs à l’étranger et ensuite, on les jette. C’est absurde. Le gouvernement dit qu’il maintient l’effort, mais il se trompe complètement de diagnostic sur le monde actuel et de solution. Ce qu’il faut c’est l’augmenter ».

Tous se rebiffent contre un système de financement qui absorbe de plus en plus de leur temps au détriment du travail de recherche. Le dernier appel d’offre de l’ANR, avec un taux de succès ridicule de 8%, signifie, avoue un membre de comité de sélection « à servir les plus grosses équipes, et plus rien pour les autres ». La directrice du laboratoire Dynamique des interactions membranaires normales et pathologiques, Catherine Braun-Breton me le dit autrement  : « Je ne crois pas à l’intelligence d’une politique qui tue les équipes qui ne gagnent pas les appels d’offres. » En termes polis, elle souligne l’incompréhension. « Certes, nos missions sont d’accroître la connaissance et de contribuer au bien-être des populations. Mais le gouvernement se trompe lorsqu’il croît que le problème est que nous serions insuffisamment motivés par le deuxième objectif. Le problème, c’est que pour l’atteindre, il faut réussir le premier. » Alors que les ministres qui se succèdent rue Descartes chantent tous l’excellence du doctorat, ils organisent la stagnation du nombre de contrats de thèses. Résultat ? « Sur Montpellier nous sommes 700 habilités à diriger des recherches (HDR) en biologie, pour 17 contrats de thèses financés par l’Etat cette année », précise Catherine Braun-Breton.

Où sont les milliards ?

Ces protestations peuvent sembler étrange à l’oreille de ceux qui ont retenu des dernières années les discours annonçant des milliards à foison pour les Universités et la recherche publique. Sauf que ces milliards, souvent putatifs, étaient réservés à des opérations immobilières, campus et laboratoires. Des opérations qui relèvent parfois de simple nécessités devant la vétusté de certains bâtiments. Mais d’autres ont effectivement permis de construire des locaux d’enseignement et de recherche comme en témoignent les campus de l’Université Paul Valery ou des centres de recherche de Montpellier (Institut de génomique fonctionnelle, le CRBM inauguré en 2011, et jusque de plus petites opérations comme cette plate-forme de nanotechnologies, que me fait remarquer Gilles Halbout, le directeur de la Faculté des sciences à Montpellier II).

Mais pour que de tels investissements soient efficaces, en terme de production scientifique, encore faut-il qu’ils soient peuplés d’équipes bien financées au quotidien et sur la durée pour les activités de recherche. Mais voilà, "un responsable politique peut inaugurer un bâtiment, il ne va pas se déplacer pour saluer le fait qu’on a de quoi élever nos souris...". Or, l’évolution des financements réellement disponibles pour ces activités est en baisse en raison des évolutions des coûts des instruments scientifiques, mais aussi des cotisations retraites, des obligations légales des établissements... en général non prises en compte lors de la dévolution de la masse salariale dans le cadre de la LRU.

Evolution des esprits dans les universités et les laboratoires

Devant la nécessité d’augmenter l’effort de recherche dans un monde où savoirs et technologies sont plus partagés, les gouvernements, de l’UMP et du Parti socialiste, ont misé sur des financements par ­contrats de court terme sur appels compétitifs et un recours massif aux CDD. Le tout assaisonné d’une refonte totale de l’enseignement supérieur, visant la concentration de l’effort de recherche dans un petit nombre de lieux.

Habilement, les gouvernements ont prétexté des défauts du système –  une carte universitaire incohérente, des jeunes chercheurs trop « sous tutelle », des directions d’organismes de recherche paralysées par des budgets où la masse salariale peut dépasser les 80% – pour le réformer à leur guise. Plus habiles encore, ils ont utilisé certaines demandes et propositions issues du mouvement de 2004 –  un guichet unique pour les appels d’offres compétitifs, l’évaluation des universitaires, le rapprochement des universités et des grandes écoles – pour justifier des réformes contestées en 2009, lors de la plus longue grève d’universitaires depuis 1968.

