Accueil > Revue de presse > Parcoursup, année zéro - Marie Piquemal, Balla Fofana, Marlène Thomas, (...)

Parcoursup, année zéro - Marie Piquemal, Balla Fofana, Marlène Thomas, Juliette Deborde, Libération, février-avril 2018,

mardi 10 avril 2018, par Laurence, Mariannick

Mise à jour du 10 avril : et de 12 !

  1. Benie, en terminale à la Courneuve : « Parcoursup, c’est déjà galère, avant même de rentrer des vœux » ; 2 février.
  2. Une prof principale : « Je n’ai jamais vu de telles tensions entre familles et enseignants » ; 5 février.
  3. Une vice-présidente d’Université : « Nous sommes dans le brouillard. Avec quels moyens allons-nous éplucher les candidatures ? » ; 12 février.
  4. Une conseillère d’éducation : « Que va-t-il se passer dans les licences les plus demandées quand le nombre de places sera atteint ? » ; 17 février.
  5. Une étudiante déçue d’APB souhaitant se réorienter : « En postulant à nouveau en BTS, j’espère prendre une revanche sur l’an dernier » ; 19 février.
  6. Un proviseur adjoint : « Je ne suis pas pour la sélection, mais… » ; 23 février.
  7. Un redoublant : « Clairement, si je raisonne de manière égoïste, je préfère ce système, ça m’arrange » ; 26 février.
  8. Une mère d’élève en terminale : « On hésite à ne rien mettre du tout dans les vœux Parcoursup » ; 28 février.
  9. Un study advisor (ça n’existe pas ! mais si ! ça nexiste) : « Cette réforme, c’est un coup du destin… En ce moment, on rédige des lettres de recommandation sans arrêt » ; 7 mars.
  10. Une élève de bac-pro : « J’avais l’espoir que cela change la mentalité sur les bacs pro, je me sens piégée » ; 12 mars.
  11. Un professeur de philosophie : « On nous demande de nous positionner en tant que manager plutôt qu’enseignant » ; 3 avril 2018.
  12. Un MCF en informatique : « On ne peut pas prédire la réussite d’un élève » ; 10 avril.

Elèves, profs, conseillers d’orientation mais aussi enseignants-chercheurs... Tous sont en première ligne face à la réforme de l’accès au supérieur, qui se met en place à toute vitesse. « Libération » leur donne la parole pour qu’ils racontent les bouleversements en cours.

Pour lire sur le site de Libération

La réforme de l’accès à l’université se met en place au pas de course. Alors que la loi n’a pas été votée de façon définitive par le Parlement (le débat au Sénat est prévu le 7 février), des changements importants s’opèrent en ce moment dans les lycées et les universités. Première modification, certainement la plus visible et médiatique, la nouvelle plateforme Parcoursup, remplaçante d’APB (admission post-bac) opérationnelle depuis dix jours. Mais derrière cet outil, c’est bien une refonte en profondeur de l’accès à l’université qui se joue.

Elèves de terminale, étudiants en réorientation, profs principaux de lycée, conseillers d’orientation, parents mais aussi enseignants chercheurs et équipes administratives côté fac, tous se retrouvent en première ligne. Libération a décidé de leur donner la parole au cours des prochains mois. Pour que chacun raconte, avec ses mots et son ressenti, cette réforme vécue de l’intérieur.


Benie


Bénie, 18 ans, en terminale scientifique (option physique-chimie), à la Courneuve, en Seine-Saint-Denis :

« Pour l’instant, je me suis juste inscrite sur Parcoursup, je n’ai pas encore rentré de vœux. Mais rien que l’inscription, c’était déjà compliqué. J’ai galéré, comme tout le monde dans ma classe d’ailleurs. Il fallait par exemple le numéro INE (NDLR : identifiant national étudiant), qui est mentionné sur le courrier reçu pour les résultats du bac de français… Sauf que je l’avais plus. La plupart des élèves autour de moi l’ont perdu aussi. Donc galère. Il a fallu faire la queue pour que la CPE (conseillère principale d’éducation) nous les imprime. Pareil pour les échelons de bourse, c’est pas évident d’avoir tous les documents qu’ils demandent sur cette plateforme. Une fois inscrit, on doit voir apparaître dans notre dossier les bulletins scolaires, mais ça ne marche pas pour tous, certains élèves n’ont rien. Vraiment, ce n’est pas simple.

