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Luc Chatel : "L’Education nationale est un ministère de crises" - Educpros, 29 octobre 2009

jeudi 29 octobre 2009, par M. Homais

Depuis la mi-octobre 2009, Luc Chatel, le ministre de l’Education nationale, parcourt la France de lycée en lycée. Un périple, sur les traces de l’ancien chargé de mission sur la réforme du lycée Richard Descoings, destiné à expliquer le projet de réforme et recueillir les impressions de la communauté éducative sur le terrain. Nous l’avons interviewé entre deux étapes sur les moyens, l’autonomie des élèves, son ministère...


Après une douzaine de jours de « tour de France des lycées », avez-vous déjà recueilli de nouvelles idées pour changer le lycée ?

Cette réforme, elle vient du terrain ! Nous l’avons construite à partir des résultats de la consultation menée par Richard Descoings et par les recteurs dans près de 1300 établissements. L’objectif du tour de France que je mène, c’est de dialoguer sur la façon concrète de mettre en place les nouvelles mesures que nous proposons. Comme vous le savez nos propositions tournent notamment autour de l’organisation des deux heures d’accompagnement et du rééquilibrage des filières.

Quand on lit les communiqués du SNES (le syndicat d’enseignants majoritaire dans le second degré), on a l’impression qu’on est dans le registre du « non négociable ».

Vous citez une seule organisation dont la position ne me semble pas aussi figée sur l’ensemble des avancées proposées par la réforme. Ensuite, les fédérations de parents d’élèves, les syndicats lycéens et deux fédérations d’enseignants sur trois sont pour ! Tous considèrent que les élèves ont déjà trop d’heures de cours. Ils ne veulent pas rajouter deux heures de plus aux emplois du temps. De mon côté, je ne veux pas les alourdir. Ces deux heures d’accompagnement doivent donc être intégrés dans l’emploi du temps existant des élèves, c’est pour moi quelque chose d’essentiel.

Justement, comment faire des langues en L à horaires constants, en soustrayant les deux heures d’aide individualisée, et en essayant de faire plus d’oral ?
Si l’accompagnement est mis en place à la rentrée 2010, il va falloir faire vite…

C’est un des sujets dont nous discutons encore. Nous avons une réflexion plus globale sur la construction du cycle terminal dans son ensemble, à la fois dans la logique du tronc commun de classe de première et celle de la spécialisation propre à chaque série dans le cadre de la classe de terminale. Il est par exemple concevable en L que certains enseignements spécifiques à cette série puissent être dispensés en langue étrangère.

Quand même, on a l’impression que le SNES met le pied sur le frein sur les leviers qui permettraient la mise en œuvre de la réforme : les conseils pédagogiques, l’autonomie... Les objections vont bien au-delà de l’intégration des deux heures d’accompagnement dans l’emploi du temps.

Notre système éducatif doit être un mélange de garanties non négociables au niveau national – des programmes, des diplômes, des recrutements nationaux – et de capacités d’adaptation dans chaque lycée. Ces capacités d’adaptation vont être incarnées par deux mesures : les deux heures d’accompagnement et la globalisation des dédoublements. Les chefs d’établissement, qui ont un syndicat très représentatif, soutiennent à fond l’idée d’autonomie. Mais attention, quand je parle d’autonomie, je ne parle pas de lycée à la carte : le cadre doit rester national. Ce qu’il faut permettre c’est la prise d’initiatives et de responsabilité, il suffit d’aller à la rencontre du terrain pour se rendre compte que tous les acteurs de la communauté éducative le souhaitent !

Vous avez annoncé un grand chantier : celui du bac techno.

La série STG a été réformée en 2005. Laissons-la monter en puissance. Cette fois-ci, nous voulons revoir en profondeur la filière STI. Nous sommes face à un paradoxe : d’un côté, nous avons des besoins identifiés de recrutement dans tous les métiers industriels, de bac à bac + 5. Pour être clair, la France manque d’ingénieurs. De l’autre côté, nous avons une filière sans jeunes car dévalorisée. Il faut moderniser les programmes, les rendre plus généralistes et développer des perspectives d’enseignement supérieur plus importantes, soit via des mentions pour accéder à des IUT (comme c’est le cas en BTS avec les bac pro), soit via le développement des classes préparatoires spécifiques. Notre objectif : revaloriser la voie technologique et diversifier les voies d’accès à l’excellence.

Mais les prépas technos existent déjà. Et elles ne font pas toujours le plein… Comment peut-on agir sur les mentalités ?

Il faut jouer sur plusieurs leviers en même temps. Nous allons agir sur le contenu des programmes, travailler avec les régions sur la carte des formations, développer les parcours dans l’enseignement supérieur et enfin montrer qu’il y a des emplois qualifiés à la fin. Il faut faire le même travail de fond que sur l’apprentissage dont l’image a évolué de façon très positive en une dizaine d’années.

Vous souhaitez valoriser la série L. Ce projet ne passe-t-il pas par la création de filières d’excellence dans le supérieur ?

La filière L accueille deux sortes d’élèves : de très bons littéraires qui ont peu de chances d’aboutir à l’excellence vu la sélectivité des concours de l’enseignement supérieur littéraire et des lycéens arrivés là par défaut. L’objectif est d’une part de renforcer l’attractivité de la série grâce à des enseignements spécifiques, et d’autre part de trouver de nouveaux débouchés pour la série en la renforçant sur les langues, en ouvrant l’esprit des élèves sur quelques disciplines qui préparent au supérieur (le droit, les sciences politiques…).. Certains élèves littéraires vont donc en S parce qu’ils ont plus de chances d’être pris à Sciences po par exemple avec une mention. Richard Descoings, le directeur, me disait : « ce n’est pas en réservant des quotas aux L aux examens que je vais y arriver. Je prends des élèves parce qu’ils sont bons, d’où qu’ils viennent ».

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