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Améliorer la formation des enseignants, par Valérie Pécresse et Luc Chatel - Le Monde, 18 novembre 2009

mercredi 18 novembre 2009, par Chabadabada

Pour lire cette tribune sur le site du Monde.

L’école républicaine ne serait rien sans ses maîtres. Ce sont eux qui, chaque jour, font vivre notre idéal commun d’émancipation des individus par le savoir et d’effacement des inégalités par l’éducation. Nos maîtres et nos professeurs ont marqué nos mémoires comme ils ont imprimé leur empreinte dans notre histoire. Mais la nation doit plus à ses professeurs que sa reconnaissance. Elle a envers eux une obligation morale plus profonde encore : elle doit veiller à ce qu’ils disposent de tous les atouts pour enseigner dans les meilleures conditions.

Or les élèves de la décennie 2010 ne sont plus les mêmes que ceux des années 1970. Notre société a changé, nos codes, nos repères et nos ambitions aussi. Car les portes du secondaire et du supérieur se sont ouvertes à des élèves qui, jusqu’ici, achevaient très jeunes leur scolarité. Au bout de ce phénomène historique, il y a une véritable démocratisation de notre école. Mais il y a aussi des conditions d’exercice du métier plus difficiles pour nos enseignants. Souvent, ils doivent donner confiance et envie à des élèves qui ne voient pas toujours l’école comme une chance.

Les professeurs sont donc loin d’avoir la tâche facile. Nous nous devons de les y préparer : comment pouvons-nous accepter qu’un jeune enseignant à peine recruté fasse son premier cours à la rentrée sans jamais avoir bénéficié du moindre contact préalable avec une classe ? Cela n’est pas acceptable.

C’est pourquoi la mastérisation est d’abord une chance pour les enseignants et leurs élèves. Jusqu’ici, un nouveau professeur se formait en deux ans : la première année, il préparait le concours ; la seconde, il débutait devant une classe tout en suivant en parallèle des enseignements pédagogiques. L’apprentissage disciplinaire et la formation professionnelle restaient ainsi cloisonnés. Pourtant, si elles sont bien distinctes, elles ne peuvent rester étanches : enseigner, ce n’est pas seulement savoir, c’est aussi savoir transmettre. Cela s’apprend, au contact des élèves, bien sûr, mais aussi de collègues plus expérimentés.

Mais pour cela, il faut du temps. C’est pourquoi l’entrée dans le métier de professeur se fera en trois ans et sera progressive : pendant leurs deux années de master, les étudiants prépareront le concours, mais effectueront également des stages. Ils commenceront par observer leur tuteur, avant d’assurer eux-mêmes des cours sous le regard de celui-ci, puis seuls quand le moment sera venu.

Peu à peu, ils affineront leur pratique et deviendront ainsi de plus en plus autonomes. Leur formation disciplinaire se nourrira de l’expérience acquise dans les classes. Quant aux enseignements de nature pédagogique, ils seront désormais ancrés dans la réalité du terrain. En somme, nos professeurs seront désormais prêts à aborder leur première année d’enseignement dans les meilleures conditions. Pour eux comme pour nos élèves, cela changera tout.

La mastérisation sera aussi une chance pour nos étudiants. Se destiner aux métiers de l’enseignement, c’est relever un défi mais aussi prendre un risque : celui d’échouer à des concours très sélectifs et au bout, de n’obtenir aucun diplôme correspondant à leur niveau d’études. Par passion pour leur futur métier, nombreux sont les jeunes qui sont prêts à le courir. Mais lorsqu’ils échouent, ils sont désemparés. Quant à ceux qui les réussissent, ils vivent parfois comme un choc la découverte de la réalité des classes.

C’est pourquoi cette entrée progressive dans le métier bénéficiera d’abord aux étudiants. Nous pensons en particulier à ceux qui échouent : s’ils apprennent tôt les résultats des épreuves d’admissibilité, ils pourront suivre de nouveaux enseignements et préparer leur insertion professionnelle.

Notre souci, c’est donc d’élaborer dans la concertation de nouveaux masters, qui ouvrent aux étudiants d’autres débouchés que le professorat. Cela n’a rien d’impossible : une formation généraliste de qualité pour nos futurs professeurs des écoles ou un haut niveau disciplinaire pour nos professeurs du secondaire en puissance donnent de vrais atouts. Encore faut-il préparer les étudiants à les mettre en valeur dans d’autres situations que l’enseignement. C’est aussi l’objet de la mastérisation.

C’est pourquoi cette réforme est aussi une chance pour nos universités. Depuis toujours, celles-ci sont le lieu où les maîtres forment des maîtres. Il était paradoxal de les écarter de la préparation de nos futurs enseignants. Car c’est là, au contact de la recherche et d’enseignants-chercheurs expérimentés que nos étudiants pourront le mieux apprendre leur métier : qu’elle soit disciplinaire ou plus diversifiée, la qualité de leur formation s’en ressentira.

Car la pratique de la recherche aiguise l’autonomie intellectuelle et l’imagination conceptuelle. C’est le meilleur des atouts pour adapter sa manière d’enseigner aux évolutions des savoirs, de la société et des élèves, sans pour autant transiger sur les exigences de niveau. Dans la vie professionnelle, une telle aisance intellectuelle est un talent exceptionnel. C’est dans nos universités qu’il se cultive. La mastérisation accroîtra donc encore leur rayonnement : dans le cadre rénové de l’autonomie, elles pourront ainsi affiner encore leurs stratégies d’insertion professionnelle.

En somme, la réforme de la formation des maîtres est bien plus qu’une réforme scolaire et universitaire. C’est le coeur de la revalorisation du métier d’enseignant. C’est aussi le pari du savoir et de l’intelligence comme remède à la crise. Et c’est une chance pour la nation entière. Ensemble, nous devons la saisir, pour offrir aux générations d’élèves du XXIe siècle ces enseignants qui, comme ils l’ont fait pour nous, sauront en toutes circonstances leur donner confiance dans l’école, dans leur avenir et dans leurs propres chances. Il n’est rien de plus important.

Valérie Pécresse est ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ;

Luc Chatel est ministre de l’éducation nationale.