Un mercredi tous les quinze jours, le prof principal et le conseiller d’orientation nous donnent des précisions sur comment ça fonctionne, genre "vous avez jusqu’à telle date", mais ils ne nous aident pas vraiment. Par exemple, ils nous ont dit qu’on devait faire une lettre de motivation pour chaque vœu. J’ai jamais fait ça de ma vie, je ne sais pas faire. Il faut que je sache justifier chacun de mes vœux… Franchement, je sais pas quoi répondre. Pour moi, le premier critère c’est la distance, que ce soit près de chez moi, et aussi dans une école publique. C’est aussi pour ça que je veux être à La Courneuve ou à côté, parce qu’à Paris, la plupart des écoles sont payantes. A la base, je pensais à un BTS optique, puis j’ai regardé. Ils disent qu’après, il n’est pas possible de continuer les études. Je me dis que peut-être j’aurais envie de poursuivre après le BTS, du coup, là, je pense à l’informatique. Je me suis dit ça comme ça.

A la maison, j’en parle pas. Et c’est très galère d’avoir un rendez-vous avec la conseillère d’orientation, elle n’est pas beaucoup au lycée. Et je veux pas rater des cours. C’est stressant tout ça. »


Aujourd’hui, une professeure principale de terminale ES

[Elle préfére rester anonyme pour ne pas avoir d’ennui avec sa hiérarchie. Elle enseigne les sciences économiques et sociales (SES) dans un lycée semi-rural de 1 600 élèves dans les Hauts-de-France.]

« L’un de mes collègues est venu me trouver en décembre pour me dire qu’il était nommé deuxième prof principal dans ma classe de terminale. C’est un détail, mais nous n’avons eu aucune information officielle, ni même sur la répartition de qui fait quoi. Tout s’est fait à l’arrache. Le proviseur a même été obligé de désigner certains profs d’office car il n’y avait pas suffisamment de volontaires.

« La prime de 1 200 euros annuelle [versée aux professeurs principaux, ndlr] ne suffit pas pour convaincre, vu les responsabilités et le brouillard dans lequel nous sommes. En janvier, je me suis quand même retrouvée à présenter un PowerPoint sur le fonctionnement de Parcoursup qu’on m’a communiqué… trente minutes avant la réunion ! Les parents étaient déjà dans les couloirs. C’était limite un sketch. On ne nous laisse pas le temps de comprendre comment cela fonctionne et nous ne sommes pas formés pour l’orientation. On fait comme si Parcoursup était simple mais ce n’est pas simple du tout !
Lire la suite ici.


Laure Echalier, vice-présidente déléguée de l’université Paul-Valery, à Montpellier

Laure Echalier est aussi chargée de la mission Initiative d’excellence en formations innovantes (Idefi) sur la réussite en première année de licence.

« Nous nous trouvons dans une situation d’insécurité juridique : la nouvelle plateforme Parcoursup nous oblige à mettre en place une réforme qui n’a, pour l’instant, pas d’existence légale. Dans les faits, on se retrouve forcé à appliquer un texte à cause d’un outil informatique. C’est quand même absurde. On obéissait à APB et maintenant on obéit à Parcoursup… Sans même connaître tous les éléments techniques !

Nous sommes dans le brouillard. Avec quels moyens allons-nous éplucher les candidatures ? Par exemple, en psychologie, nous recevons entre 5 000 et 8 000 dossiers pour 800 places. Dans l’état actuel des choses, il sera humainement impossible d’avoir le temps de les ouvrir un à un. Ce n’est pas tant une question d’argent, mais de moyens humains. Les enseignants-chercheurs font déjà beaucoup d’heures sup. On peut difficilement leur en demander plus encore.


