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Geneviève Fioraso et le CEA : quand la prévention des conflits d’intérêts confine au burlesque - Yann Bisiou, blog "Le Sup en maintenance", 4 septembre 2014

vendredi 5 septembre 2014, par Elisabeth Báthory

RUE89 vient de débusquer un décret du 1er août qui retire toute compétence à Mme Fioraso pour les actes « de toute nature intéressant la direction de la recherche technologique du Commissariat à l’Énergie Atomique » (CEA).

Cette décision est prise en application de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence dans la vie publique. Elle serait motivée, selon RUE89, par les fonctions qu’occupe le compagnon de Mme Fioraso, au CEA.

La question de l’influence des mandats politiques sur la vie professionnelle dans un couple est difficile à appréhender. L’intérêt général commande d’éviter tout conflit d’intérêt, mais, à l’inverse, le compagnon ou la compagne d’un élu n’a pas non plus à être pénalisé dans sa carrière en raison du mandat de celle ou de celui avec qui il, ou elle, partage sa vie. Ce qui importe, et c’est le sens de la loi de 2013, c’est de pouvoir s’assurer que, dans l’exercice de ses responsabilités publiques, l’élu n’a pas été guidé par d’autres préoccupations que l’intérêt collectif.

Or, de ce point de vue, le décret du mois d’août sonne comme un aveu, un aveu presque burlesque. Toujours selon RUE89, l’entourage de Mme Fioraso déclare, rassurant : « Nous avons vérifié, pas une seule fois, elle n’a dû intervenir dans les affaires de cette direction technologique ». Est-ce une plaisanterie ?

A lire sur le blog de Yann Bisiou, Le Sup en maintenance.

Ce qui est à craindre, ce n’est pas que Mme Fioraso profite de sa position au gouvernement pour intervenir dans la politique scientifique du CEA, ce qui serait parfaitement logique s’agissant d’un organisme public dont les missions entrent en grande partie dans le cadre des compétences normales d’un ministre ou d’un secrétaire d’État à l’enseignement supérieur et à la recherche ! Ce qui est à craindre, c’est que le CEA intervienne dans la gouvernance de l’enseignement supérieur et de la recherche dont Mme Fioraso a la charge ! Et là dessus « l’entourage » de Mme Fioraso n’apporte aucune garantie, et pour cause, tant l’influence du CEA a été grande !

Trop tard !

Après les affaires Cahuzac, Morelle et juste avant la nouvelle affaire Thevenoud, cette préoccupation soudaine du gouvernement pour la moralité en politique ne peut qu’être louée, mais elle intervient bien tard ; trop tard, car le mal est déjà fait. C’est depuis sa nomination comme ministre, en mai 2012, que Mme Fioraso fait la part belle au CEA… à Grenoble et à ses réseaux.

Dans un entretien donné le 30 août 2012 au Journal l’Usine Nouvelle, le CEA à Grenoble est déjà cité par moins de trois fois comme le modèle à suivre partout en France. Et ce n’est que le début !

En janvier 2013, le gouvernement prépare le projet de loi modifiant l’enseignement supérieur qui sera discuté au Parlement durant l’été. Une des mesures les plus contestables est la modification des règles de composition des comités de sélection. La nouvelle rédaction permet à des personnes qui ne sont pas enseignants-chercheurs, voire qui ne sont pas docteurs, de faire partie d’un comité de sélection pour recruter des maîtres de conférences ou des professeurs qui, eux doivent être docteurs ! Pourquoi une telle évolution ? La version interministérielle du projet de loi diffusée à certains syndicats l’explique dans la colonne « observations » : « Pour prendre un exemple, un comité de section [sic] pourra maintenant comprendre des chercheurs du CEA » comme on peut le voir ci-dessous.

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Finalement, le législateur ira encore plus loin puisque la formule sera intégrée à l’article L.952-24 du Code de l’éducation et le terme « publics » supprimé.