"Le coup de Trafalgar de François Hollande"

Après l’échec de ce mouvement, l’attente était forte dans un milieu qui a majoritairement opté pour le candidat socialiste en 2012. Aujourd’hui, Olivier Coux évoque « le coup de Trafalgar de François Hollande ». Anne Fraïsse, la présidente de l’université Paul-Valéry (Montpellier III), dénonce une politique qu’elle considère « dans la continuité de celle conduite sous Sarkozy par Valérie Pécresse ». Son action vigoureuse a permis de limiter la casse pour son université, mais elle ne voit pas où sont les "1000 emplois supplémentaires par an" annoncés par Geneviève Fioraso. « En réalité, explique t-elle, le gel des postes par manque de crédits pour les financer est pratiquement égal à ceux qui ont soit-disant été créés. En résumé, on nous "autorise" à créer des postes, mais sans nous donner l’argent pour payer ceux qui les occuperaient. » Le soutien officiel de son université à Sciences en marche, à l’issu d’un vote du Conseil scientifique, se traduit par un engagement personnel  : « Le 27, je serai sur mon vélo au départ de l’étape », sourit-elle. Un soutien que vient également d’apporter le Conseil d’Administration de l’Université de Strasbourg, dans une motion votée à l’unanimité. Cette mobilisation originale, dont nul ne se risque à prévoir l’issue, s’inscrit dans l’évolution des esprits, à l’université et dans les laboratoires, sur la politique gouvernementale.

Le massacre des précaires

Les revendications de Sciences en marche répondent aux conséquences les plus délétères des politiques gouvernementales. Celle d’un plan d’embauche pluriannuel veut pallier le recours massif aux CDD qui a peuplé les labos et les universités de précaires, post-doctorants, ingénieurs et techniciens, aujourd’hui rejetés par centaines, même lorsque l’argent existe pour les payer sur contrats. Le collectif des Manifestation des précaires de Montpellier, animé par Claire Corratgé-Faillie, aligne désormais les chômeurs, ceux qui attaquent en justice les établissements pour contester leur mise à la porte après 6 ou 7 ans de CDD, et ceux qui, après une thèse et deux post-docs, se replient sur des postes de professeur des écoles.

Amer, Ronald Oomen raconte comment la conseillère de Pôle Emploi, impressionnée devant son CV et ses six ans de CDD, lui conseille de "continuer dans cette voie puisque votre compétence a été reconnue plusieurs fois". Sauf que, devant le piège de la loi Sauvadet totalement inadaptée à la recherche publique, les directions d’Organismes de recherche pratiquent brutalement le vidage après deux ou trois ans de CDD.

Une grève du Comité national de la recherche scientifique ?

Le principe de la compétition pour l’accès aux postes de chercheurs et d’universitaires est accepté. Mais lorsque les concours tournent à la loterie, avec « 30 excellents candidats pour un poste, le travail des jurys devient une farce », s’insurge Olivier Coux. Au point que, devant la perspective d’années avec des recrutements à zéro dans certaines sections du Cnrs, l’idée d’une grève des jurys de concours de recrutement, totalement inimaginable jusqu’à présent, a été sérieusement discutée par les membres du Comité national de la recherche scientifique.

La politique du gouvernement actuel, comme du précédent, estime Gilles Halbout, mathématicien, directeur de la Faculté des sciences à Montpellier II, fondée sur la « méfiance » des gouvernants envers les universitaires et les scientifiques. Pour ce militant socialiste, l’incapacité du gouvernement à translater un milliard du crédit d’impôt recherche (CIR), dont le coût a explosé de 500 millions en 2002 à plus de 4 milliards en 2013 et dont se gavent les grands groupes industriels, vers la recherche publique et les universités où il serait mieux employé est « un mystère ». L’un des objectifs de Sciences en marche est de convaincre les députés de gauche, majoritaires à l’Assemblée, de voter un amendement à la loi de finance permettant ce transfert.