Catherine Sindicas, conseillère d’orientation

Pour lire cet article sur le site de Libération

Le titre des conseillers d’orientation a changé, on doit désormais dire : psychologue de l’éducation nationale spécialité éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle. Catherine Sindicas travaille depuis vingt ans au CIO (centre d’information et d’orientation) de Clamart, dans les Hauts-de-Seine.

« On commence enfin à y voir plus clair. Les informations nous sont parvenues au compte-gouttes jusqu’à fin janvier. On a même dû retarder les séances d’informations aux familles car jusque-là nous n’avions pas suffisamment d’éléments pour les renseigner. Et puis, il y a des cafouillages. Par exemple, le rectorat nous avait expliqué que pour les licences Staps et psycho, les élèves d’Ile-de-France pouvaient postuler dans n’importe quelle université de la région, la sectorisation n’étant plus le périmètre de l’académie mais de la région académique. Sauf qu’en ouvrant Parcoursup, surprise : les informations indiquaient l’inverse. On a fait remonter le problème, c’était un mauvais paramétrage de Parcoursup par les universités… L’erreur n’a été modifiée que la semaine dernière sur la plateforme.

« Il reste cette question à laquelle je n’arrive pas à avoir de réponse, elle est pourtant centrale : que va-t-il se passer dans les licences les plus demandées quand le nombre de places sera atteint ? Comment cela va finir pour les élèves sur la liste d’attente ? Le ministère a assuré qu’il n’y aura pas de sélection, mais comment les choses vont se passer concrètement ?

« Je conseille aux élèves de formuler leurs vœux en fonction de leurs envies, mais en élargissant au maximum les choix d’universités pour une même licence. Pour l’instant, je ne vois pas bien l’amélioration par rapport à l’ancien système APB, sauf sur un point : ils ne sont plus obligés de hiérarchiser leurs vœux, et cela enlève un vrai stress. Pour le reste, évidemment le tirage au sort n’était pas une bonne solution, mais c’était une pratique à la marge, et il suffisait d’ouvrir plus de places dans les licences concernées. Ce que je déplore aussi, c’est la façon dont nous, ex-conseillers d’orientation [il faut désormais dire psychologue de l’éducation nationale, spécialiste du conseil en orientation, ndlr], sommes mis totalement de côté dans cette réforme. Le ministère a transféré le cœur de notre métier aux professeurs principaux alors qu’ils ne sont pas formés pour… Que devient-on ? On disparaît ? »


Diouma, 20 ans, en licence Administration et échanges internationaux à la fac de Créteil, dans le Val-de-Marne :

À lire ici.
« Le site de Parcoursup est trop compliqué. A force de vouloir tout nous expliquer, ils nous noient d’informations. Autre défaut, il faut écrire manuellement toutes les lettres de motivation. Le copier-coller est désactivé.
« Mais il y a des points positifs. Les critères de sélection des formations sont formulés clairement et nous sommes obligés de les lire et de confirmer en avoir pris connaissance. Ça me donne l’impression que, cette année, les sélections ne se feront plus au hasard. Pour ceux qui ont déjà utilisé APB [l’ancienne plateforme Admission post-bac, ndlr], il y a un suivi de notre dossier. J’ai juste eu à rentrer mon INE [Identification nationale des étudiants, ndlr], ma date de naissance et confirmer mon adresse mail. Par contre, mon dossier était incomplet. J’ai dû rentrer les notes et les appréciations de mon bulletin du troisième trimestre de terminale.