Et Mme Fioraso ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Lors de la discussion parlementaire sur le projet de loi, la ministre assume son interventionnisme en faveur du CEA et explique : « Sans attendre la loi, le Premier ministre a décidé, sur ma proposition, la création de trois plateformes de transfert technologique du CEA, en partenariat avec le CNRS et les autres acteurs locaux, à Bordeaux, Toulouse et Nantes, et un projet en Lorraine, à l’image de ce qui a déjà été réalisé avec succès à Saclay et Grenoble ».

Elle insiste d’ailleurs le lendemain sur le rôle qu’elle a joué dans le développement des projet du CEA : « Nous avons anticipé et d’ores et déjà mis en place trois plates-formes, qui seront bientôt quatre, de diffusion de l’innovation dans l’ensemble du tissu industriel, particulièrement parmi les PMI et les PME avec l’initiative CEA Tech, ainsi qu’avec l’initiative Lab Com, prise à notre demande par l’Agence nationale de la recherche ». (sur l’article 7 du projet de loi). Et l’on peut continuer ainsi les exemples.

Alors que Mme Fioraso a la charge de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis plus de 2 ans, quels sont encore les risques de conflits d’intérêts avec le CEA, puisque le CEA a déjà obtenu tout ce qu’il pouvait souhaiter ou presque ?

Trop peu !

Trop peu a-t-on envie de dire après ce décret, car si Mme Fioraso déclare bien les liens de son mari avec le CEA, ses 4 déclarations d’intérêts ne mentionnent aucun lien direct entre elle et le CEA. Et pourtant ! Dans sa dernière déclaration, Mme Fioraso indique qu’elle a été membre du CA de Tenerrdis, pôle de compétitivité consacré aux énergies renouvelables. Elle ne précise pas que le CEA est un membre important de ce pôle.

Mme Fioraso indique encore qu’elle été membre de la Société d’économie mixte Inovia. Mais elle ne précise pas que cette SEM est notamment destinée à permettre le développement du campus industriel GIANT avec le CEA comme partenaire.

Enfin Mme Fioraso indique qu’elle a été PDG de Minatec-entreprises, mais ne signale pas que Minatec est un « campus d’innovation » dédié au LETI, la branche micro et nano technologies du CEA. Elle ne précise pas que Minatec-entreprises accompagne des start-ups dans lesquelles le CEA a fortement investi comme, par exemple, la société Fluotpics qui a levé des fonds auprès de … CEA-investissement et de 2 autres fonds « Grenoble Angels » et « Savoie Angels ».

Minatec-entreprises, CEA-Investissement, « Savoie Angels » « Grenobles Angels » que l’on retrouvent encore au mois d’août dans une opération de capitalisation de 6,4 millions d’euros de la start-up ISORG… hébergée elle-aussi par Minatec-entreprises.

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Burlesque !

Alors le problème des conflits d’intérêts dans l’enseignement supérieur et la recherche ce n’est pas l’emploi du compagnon de Mme Fioraso ! Ce n’est pas le risque que la ministre intervienne dans la gouvernance du pôle recherche du CEA ! C’est Madame Fioraso elle-même ! Et encore ! Car les lobbies dont elle s’est faite la porte-parole trouveront un autre portefaix pour défendre leurs intérêts si le gouvernement voulait soudain donner du sens au slogan électoral de la "République exemplaire".

Le plus sinistre dans tout ça, c’est que ce ne sont pas les chercheurs du CEA qui profitent de ces largesses gouvernementales. Les moyens du CEA diminuent et l’essentiel des crédits va à des filiales de droit privé. On assiste en réalité, à travers le modèle de développement de l’innovation mis en place par le gouvernement et les collectivités locales, à une privatisation rampante du CEA.

Enfin, pour conclure, on s’interroge sur le ministre qui va reprendre le contrôle du CEA et sur l’avenir de cet établissement public. Est-ce Mme Vallaud-Belkacem qui ouvrira aux chercheurs et enseignants-chercheurs de l’université de Savoie les portes des laboratoires que le CEA leur a claquées au nez ?