« Avec l’expérience traumatisante d’APB, je me suis connectée avec beaucoup de stress sur Parcoursup. L’an dernier, j’ai mon bac STMG [sciences et technologies du management et de la gestion, ndlr] et j’ai fait le maximum de 24 vœux pour ne pas me retrouver sans école. Pourtant, j’ai fini au mieux en mauvaise position sur liste d’attente. Dans la majorité des cas, j’ai essuyé des refus. J’ai postulé essentiellement dans des BTS. Quand j’appelais les établissements pour leur montrer ma motivation, j’avais l’impression qu’ils n’étaient même pas au courant que j’étais sur leur liste d’attente. Fin octobre, je n’avais toujours pas d’affectation. Après mon forcing raté auprès des BTS, j’ai réussi à avoir une place à la fac en Administration et échanges internationaux pour ne pas perdre une année. Mais ça ne m’intéresse pas.
« Cette année, sur mon groupe de TD de 25 personnes à la fac, nous sommes 8 à être dans la même situation, et j’ai l’impression qu’une majorité ne connaît pas Parcoursup. A l’université, personne ne nous en parle. Les profs sont plus distants qu’au lycée, ils ne s’occupent que de leur matière, le reste ça ne les regarde pas trop. Personnellement, j’ai découvert Parcoursup grâce à la story Snapchat d’une pote en terminale. Après son snap, je me suis renseignée sur Internet.
« En postulant à nouveau en BTS, j’espère prendre une revanche sur l’an dernier. Je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas. J’espère que les établissements vont prendre en compte la situation des milliers de personnes qui n’ont obtenu aucune réponse positive en 2017. C’était déprimant. Maintenant, on a besoin d’être considérés. »


Note de SLU : tous les « éléments de langage » du ministère sont réunis dans ce "témoignage" : 1. APB a laissé sur le carreau l’an dernier des milliers d’étudiants (des dizaines de milliers ? des centaines de milliers ?) ; 2. il y a un énorme taux d’échec en licence ; 3. les profs du supérieur n’en ont rien à battre de l’orientation, et d’ailleurs, si Parcoursup échoue, ça sera bien de leur faute ; 4. Parcoursup va vous arranger tout ça : "les sélections ne se feront plus au hasard".
Personne —pas la journaliste en tous cas— ne lui a glissé à l’oreille que le nombre de places en BTS était LE problème initial ?


Robert Karulak, proviseur adjoint du lycée Claude-Fauriel, à Saint-Etienne.

À lire là.

Robert Karulak est en poste depuis la rentrée 2016 dans cet établissement qui accueille aussi des CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles).
« Le système Parcoursup est nouveau, cela implique donc plus de travail, une adaptation, mais ça nous oblige aussi en tant que proviseur à avoir un dialogue plus approfondi avec les élèves et les familles. On reçoit plus de demandes d’information, notamment de la part des parents, inquiétés par cette nouveauté. Ils veulent comprendre le fonctionnement du système, ont des interrogations sur les lettres de motivation. On doit accompagner tout le monde de manière plus précise.
« Les informations ont été diffusées rapidement, il y a donc sûrement eu des petits ratés, il ne faut pas se voiler la face. Je pense toutefois que le système est désormais opérationnel. L’avantage est que l’on redonne du poids aux professeurs, au conseil de classe, aux résultats des élèves, à qui on demande d’engager une réflexion sur leur avenir à partir de leurs compétences. C’est plus constructif.
« Je ne suis pas pour la sélection, mais pour la responsabilisation. Un lycéen doit avoir conscience que ses choix l’engagent dans une voie et que ses décisions impliquent une réflexion préalable et un projet d’avenir. Il faut le faire de façon éclairée, en disposant de toutes les informations nécessaires. Je leur conseille de se renseigner sur les taux d’entrée, de réussite et d’insertion professionnelle. L’intérêt de Parcoursup est aussi que, nous, on s’informe davantage sur les diverses filières.

« La sélection existe. Le discours selon lequel il faudrait donner sa chance à tout le monde n’est généreux qu’en apparence car ça ne marche pas. Tout le monde ne peut pas devenir médecin, avocat, professeur de sport ou psychologue. Certaines personnes seront forcément déçues. Alors est-ce qu’il faut mentir aux jeunes en leur disant de faire ce qu’ils veulent ou est-ce qu’il faut les prévenir ? Moi, je pense qu’il faut les prévenir.
« Cependant, nous avons aussi un rôle positif à jouer. Par exemple, beaucoup d’élèves n’osent pas demander une CPGE, alors qu’ils seraient pris. On doit les pousser dans leurs ambitions. Ce rôle de conseiller est renforcé par ce système, qui implique un suivi plus personnel.


Arthur, étudiant à Sciences-Po Bordeaux, utilise Parcoursup pour un redoublement

Arthur, 20 ans, originaire de Toulouse, est étudiant en troisième année à l’Institut d’études politiques (IEP) de Bordeaux. Il doit utiliser Parcoursup pour se réinscrire à la fac après un redoublement.

« En ce moment je suis dans la phase où il faut formuler les vœux, la phase 2. J’ai rempli 5 vœux sur les 10 possibles : une licence 1 [première année de licence, ndlr] en lettres, en socio, en histoire, en philo et en histoire de l’art, le tout à la fac de Bordeaux-Montaigne. J’ai une préférence pour la philo mais comme on ne peut pas hiérarchiser, je vais peut-être réduire à 4 vœux, pour éviter de tomber sur histoire de l’art… Je vais expliquer que je suis en réorientation dans le cadre d’un redoublement. Comme ce sont des licences 1 et que je suis un étudiant du secteur, je pense que ça devrait marcher. S’il y a un souci, je pense demander à Sciences-Po de me faire une lettre…

« En fait, j’ai été victime d’un déboire administratif quand j’étais en Erasmus à Vienne. Mon université d’accueil n’a jamais envoyé un relevé de notes à Sciences-Po et donc je dois redoubler mon année de mobilité… à la fin de ma troisième année que j’ai déjà commencée entre-temps. Si je valide tous mes crédits, je reviendrai ensuite à Sciences-Po pour la quatrième année. A Bordeaux, le redoublement de l’année de mobilité se fait dans une université française. En décembre, une personne de l’administration m’a dit que je devais passer par le nouvel APB pour m’inscrire. Je suis originaire de Toulouse, mais comme je vis à Bordeaux, je suis considéré comme du secteur de l’académie de Bordeaux. Et je préfère rester ici, car j’ai mon appart et mes amis.

« Entre APB et Parcoursup, l’esthétique est la même, les onglets sont les mêmes, la seule chose qui change vraiment, c’est qu’il faut envoyer un CV et une mini-lettre de motivation avec chaque choix. Remplir ce "projet de formation motivé" permet d’aller au-delà des notes. De ce que j’ai compris, celui qui a 12 en français mais qui est fan de Proust aura plus de chances que quelqu’un qui a 16 mais qui lit moins, c’est plus juste. Après, je pense que ce système est plus adapté aux étudiants plus âgés, à ceux qui sont en réorientation comme moi : j’ai de l’expérience professionnelle, j’ai fait du bénévolat, mon CV est plus garni que celui d’un terminale de 17 ans qui n’aura pas grand-chose à dire à part qu’il fait partie d’un groupe de musique ! Clairement, si je raisonne de manière égoïste, je préfère ce système, ça m’arrange. Je suis issu de la bourgeoisie toulousaine, j’ai 20 ans, j’ai l’habitude des dissertations avec Sciences-Po. Ecrire une lettre de motiv, pour moi, ce n’est pas compliqué. Un terminale qui vient d’un quartier défavorisé et qui n’a aucune expérience fera peut-être des tournures de phrase maladroites dans sa lettre, tandis que moi, je ne vais faire aucune faute. Si elle est en concurrence avec moi, elle n’a aucune chance… Donc, le système est aussi potentiellement discriminatoire. »


Une mère d’élève en terminale scientifique dans un lycée parisien

À lire ici

« On a de gros soucis avec le professeur de physique, qui est aussi prof principal en prime. Dans son cours, la moyenne générale de la classe tourne autour de 7 sur 20 depuis le début de l’année et les élèves ne comprennent rien au cours… Entre parents, on s’interroge forcément. On échange beaucoup par mails notamment, c’est assez efficace. Une petite délégation de parents a essayé d’aller parler au prof pour comprendre. Rien à faire. Il répète juste que la classe est nulle. Les deux tiers prennent des cours privés à côté. Nous nous sommes donc un peu renseignés et avons découvert qu’en réalité, ce prof met toujours des notes très basses dans ses classes, depuis des années. Avant, le dossier scolaire ne comptait que pour ceux qui postulaient en prépa, en BTS ou DUT. Maintenant, avec Parcoursup, tout le monde est concerné…

« Surtout, c’est compliqué d’entretenir un climat dynamique et de confiance dans la classe. Les gamins, ils ne se sentent pas tellement de discuter orientation avec lui alors qu’en tant que professeur principal cela fait partie de ses attributions avec la réforme. Certains élèves renoncent à leurs ambitions, abandonnent l’idée d’aller en école d’ingénieurs ou en prépa parce qu’ils pensent ne pas avoir le niveau. Ils sont très collés aux notes à cet âge-là. Ils se stressent vite. Ce sont des ados en pleine construction identitaire. C’est grave de faire ça. Avant les vacances, des parents sont allés échanger avec la direction de l’établissement qui s’est montrée à l’écoute, consciente de la situation, mais… qui ne peut rien faire à part essayer, elle aussi, de le convaincre.

« Cette situation est profondément injuste. On hésite à ne rien mettre du tout dans les vœux Parcoursup… On doit tout remplir d’ici début mars, parce que se tient le conseil de classe du deuxième trimestre où les professeurs donneront leur avis sur chaque projet d’orientation. On leur demande de se prononcer sur les capacités des élèves à réussir à l’université ou en école d’architecte, mais qu’en savent-ils ? Ce ne sont pas les mêmes compétences que celles évaluées au lycée… Comme je le disais, nous, on va certainement ne rien mettre, ou peut-être des DUT, histoire de ne pas froisser le conseil de classe. On a décidé de postuler dans des écoles de commerce post-bac qui ne sont pas dans Parcoursup. Je dis "on", c’est bien sûr l’orientation de mon enfant, mais cela se fait en famille. Les écoles de commerce recrutent sur concours, au mois d’avril, elles ne tiennent pas compte du dossier scolaire mais d’autres aptitudes moins académiques. Au moins, on peut s’affranchir de la scolarité, l’année de terminale n’est pas le seul déterminant pour réussir son projet d’avenir. »


Camille Fromaget, 28 ans, l’un des fondateurs de l’entreprise Study Advisor

À lire là.
« Cette réforme, c’est un coup du destin. On a lancé notre start-up en septembre 2016, donc bien avant Parcoursup. Notre idée, c’était de créer une plateforme collaborative sur le modèle d’Airbnb pour mettre en relation des élèves qui se posent des questions sur leur orientation, avec des étudiants qui sont passés par les mêmes interrogations quelques années auparavant. Une sorte de réseau social de l’orientation, en somme. Jusqu’en octobre dernier, on recevait 30 appels par jour environ, mais avec la réforme, on tourne à 150-200 appels par jour. Plus la date de clôture des vœux dans Parcoursup approche, plus le nombre de coups de fil augmente. Ça n’arrête pas.

Pour les élèves qui demandent des conseils, le service est gratuit. Nos 1 500 étudiants « advisors » sont rémunérés 5 euros par appel, qui dure en moyenne 30 minutes. Notre business model repose sur les formations privées. Elles nous financent pour qu’on les mette en relation avec les élèves intéressés. Je précise que les étudiants advisors sont payés à l’appel, et pas à la mise en relation avec une formation privée, ils ont une totale liberté dans les conseils qu’ils donnent. D’ailleurs, dans les conseils qui ont été donnés jusqu’ici, la majorité concerne les formations publiques.

Ces dernières semaines, on reçoit beaucoup de questions sur le fonctionnement de Parcoursup, forcément. J’ai fait des vidéos pour former au mieux nos étudiants advisors pour qu’ils sachent répondre car ce n’était pas au début dans leurs missions. Là, on se retrouve à faire sans arrêt des lettres de recommandation pour les élèves. Oui, parce que dans les dossiers Parcoursup, il leur est demandé d’apporter des preuves de leur intérêt pour les filières auxquelles ils postulent… Du coup, on s’est mis à leur rédiger des attestations pour valoriser leur démarche de nous appeler et l’intérêt qu’ils ont montré au cours de la conversation pour telle ou telle formation. Tous les élèves n’ont pas la chance d’avoir un réseau familial pour avoir des recommandations par ailleurs… »


Carole, 17 ans, prépare un bac pro AMACV (artisanat et métier d’art communication visuelle), dans un lycée professionnel d’Aix-en-Provence

À lire ici.

« L’arrivée de la clôture des vœux sur Parcoursup m’angoisse. Je les ai pratiquement tous rentrés dans la plateforme, mais il faut encore que je m’occupe des lettres de motivation [les élèves ont jusqu’à la fin du mois, ndlr].

« Je ne sais pas trop comment faire car on n’a le droit qu’à 1 500 caractères, ce n’est pas beaucoup. Surtout pour mon projet d’intégrer une Manaa (mise à niveau en art appliqué), pour ensuite préparer un diplôme des métiers d’art (DMA) en animation, des cursus qui sont aussi en train d’être réformés (1). Tous les exemples de lettres que l’on nous a montrés sont très développés, il faut citer des références artistiques et on ne peut pas en parler en 1 500 caractères, enfin, moi, je n’ai pas réussi. J’ai dû écrire un texte bateau pour toutes les écoles. J’ai peur que ça me pénalise, d’autant plus que je suis une élève de bac professionnel et qu’ils n’en prennent pas beaucoup.

« Je comptais aussi sur mes bonnes notes dans les matières professionnelles pour m’aider, mais, quand j’ai rentré mes bulletins sur Parcoursup, j’ai eu la mauvaise surprise de voir que seule la moyenne générale de toutes les notes professionnelles était demandée. Je trouve ça trop bête. Du coup, il n’y a pas non plus les appréciations dans ces différentes matières, c’est frustrant. J’en étais fière, car mes professeurs y soulignent que j’ai de bonnes qualités graphiques, un bon coup de crayon, mais a priori personne ne pourra le lire.

« Quand on m’a dit qu’une réforme sur le post-bac s’engageait, j’avais l’espoir que cela change la mentalité sur les bacs pro, mais en fait pas du tout. Je suis déçue et je sais que je vais être désavantagée. Je me sens piégée car quand j’ai intégré ce cursus, je pensais que les écoles allaient plus facilement m’accepter parce que j’aurais de l’expérience dans l’art et ce n’est pas du tout le cas. Si aujourd’hui, j’étais au collège, j’irais en filière générale. Même avec un super bon dossier, 15,6 de moyenne, je ne suis pas sûre d’y arriver. En plus, les réponses des écoles publiques arriveront tellement tard que je ne pourrais plus me retourner vers le privé en cas de refus de tous mes vœux. »

(1) Dans certaines académies, à la rentrée 2018, le DNMADE (diplôme national des métiers d’art et du design) remplacera la Manaa, les BTS en arts appliqués et les DMA.


Alexis Dayon, professeur de philosophie dans un lycée de l’académie de Bordeaux

À lire dans Libé ici.

« Là où, les années précédentes, on a trouvé des sortes d’expédients ad hoc foireux du type tirage au sort pour limiter le nombre d’étudiants entrant dans les filières universitaires sous tension, cette fois-ci, on nous demande à nous, professeurs de lycée, de faire le tri sur des critères illégitimes. Cela me met extrêmement mal à l’aise et je ne m’étais mentalement pas préparé à ça. Nous savions que nous avions des fiches Avenir à remplir, mais on a découvert la forme que ça prendrait qu’au conseil de classe du deuxième trimestre. Il s’est déroulé en deux temps, après une première partie classique, le professeur principal et le proviseur adjoint ont consulté le conseil de classe afin de remplir cette fiche à destination des établissements du supérieur.

« A ce moment-là, j’ai trouvé que ça partait en vrille, j’ai entendu des remarques totalement déplacées, pas du fait de mauvaises dispositions de mes collègues, mais sur le contenu même de ce qui nous est demandé. On devait se prononcer sur six items : méthode de travail, autonomie, esprit d’initiative, engagement scolaire et extrascolaire, cohérence du projet, chances de réussite. Après quoi, nous avons dû lister des adjectifs qualifiant l’élève tant sur le plan du travail que de la personnalité.

« J’étais mal à l’aise de voir qu’on nous demande de nous positionner en tant que manager plutôt qu’en tant qu’enseignant. J’ai relevé trois domaines récurrents de remarques que j’ai jugé déplacées. Le premier concernait la motivation de l’élève. J’estime que c’est quelque chose d’intérieur, entre ce que le jeune nous donne à voir et ce qu’il éprouve réellement, il y a un monde. De plus, à leur âge, qui est peut-être le plus grand moment d’incertitude de la vie, on leur demande d’avoir une résolution que la plupart des adultes n’ont pas.

« Leurs qualités relationnelles étaient aussi discutées. On ne juge plus des savoirs, ni des savoir-faire, mais des savoir-être. La sociabilité est transformée en une compétence, comme s’il y avait une injonction à être ouvert, épanoui. Enfin, j’ai trouvé malsain de transformer les activités extrascolaires en moyen de bonifier le dossier, alors que ça devrait rester des activités désintéressées dans lesquelles les jeunes s’épanouissent. Ce sont des items d’entreprise, pas éducatifs.

« L’injustice de cette tâche qui nous incombe nous a ainsi poussés à nous perdre en spéculations idiotes à propos des projets des élèves. Durant les conseils de classe, j’ai pu entendre : "Oh, une très belle cohérence dans les vœux de X !" "En revanche, Y demande une prépa vétérinaire, de l’histoire de l’art et de la sociologie… c’est très dispersé tout ça, on sent une certaine hésitation, il faudrait une résolution plus ferme !" Je pense le plus grand bien des critiques d’art, mais on nous demande de se positionner de cette manière face à des jeunes et non face à des tableaux, ce qui est déplacé. »


Julien Gossa, 37 ans, maître de conférences en informatique à l’université de Strasbourg

À lire ici

Depuis septembre, il tient sur Educpros le blog « Docs en stock : dans les coulisses de la démocratie universitaire », où il décrypte ce qui se joue en ce moment à l’université. Dans son dernier post, il explique ce que veut dire concrètement « ouvrir une place » dans un amphi.

« Trier des dossiers, je sais ce que c’est. Je fais ça depuis dix ans, car j’enseigne en DUT informatique (une filière sélective, à l’intérieur de l’université, ndlr). Donc classer les candidatures, comme s’apprêtent à faire tous les collègues de licence, je connais bien. Dans mon équipe, on a essayé beaucoup de choses pour améliorer le recrutement et diminuer au maximum le taux d’échec. Notre système de sélection est performant. Pourtant, il ne fonctionne pas. Pour une raison simple : on ne peut pas prédire la réussite d’un étudiant.

À défaut, on sélectionne les élèves les plus scolaires. Bien sûr, il y a les bons élèves qui réussiront partout. Mais pour les autres, ceux qui ont entre 9 et 13 de moyenne, on ne peut pas savoir. Il y a des lycéens avec des mauvaises notes, un comportement qui laisse à désirer au lycée, qui vont réussir par la suite. D’autres, au contraire, sages comme des images avec des notes correctes, découvrent la vie nocturne et se plantent royalement en première année. Il n’y a rien d’écrit et de prévisible.
Dans notre département, pour l’IUT informatique, on faisait jusqu’ici ce travail d’ouvrir un à un chaque dossier : lire les lettres de motivation pour éviter les grosses erreurs d’orientation notamment et repêcher quelques élèves motivés mais avec des notes limites. On appelle ça des paris.

Ce travail de tri est long et ultrachiant, il faut le dire. Et assez déprimant car on refuse beaucoup d’élèves gentils et volontaires. Jusqu’ici, ils avaient une deuxième chance. L’université servait de filet-trampoline : on savait que les élèves que l’on refusait pouvaient aller à la fac, et même retenter leur chance à l’entrée de l’IUT à la fin de la première année. Avec cette réforme, ce filet disparaît, désormais les élèves sont classés partout. Cette réforme a une autre conséquence bien concrète, la concurrence généralisée y compris au sein d’une même université, comme entre notre DUT et les licences.

Jusqu’ici, nous avions très peu d’informations sur la façon dont la réforme allait se mettre en place. Les équipes étaient dans l’attente. Les premières réunions concrètes commencent à peine, maintenant qu’il est trop tard pour en discuter. Les candidatures doivent être triées d’ici le 18 mai. »